Traghetti del Mediterraneo SpA v Repubblica italiana.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2005:602
Date11 October 2005
Celex Number62003CC0173
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-173/03

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Philippe LÉger

présentées le 11 octobre 2005 (1)

Affaire C‑173/03

Traghetti del Mediterraneo SpA

contre

Repubblica italiana

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Genova (Italie)]

«Responsabilité d’un État membre pour les dommages causés aux particuliers en cas de violation du droit communautaire imputable à une juridiction suprême – Conditions de fond – Réglementation nationale excluant l’engagement de la responsabilité de l’État lorsque la violation en cause procède de l’interprétation des règles de droit ou de l’appréciation des faits et des preuves, et limitant l’engagement de ladite responsabilité aux cas de dol ou de faute grave»





1. Le droit communautaire s’oppose-t-il à ce que l’engagement de la responsabilité d’un État membre pour les dommages causés aux particuliers en cas de violation du droit communautaire imputable à une juridiction suprême soit, d’une part, exclu lorsque la violation en cause est liée à l’interprétation des règles de droit ou à l’appréciation des faits et des preuves et, d’autre part, limité – en dehors de cette hypothèse – aux cas de dol ou de faute grave?

2. Telle est, en substance, la question posée par le Tribunale di Genova (Italie) dans le cadre d’un litige opposant une entreprise de transport maritime (actuellement en liquidation) à l’État italien à la suite de l’octroi par ce dernier de subventions directes en faveur d’une entreprise concurrente.

3. Cette question invite la Cour à préciser la portée du principe de la responsabilité d’un État membre pour les dommages causés aux particuliers en cas de violation du droit communautaire imputable à une juridiction suprême, qui a été dégagé par la Cour dans l’arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (2).

I – Le cadre juridique

A – La réglementation communautaire

4. La réglementation communautaire pertinente à la date des faits à l’origine du litige au principal est celle qui régit, dans le traité CE, les aides d’État ainsi que l’abus de position dominante.

5. S’agissant des aides d’État, elles font l’objet d’une interdiction de principe. En effet, l’article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 87, paragraphe 1, CE) énonce que, «[s]auf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions».

6. Plusieurs dérogations à cette interdiction de principe sont prévues par le traité. Seules certaines d’entre elles sont susceptibles de présenter un intérêt dans le cadre du litige au principal.

7. Il s’agit, tout d’abord, de celle prévue à l’article 92, paragraphe 3, sous a) et c), du traité, en faveur des aides à finalité régionale (3). Ces dernières sont susceptibles d’être considérées comme compatibles avec le marché commun.

8. L’article 77 du traité CE (devenu article 73 CE) prévoit un autre type de dérogation, spécifique au secteur des transports, concernant les aides qui correspondent au besoin de la coordination des transports ou au remboursement des charges inhérentes aux obligations de service public. De telles aides sont compatibles avec le traité.

9. Une dérogation supplémentaire figure à l’article 90, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 2, CE) en faveur des entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général. En effet, ces dernières «sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie». Cette dérogation vaut uniquement sous réserve que «le développement des échanges ne [soit] pas […] affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté».

10. La Commission des Communautés européennes est en principe seule compétente pour se prononcer sur la compatibilité des aides, à l’exclusion des juridictions nationales (4). À cet effet, le contrôle opéré par la Commission obéit à des règles différentes selon que les aides concernées sont existantes ou nouvelles. Alors que les aides existantes sont soumises à un contrôle permanent, postérieurement à leur octroi, afin de vérifier si celles-ci demeurent compatibles avec le marché commun, les aides nouvelles font en revanche l’objet d’un contrôle préalable à leur octroi, à un stade où ces dernières ne sont encore qu’à l’état de projets.

