Dieter Krombach v André Bamberski.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1999:446
Date23 September 1999
Celex Number61998CC0007
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-7/98
EUR-Lex - 61998C0007 - FR 61998C0007

Conclusions de l'avocat général Saggio présentées le 23 septembre 1999. - Dieter Krombach contre André Bamberski. - Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne. - Convention de Bruxelles - Exécution des décisions - Ordre public. - Affaire C-7/98.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-01935


Conclusions de l'avocat général

1 Dans la présente affaire, le Bundesgerichtshof pose trois questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 27, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (1) (ci-après, la «convention»), ainsi que de l'article II du protocole qui lui est annexé (ci-après, le «protocole»).

Les questions portent essentiellement sur la notion d'«ordre public de l'État requis» visée à l'article 27, point 1. Il est demandé à la Cour de dire pour droit, d'une part, si la juridiction d'un État contractant peut ne pas reconnaître, au motif qu'elle est contraire à l'ordre public, une décision d'une juridiction d'un autre État contractant sur une action civile exercée dans le cadre d'une affaire pénale, lorsque cette dernière juridiction a fondé sa compétence uniquement sur la nationalité de la victime, et, d'autre part, si la première juridiction peut ne pas reconnaître la décision étrangère lorsque la juridiction de l'État d'origine n'a pas permis à l'accusé de présenter sa défense, sur la base de règles nationales de procédure pénale qui interdisent à l'accusé contumax de faire entendre sa défense.

La procédure nationale et les questions préjudicielles

2 Il résulte de l'ordonnance de renvoi que, le 9 juillet 1982, le Dr Krombach, de nationalité allemande, a administré à la jeune Kalinka Bamberski, de nationalité française, qui habitait chez lui, à Lindau (République fédérale d'Allemagne), une injection de «Kobalt-Ferrlecit» et que la jeune fille est décédée, dans cette même ville, le 10 juillet 1982. Ces circonstances ont fait l'objet d'une procédure pénale pour homicide, ouverte par les instances allemandes contre le Dr Krombach. Cette procédure, qui a duré plusieurs années, s'est terminée par un non-lieu pour insuffisance de preuves.

M. André Bamberski, le père de Kalinka, a alors saisi les instances françaises d'une plainte contre le Dr Krombach, à qui il attribuait la responsabilité de la mort de sa fille. En 1993, ce dernier a été renvoyé devant la cour d'assises de Paris du chef d'homicide volontaire. M. Bamberski s'est constitué partie civile dans cette procédure. Le 5 juin 1993, l'accusation a été signifiée au Dr Krombach à son domicile de Lindau, en même temps que la constitution de partie civile. La juridiction française a ensuite lancé un mandat d'arrêt contre l'accusé afin de s'assurer de sa présence aux débats. Le Dr Krombach n'est toutefois pas personnellement comparu, mais s'est fait représenter par un avocat français et par un avocat allemand. La cour d'assises a constaté la contumace et a en conséquence interdit à ses avocats de le représenter et déclaré que les mémoires en défense étaient irrecevables.

3 Par arrêt du 9 mars 1995, la cour d'assises a condamné par contumace le Dr Krombach à 15 années de réclusion criminelle pour avoir volontairement exercé, sur la personne de la fille de M. Bamberski, des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Par arrêt du 13 mars 1995, la juridiction française a en outre condamné le Dr Krombach à payer à M. Bamberski la somme de 350 000 FF, soit 250 000 FF à titre de dommages et intérêts et 100 000 FF à titre de remboursement des frais de poursuite et de défense exposés).

Le Dr Krombach a formé un pourvoi en cassation contre les deux arrêts. La Cour de Cassation a déclaré le pourvoi irrecevable en tant que formé par un contumax.

Il a également formé un recours contre la République française devant la Commission européenne des droits de l'homme, en faisant valoir que le fait de ne pas lui permettre d'être représenté devant la juridiction avait constitué la violation des droits de la défense. Il ne semble pas que la Cour européenne des droits de l'homme est intervenue à l'égard de ce recours.

4 M. Bamberski a demandé à la juridiction allemande compétente, le Landgericht Kempten, l'apposition de la formule exécutoire sur l'arrêt condamnant le Dr Krombach à l'indemniser. Il a été fait droit à sa demande. Le Dr Krombach a saisi l'Oberlandesgericht d'un recours contre cette décision. Ce recours a été rejeté. Le Dr Krombach a alors déféré au Bundesgerichtshof (ci-après le «BGH») cette seconde décision à son encontre.

