Marcello Costa (C-72/10) and Ugo Cifone (C-77/10).

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:699
Docket NumberC-77/10,C-72/10
Celex Number62010CC0072
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date27 October 2011
62010CC0072

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 27 octobre 2011 ( 1 )

Affaire C-72/10

Procédure pénale

contre

Marcello Costa

[demande de décision préjudicielle formée par la Corte suprema di cassazione (Italie)]

Affaire C-77/10

Procédure pénale

contre

Ugo Cifone

[demande de décision préjudicielle formée par la Corte suprema di cassazione (Italie)]

«Libre prestation de services — Liberté d’établissement — Activité de collecte de paris sportifs — Exigence d’une concession et d’une autorisation de police — Politique d’‘expansion contrôlée’ dans le secteur des jeux — Lutte contre les jeux illégaux — Distances minimales entre points de vente — Déchéance de la concession pour activité transfrontalière — Déchéance de la concession pour adoption de mesures conservatoires ou ouverture d’une procédure pénale»

I – Introduction

1.

L’évolution de la législation italienne sur les jeux de hasard a été jalonnée par une série de décisions de la Cour de justice, qui constituent le point de départ de l’analyse de la question préjudicielle qui nous est maintenant soumise par la Corte suprema di cassazione (Italie).

2.

Les arrêts du 21 octobre 1999, Zenatti ( 2 ), du 6 novembre 2003, Gambelli e.a. ( 3 ), et du 6 mars 2007, Placanica e.a. ( 4 ), ont successivement abordé le problème d’une réglementation nationale qui subordonnait l’exercice des activités de jeux d’argent à un système de concessions en nombre limité et d’autorisations de police, en excluant les sociétés de capitaux de l’octroi desdites autorisations. Dans l’arrêt Placanica e.a., la Cour s’est prononcée en termes particulièrement directs sur le type d’objectifs poursuivis par le législateur italien, ne laissant ainsi qu’une marge étroite au juge national pour déclarer la compatibilité de la réglementation italienne en cause avec le droit de l’Union. Ce degré de détail de la réponse avait été imposé par les larges désaccords que l’application de l’arrêt Gambelli e.a. avait suscités au sein de la jurisprudence italienne ( 5 ). Malgré la clarté de l’arrêt Placanica e.a., il semble que les tribunaux italiens continuent à avoir de larges divergences d’opinion quant à la compatibilité avec le droit de l’Union de la nouvelle réglementation italienne sur les jeux de hasard, adoptée dans le contexte de cet arrêt. Certains, dans l’esprit de ce que soutiennent en l’espèce MM. Marcello Costa et Ugo Cifone, font valoir que cette nouvelle réglementation a éliminé l’effet utile de l’arrêt Placanica e.a. en créant de nouvelles discriminations. D’autres, dans la ligne de la position du gouvernement italien, soutiennent que les restrictions introduites peuvent se justifier pour des raisons impérieuses d’intérêt général.

3.

La présente affaire offre ainsi à la Cour une nouvelle occasion de préciser sa jurisprudence déjà abondante en matière de jeux de hasard, dans un contexte en partie connu, celui du secteur des jeux en Italie. L’arrêt Placanica e.a. constituera un instrument indispensable à cet effet, car il y est déjà tenu compte des particularités de ce contexte, et en particulier de l’option clairement prise par le législateur italien d’une politique résolument expansive du secteur du jeu, quoique présentée comme une «expansion contrôlée». Cette circonstance conditionne, à notre avis, l’analyse de la présente affaire, sans amener pour autant à remettre en cause une jurisprudence déjà bien établie, qui attribue aux États membres une large marge de manœuvre dans le secteur des jeux.

II – Cadre juridique: la réglementation italienne

A – La législation administrative: le régime de concessions et d’autorisations

4.

La législation italienne stipule que l’exercice des activités de collecte et de gestion des paris suppose l’obtention d’une concession sur appel d’offres, puis d’une autorisation administrative de police.

1. Le régime des concessions

5.

En juillet 2006, le «décret Bersani» (décret-loi no 223 du 4 juillet 2006, converti par la loi no 248 du 4 août 2006) ( 6 ) a procédé à une réforme du secteur des jeux en Italie, destinée à poursuivre son adaptation au droit communautaire, en anticipant ainsi sur l’issue de l’arrêt Placanica e.a.

6.

Son article 38 («Mesures de lutte contre le jeu illégal») prévoit, sous son paragraphe 1, l’adoption avant le 31 décembre 2006 d’une série de dispositions «en vue de lutter contre la diffusion du jeu irrégulier et illégal et contre l’évasion et la fraude fiscales dans le secteur du jeu, ainsi que de garantir la protection des joueurs».

7.

