Régie nationale des usines Renault SA v Maxicar SpA and Orazio Formento.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1999:325
Date22 June 1999
Celex Number61998CC0038
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-38/98
EUR-Lex - 61998C0038 - FR 61998C0038

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 22 juin 1999. - Régie nationale des usines Renault SA contre Maxicar SpA et Orazio Formento. - Demande de décision préjudicielle: Corte d'appello di Torino - Italie. - Convention de Bruxelles - Exécution des décisions - Droits de propriété intellectuelle relatifs à des éléments de carrosserie de véhicules automobiles - Ordre public. - Affaire C-38/98.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-02973


Conclusions de l'avocat général

A - Introduction

1 Dans la présente affaire, la corte d'appello di Torino (Italie) a saisi la Cour de justice d'un certain nombre de questions relatives à l'interprétation de la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale - dite convention de Bruxelles - (ci-après: la convention) ainsi que des articles 30, 36 (devenus, après modification, les articles 28 et 30 CE) et 86 (devenu l'article 82 CE) du traité CE. La juridiction de renvoi doute qu'un arrêt prononcé en France, et qui est contraire à son avis aux principes de la libre concurrence et de la libre circulation des marchandises, doive être exécuté en Italie en vertu de la convention.

2 A propos de la procédure au principal, la juridiction de renvoi mentionne simplement que la Régie Renault (aujourd'hui Renault SA - ci-après: la partie requérante) a assigné la société Maxicar et M. Orazio Formento (ci-après: les parties défenderesses) pour obtenir qu'un arrêt rendu par la cour d'appel de Dijon en 1990 soit déclaré exécutoire conformément à l'article 31 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, par l'apposition de la formule exécutoire sur cette décision. Ce dernier arrêt avait condamné M. Orazio Formento au paiement d'une amende de 20 000 FF pour délit de contrefaçon en même temps qu'il condamnait solidairement les parties défenderesses et une autre entreprise au paiement de 100 000 FF à titre de réparation du préjudice causé. D'après des indications de la Commission notamment, les parties défenderesses ont été condamnées pour avoir fabriqué en Italie et importé en France des pièces de rechange non originales pour des automobiles de la marque Renault, sans l'autorisation de la partie requérante, titulaire des droits de propriété industrielle en la matière.

3 La corte d'appello di Torino a rejeté - le 25 février 1997, si l'on en croit la Commission - la demande d'exequatur de cet arrêt, qui avait été confirmé en cassation en France; la société Renault a - le 28 mars 1997, selon les parties défenderesses - formé un «recours» contre cette décision devant la même juridiction. C'est dans le cadre de cette dernière procédure que la corte d'appello di Torino a saisi la Cour de justice à titre préjudiciel.

4 Selon la juridiction de renvoi, les parties défenderesses ont contesté le recours introduit contre la décision initiale en faisant valoir que la décision française ne pourrait être déclarée exécutoire en Italie, car elle serait contraire à l'ordre public en matière de droit économique et incompatible avec une décision analogue prononcée entre les mêmes parties en Italie. D'après la juridiction de renvoi, les parties défenderesses ont fait valoir à ce propos que la cour d'appel de Dijon les aurait condamnées au motif que l'esthétique industrielle dans le secteur de la construction automobile requerrait une protection particulièrement rigoureuse, en tant qu'elle constitue un élément déterminant du succès d'un modèle auprès de la clientèle tout en contribuant au prestige de la société. La juridiction française aurait encore relevé que tout élément de la carrosserie exprimerait une partie de la pensée du créateur de l'ensemble de celle-ci et que la protection légale due à l'ensemble s'appliquerait aussi à chacun de ses éléments constitutifs, sans quoi cette protection serait illusoire. On ne saurait invoquer la licéité de cette activité en Italie au bénéfice des fabricants indépendants de pièces de rechange. Selon les parties défenderesses, les considérations par lesquelles la juridiction française attribue une pertinence juridique à l'esthétique automobile et transfère la protection de l'ensemble à ses composants ne seraient pas acceptables et enfreindraient l'ordre public économique en Italie, au sens de l'article 27, point 1, de la convention de Bruxelles. La reconnaissance de l'arrêt de la cour d'appel de Dijon signifierait - toujours, d'après les parties défenderesses - que la décision deviendrait exécutoire à l'étranger, ce qui multiplierait l'impact de la violation du principe de libre circulation des marchandises.

5 D'autre part, la décision française serait en contradiction manifeste avec un jugement du tribunale di Milano, prononcé en mai 1995 entre la société Maxicar et Renault, qui avait pour objet la licéité de la reproduction de panneaux de carrosserie par des fabricants indépendants de pièces de rechange. Cette décision serait passée en force de chose jugée et aurait été prononcée entre les mêmes parties au sens de l'article 27, point 3, de la convention de Bruxelles.

Or. 5 6 Selon la juridiction de renvoi, la jurisprudence de la Cour de justice tendrait, selon toute apparence, à assigner à l'exploitation de la propriété intellectuelle et industrielle des limites précises au regard de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence. Elle susciterait ainsi certains doutes quant à la portée véritable de ces principes, qui devraient par ailleurs être considérés comme des principes d'ordre public au sens de la convention. Comme la juridiction de renvoi estime pouvoir saisir la Cour au titre du protocole concernant l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après: le protocole), elle a formulé les questions préjudicielles suivantes:

1) Les articles 30 à 36 du traité CE doivent-ils ou non être interprétés en ce sens qu'ils font obstacle à ce que le titulaire d'un droit de propriété industrielle ou intellectuelle dans un Etat membre puisse faire valoir le droit absolu correspondant pour interdire à des tiers la fabrication et la vente, ainsi que l'exportation dans un autre Etat membre, de pièces détachées dont l'ensemble constitue la carrosserie d'une voiture automobile déjà mise sur le marché, ces pièces détachées devant être vendues en tant que pièces de rechange destinées à la même voiture automobile?

2) Peut-on ou non appliquer l'article 86 du traité CE pour interdire à tout constructeur automobile d'abuser de la position dominante qu'il détient sur le marché des pièces de rechange destinées aux voitures automobiles de sa fabrication, abus consistant à tenter d'éliminer totalement la concurrence exercée par les fabricants indépendants de pièces de rechange, en exerçant des droits de propriété industrielle et intellectuelle et en recourant à la répression judiciaire?

3) En conséquence, faut-il considérer comme contraire à l'ordre public, au sens de l'article 27 de la convention de Bruxelles, une décision rendue par un juge d'un Etat membre qui reconnaît un droit de propriété industrielle ou intellectuelle sur les pièces détachées susdites, dont l'ensemble constitue la carrosserie d'une voiture automobile, et qui confère une protection au titulaire de ce prétendu droit d'exclusivité en interdisant à des tiers, à savoir des opérateurs économiques établis dans un autre Etat membre, de fabriquer, de vendre, de faire transiter, d'importer ou d'exporter dans cet Etat membre lesdites pièces détachées dont l'ensemble constitue la carrosserie d'une voiture automobile déjà mise sur le marché et en sanctionnant ce comportement?

B - Les dispositions pertinentes de la convention et du protocole

7 Aux termes de l'article 26, 1er alinéa, de la convention, les décisions rendues dans un État contractant sont reconnues dans les autres États contractants, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.

8 L'article 27 fixe des exceptions à cette reconnaissance. Ainsi, une décision n'est pas reconnue:

«1) si la reconnaissance est contraire à l'ordre public de l'État requis;

...

3) si la décision est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État requis;

...»

9 L'exécution d'une telle décision est régie par l'article 31, qui prévoit que les décisions rendues dans un État contractant et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État contractant après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée. Aux termes de l'article 32, cette requête doit être adressée en Italie à la corte d'appello.

10 Si l'exécution est autorisée, le débiteur peut, aux termes de l'article 36, former un recours contre la décision. D'après l'article 37, la juridiction compétente à cet effet en Italie est la corte d'appello. Si la requête est rejetée, le requérant peut, aux termes de l'article 40, former un recours pour lequel la juridiction compétente en Italie est la corte d'appello.

11 Aux termes de l'article 1er du protocole, la Cour de justice des Communautés européennes est compétente pour statuer «sur l'interprétation de la convention ... ainsi que du présent protocole.» Cependant, seules certaines juridictions peuvent saisir la Cour à titre préjudiciel. L'article 2, point 1, du protocole énumère en un premier temps certaines juridictions ayant le droit de saisine pour chacun des États contractants. Pour l'Italie, il s'agit de la «corte suprema di cassazione». Aux termes des points 2 et 3 de l'article 2, des questions préjudicielles d'interprétation peuvent également être posées par:

«2) les juridictions des États contractants lorsqu'elles statuent en appel;

3) dans les cas prévus à l'article 37 de la convention, les juridictions mentionnées audit article.»

Observons d'ores et déjà que l'article 40 - recours contre le rejet...

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