11. Pour permettre à la Commission d’exercer un tel contrôle préalable, l’article 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 3, CE) impose aux États membres l’obligation de notifier à la Commission leurs projets d’aides nouvelles. Outre cette obligation de notification, les États membres sont tenus, en vertu du même article, de ne pas mettre à exécution leurs projets d’aides nouvelles tant que la Commission n’a pas rendu de décision finale admettant leur compatibilité. Ces deux obligations sont cumulatives. Ainsi, une aide nouvelle doit être considérée comme illégale lorsqu’elle a été octroyée sans avoir été notifiée à la Commission ou, lorsqu’elle a été régulièrement notifiée mais a été octroyée avant que la Commission ne se soit prononcée dans les délais requis sur sa compatibilité (5).

12. Ces dispositions de l’article 93, paragraphe 3, du traité sont dotées d’un effet direct de sorte qu’elles engendrent en faveur des particuliers des droits que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder (6).

13. S’agissant de l’abus de position dominante, il fait l’objet d’une interdiction générale et systématique. En effet, l’article 86, premier alinéa, du traité CE (devenu article 82, premier alinéa, CE) prévoit que «est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci». Ces dispositions sont également dotées d’un effet direct (7).

14. Les règles du traité en matière d’aides d’État et d’abus de position dominante sont applicables au secteur des transports, y compris à celui des transports maritimes (8).

B – La réglementation nationale

15. En Italie, la responsabilité de l’État du fait de l’activité juridictionnelle est régie par la loi n° 117, sur la réparation des dommages causés dans l’exercice des fonctions juridictionnelles et la responsabilité civile des magistrats (legge n° 117, [sul] risarcimento dei danni cagionati nell’esercizio delle funzioni giudiziarie e responsabilità civile dei magistrati), du 13 avril 1988 (9).

16. La réglementation nationale litigieuse a été adoptée par le législateur à la suite d’un référendum, intervenu en novembre 1987, par lequel ont été abrogées les dispositions législatives qui régissaient antérieurement la matière (10).

17. L’article 2, paragraphe 1, de la réglementation nationale litigieuse pose le principe selon lequel «[t]oute personne ayant subi un préjudice injustifié en raison d’un comportement, d’un acte ou d’une mesure judiciaire mise en œuvre par un magistrat (11) s’étant rendu coupable de dol ou de faute grave dans l’exercice de ses fonctions, ou en raison d’un déni de justice, peut agir contre l’État pour obtenir réparation des dommages patrimoniaux qu’elle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui découlent de la privation de la liberté personnelle».

18. Par dérogation à ce principe, le deuxième paragraphe dudit article prévoit que, «[d]ans l’exercice des fonctions juridictionnelles, l’interprétation des règles de droit et l’appréciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu à responsabilité». Une telle exclusion de la responsabilité de l’État a été, semble-t-il, inspirée par le souci de préserver l’indépendance des juges, qui constitue un principe à valeur constitutionnelle (12).

19. La notion de «faute grave», au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la réglementation litigieuse, recouvre plusieurs cas de figure qui sont énumérés au paragraphe 3 dudit article. Ainsi, «[s]ont constitutifs d’une faute grave:

a) une violation grave de la loi résultant d’une négligence inexcusable;

b) l’affirmation, due à une négligence inexcusable, d’un fait dont la réalité est incontestablement réfutée par les pièces du dossier;

c) la négation, due à une négligence inexcusable, d’un fait dont la réalité est incontestablement établie par les pièces du dossier;

d) l’adoption d’une mesure concernant la liberté personnelle en dehors des cas prévus par la loi ou sans motivation».

20. Quant à la notion de «déni de justice», qui est également visée à l’article 2, paragraphe 1, de la réglementation nationale litigieuse, elle est définie à son article 3, paragraphe 1, comme «le refus, l’omission ou le retard du magistrat dans l’accomplissement d’actes relevant de sa compétence lorsque, après l’échéance du délai légal pour l’accomplissement de l’acte en cause, la partie a présenté une demande en vue de l’obtention d’un tel acte et que, sans raison valable, aucune mesure n’a été prise dans les trente jours qui ont suivi la date de dépôt de ladite demande au greffe […]».