L’article 38, paragraphe 2, dudit décret ( 7 ) établit les «nouvelles modalités de distribution des jeux sur les événements autres que les courses de chevaux», parmi lesquelles il convient de relever celles-ci:

il est prévu d’ouvrir au moins 7000 nouveaux points de vente [article 287, sous d), de la loi no 311], avec la fixation d’un nombre maximal par commune [sous e)];

les nouveaux points de vente doivent respecter une distance minimale par rapport à ceux déjà existants [sous f) et g)];

la disposition prévoit enfin la définition des «modalités de protection des titulaires d’une concession de collecte de paris à la cote sur les événements autres que les courses de chevaux régies par le [règlement prévu au] décret du ministre de l’Économie et des Finances no 111 du 1er mars 2006» [sous l)].

8.

L’article 38 ( 8 ) comporte, sous son paragraphe 4, des dispositions analogues pour les paris sur les courses hippiques.

2. Les autorisations de police

9.

Ce système de concessions dans le secteur des jeux est lié à un mécanisme d’autorisations de police régi par le décret royal no 773 du 18 juin 1931 ( 9 ), selon lequel la licence permettant d’exercer l’activité d’organisation ou d’exploitation de paris est exclusivement délivrée aux titulaires d’une concession ou aux personnes à qui ceux-ci l’ont déléguée.

B – Le droit pénal

10.

Le fait d’organiser des jeux, y compris par voie télématique ou téléphonique, sans être titulaire de la concession ou de l’autorisation obligatoires constitue en Italie un délit pénal passible d’une peine de détention pouvant atteindre trois années (article 4 de la loi no 401 du 13 décembre 1989) ( 10 ).

III – Les litiges au principal et la question préjudicielle

A – La société Stanley International Betting et sa situation en Italie après le décret Bersani et les appels d’offres de 2006

11.

Stanley International Betting Ltd (ci-après «Stanley») est une société anglaise autorisée à opérer comme collecteur de paris au Royaume-Uni en vertu d’une licence délivrée par les autorités de Liverpool.

12.

Stanley opère en Italie par l’intermédiaire de plus de 200 agences, communément appelées «centres de transmission de données» (ci-après les «CTD»). Ces derniers offrent leurs services dans des locaux ouverts au public dans lesquels ils mettent à disposition des parieurs un parcours télématique qui leur permet d’accéder au serveur de Stanley situé au Royaume-Uni. Les parieurs peuvent ainsi, par voie télématique, adresser à Stanley des propositions de paris sportifs choisies dans des programmes d’événements et de cotations fournis par Stanley, recevoir l’acceptation de ces propositions, payer leurs mises et, le cas échéant, percevoir leurs gains.

13.

Les CTD sont gérés par des opérateurs indépendants liés par contrat à Stanley. MM. Costa et Cifone sont gérants de CTD de Stanley en Italie.

14.

En 1999, les autorités italiennes ont lancé un appel d’offres pour l’attribution de 1000 concessions pour la commercialisation de paris sur des compétitions sportives pour une période de six années renouvelable pour six autres années. En vertu des dispositions relatives à la transparence de l’actionnariat alors en vigueur, les opérateurs qui, comme Stanley, étaient constitués en sociétés cotées sur des marchés réglementés ont été exclus de ces adjudications.

15.

Après que la Cour eut censuré ces dispositions dans ses arrêts Zenatti et Gambelli e.a., le législateur italien a permis à toutes les sociétés de capitaux, quelle que soit leur forme juridique, de participer aux appels d’offres pour l’attribution de concessions de jeux (article 22, paragraphe 11, de la loi no 289 du 27 décembre 2002) ( 11 ), et supprimé l’interdiction faite aux concessionnaires d’opérer par l’intermédiaire de tiers délégués à cette fin (article 14 ter du décret-loi no 35 du 14 mars 2005, converti en loi no 80 du 14 mai 2005) ( 12 ).

16.

Ces modifications ont été suivies de la réforme opérée par le décret Bersani, précité, en application duquel l’administration autonome des monopoles de l’État (ci-après l’«AAMS») a publié deux avis de marché en vue de l’adjudication de plus de 16000 nouvelles concessions pour la commercialisation de paris sur les événements sportifs, y compris les courses hippiques. Les procédures se sont achevées en décembre 2006, avec l’adjudication de 14000 nouvelles concessions en faveur de différents opérateurs nationaux et étrangers.

17.

Stanley a manifesté auprès des autorités italiennes son souhait de participer aux nouveaux appels d’offres de 2006, en demandant à l’AAMS plusieurs explications sur les modalités de l’appel d’offres. Stanley a en particulier demandé des éclaircissements sur l’article 23 du projet de convention entre l’AAMS et les futurs bénéficiaires de ces nouvelles concessions, qui prévoyait la déchéance de celles-ci, notamment, dans les cas suivants:

lorsqu’«ont été prises à l’égard du concessionnaire, de son représentant légal ou de ses administrateurs, des mesures conservatoires...

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