5 Le BGH, estimant que l'affaire engendrait des doutes quant à l'interprétation de dispositions de la convention, a déféré à la Cour, au titre de l'article 3 du Protocole concernant l'inteprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (2) et de l'article 2 de la loi allemande du 7 août 1972 , les questions préjudicielles suivantes:

«1. Les règles relatives à la compétence peuvent-elles concerner l'ordre public visé à l'article 27, point 1, de la convention de Bruxelles, lorsque, à l'égard d'une personne domiciliée sur le territoire d'un autre État contractant (article 2, premier alinéa, de la convention de Bruxelles), l'État d'origine a fondé sa compétence uniquement sur la nationalité de la victime (comme prévu à l'article 3, second alinéa, de la convention de Bruxelles concernant la France)?

En cas de réponse négative à la première question:

2. La juridiction de l'État requis (article 31, premier alinéa, de la convention de Bruxelles) peut-elle, dans le cadre de l'ordre public visé à l'article 27, point 1, de la convention de Bruxelles, tenir compte du fait que la juridiction répressive de l'État d'origine a rejeté la défense du débiteur par un avocat pour l'action civile (article II du protocole du 27 septembre 1968 concernant l'interprétation de la convention de Bruxelles), au motif que le défendeur, domicilié dans un autre État contractant, est poursuivi pour une infraction intentionnelle et qu'il n'a pas comparu personnellement?

En cas de réponse négative à la deuxième question:

3. La juridiction de l'État requis peut-elle, dans le cadre de l'ordre public visé à l'article 27, point 1, de la convention de Bruxelles, tenir compte du fait que la juridiction de l'État d'origine a fondé sa compétence uniquement sur la nationalité de la victime (voir première question ci-dessus) et qu'elle a en outre refusé que le défendeur en cause soit représenté par un avocat (voir deuxième question ci-dessus)?»

Le cadre juridique Les dispositions pertinentes de la convention de Bruxelles

6 Aux termes de son article 1er, premier alinéa, la convention «s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction». Elle contient à la fois les règles de détermination de la compétence judiciaire des instances des États contractants (titre II) et les dispositions régissant la reconnaissance et l'exécution à l'étranger des décisions de ces instances (titre III)

7 La règle de principe, énoncée à l'article 2, premier alinéa, en matière de compétence judiciaire est que «les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État».

La convention exclut expressément la possibilité de se prévaloir à l'encontre de personnes domiciliées sur le territoire d'un autre État contractant, des règles nationales de compétence judiciaires expressément visées à son article 3, second alinéa.Pour la France, il s'agit des articles 14 et 15 du code civil.

La convention prévoit ensuite des règles de compétence concernant des actions judiciaires spécifiques. Pour les actions en responsabilité civile exercées au pénal, la convention prévoit la compétence du «tribunal saisi de l'action publique, dans la mesure où, selon sa loi, ce tribunal peut connaître de l'action civile» (article 5, point 4).

8 Les décisions d'une juridiction d'un État contractant sont reconnues dans les autres États contractants «sans qu'il soit nécessaire de recourir à une autre procédure» (article 26, point 1). La reconnaissance peut être refusée pour l'un des motifs expressément prévus aux articles 27 et 28 de la convention.

En particulier, l'article 27, point 1, prévoit que les «décisions ne sont pas reconnues: 1. si la reconnaissance est contraire à l'ordre public de l'État requis».

L'article 28 prévoit ensuite que les décisions ne sont pas reconnues «si les dispositions des sections 3, 4 et 5 du titre II ont été méconnues ainsi que dans le cas prévu à l'article 59» (premier alinéa). Lors de l'appréciation de ces règles de compétence, «l'autorité requise est liée par les constatations de fait sur lesquelles la juridiction de l'État d'origine a fondé sa compétence» (deuxième alinéa). En dehors de cela, «il ne peut être procédé au contrôle de la compétence des juridictions de l'État d'origine» et, notamment, «les règles relatives à la compétence ne concernent pas l'ordre public visé à l'article 27 nº 1» de la convention (troisième et dernier alinéa).

Aux termes de l'article 31: «Les décisions rendues dans un État contractant et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État contractant après y avoir été revêtues de la formule exécutoire sur requête de toute partie intéressée.»

Conformément à l'article 34, deuxième alinéa, la «requête [en exequatur] ne peut être rejetée que pour l'un des motifs prévus aux articles 27 et 28.»

9 L'article II du protocole dispose ensuite que: «Sans préjudice de dispositions nationales...

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