21. Une action mettant en cause la responsabilité de l’État du fait de l’activité juridictionnelle est formée contre le président du Conseil des ministres italien (13). Une demande en réparation, formulée dans le cadre d’une telle action, donne lieu à un examen préliminaire par la juridiction compétente qui se prononce sur son admissibilité. Selon l’article 5, paragraphe 3, de la réglementation nationale litigieuse, une telle demande est déclarée inadmissible lorsqu’elle ne remplit pas les conditions et critères...

To continue reading

Request your trial
5 practice notes
  • The Queen, on the application of International Association of Independent Tanker Owners (Intertanko) and Others v Secretary of State for Transport.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • November 20, 2007
    ...del Abogado General Léger presentadas el 11 de octubre de 2005, en el asunto Traghetti del Mediterraneo (sentencia de 13 de junio de 2006, C‑173/03, Rec. p. I‑5177), punto 100. 67 – Reglamento (CEE) nº 2913/92 del Consejo, de 12 de octubre de 1992, por el que se aprueba el Código aduanero c......
  • Conclusiones del Abogado General Sr. Y. Bot, presentadas el 16 de mayo de 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • May 16, 2019
    ...apartado 24, y compárese con las conclusiones del Abogado General Léger presentadas en el asunto Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2005:602), punto 73 C‑168/15, EU:C:2016:602. 74 Véase la sentencia de 28 de julio de 2016, Tomášová (C‑168/15, EU:C:2016:602), apartado 20 y jurisprude......
  • European Commission v Slovak Republic.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • September 9, 2010
    ...ECR I-14637. 23 – Case C-154/08 [2009] ECR I-0000. 24 – Case C-2/08 [2009] ECR I-0000. 25 – Case C-126/97 [1999] ECR I-3055. 26 – Case C-173/03 [2006] ECR I-5177. 27 – Case C-2/06 [2008] ECR I-411. 28 – Many academic writers took the same view; for example, Germelmann, C.F., EWS, 9/2007, p.......
  • Traghetti del Mediterraneo SpA v Repubblica italiana.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • June 13, 2006
    ...C‑173/03 Traghetti del Mediterraneo SpA, en liquidación, contra Repubblica italiana (Petición de decisión prejudicial planteada por el Tribunale di Genova) «Responsabilidad extracontractual de los Estados miembros — Daños causados a los particulares por violaciones del Derecho comunitario i......
  • Request a trial to view additional results
5 cases
  • The Queen, on the application of International Association of Independent Tanker Owners (Intertanko) and Others v Secretary of State for Transport.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • November 20, 2007
    ...del Abogado General Léger presentadas el 11 de octubre de 2005, en el asunto Traghetti del Mediterraneo (sentencia de 13 de junio de 2006, C‑173/03, Rec. p. I‑5177), punto 100. 67 – Reglamento (CEE) nº 2913/92 del Consejo, de 12 de octubre de 1992, por el que se aprueba el Código aduanero c......
  • Conclusiones del Abogado General Sr. Y. Bot, presentadas el 16 de mayo de 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • May 16, 2019
    ...apartado 24, y compárese con las conclusiones del Abogado General Léger presentadas en el asunto Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2005:602), punto 73 C‑168/15, EU:C:2016:602. 74 Véase la sentencia de 28 de julio de 2016, Tomášová (C‑168/15, EU:C:2016:602), apartado 20 y jurisprude......
  • European Commission v Slovak Republic.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • September 9, 2010
    ...ECR I-14637. 23 – Case C-154/08 [2009] ECR I-0000. 24 – Case C-2/08 [2009] ECR I-0000. 25 – Case C-126/97 [1999] ECR I-3055. 26 – Case C-173/03 [2006] ECR I-5177. 27 – Case C-2/06 [2008] ECR I-411. 28 – Many academic writers took the same view; for example, Germelmann, C.F., EWS, 9/2007, p.......
  • Traghetti del Mediterraneo SpA v Repubblica italiana.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • June 13, 2006
    ...C‑173/03 Traghetti del Mediterraneo SpA, en liquidación, contra Repubblica italiana (Petición de decisión prejudicial planteada por el Tribunale di Genova) «Responsabilidad extracontractual de los Estados miembros — Daños causados a los particulares por violaciones del Derecho comunitario i......
  • Request a trial to view additional results

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT