Koninklijke Philips Electronics NV (C-446/09) v Lucheng Meijing Industrial Company Ltd and Others and Nokia Corporation (C-495/09) v Her Majesty’s Commissioners of Revenue and Customs.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:45
Docket NumberC-495/09,C-446/09
Celex Number62009CC0446
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date03 February 2011

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 3 février 2011 (1)

Affaire C‑446/09

Koninklijke Philips Electronics NV

contre

Lucheng Meijing Industrial Company Ltd

Far East Sourcing Ltd

Röhlig Hong Kong Ltd

Röhlig Belgium NV

[demande de décision préjudicielle formée par le rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen (Belgique)]

Affaire C-495/09

Nokia Corporation

contre

Her Majesty’s Commissioners of Revenue and Customs

[demande de décision préjudicielle formée par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni)]

«Marchandises en transit externe – Droits de propriété intellectuelle – Règlements (CE) n° 3295/94 et n° 1383/2003 – Assimilation des marchandises en transit aux marchandises produites sur le territoire de l’Union (‘fiction de la fabrication’) – Conditions de l’intervention des autorités douanières dans le cas de marchandises en transit contrefaites ou pirates – Soupçons d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle»





Table des matières


I – Introduction

II – Le cadre juridique

A – Le règlement n° 3295/94

B – Le règlement n° 1383/2003

III – Les litiges au principal et les questions préjudicielles

A – L’affaire Philips

B – L’affaire Nokia

IV – La procédure devant la Cour

V – Observation préliminaire: similitudes et différences entre les affaires Nokia et Philips

VI – Analyse de la question préjudicielle dans l’affaire Philips

A – La «fiction de la fabrication» ne découle pas du libellé de la disposition invoquée

B – L’interprétation proposée par Philips va au-delà des objectifs de l’ancien règlement douanier

C – Le bilan global de la jurisprudence ne va pas en faveur de la «fiction de la fabrication»

D – Conclusion

VII – Analyse de la question préjudicielle dans l’affaire Nokia

A – Considérations préliminaires

B – Les articles 1er, 4 et 9 du règlement de 2003 prévoient un critère spécifique pour justifier l’intervention: les «soupçons» de violation

C – Les autorités douanières ne peuvent pas anticiper le sens que prendra la future décision sur le fond

D – Des exigences excessives en matière de preuve pourraient rendre inutile l’étendue du champ d’application du règlement

E – Le règlement de 2003 introduit le critère des «soupçons»

VIII – Conclusion

A – Concernant la question préjudicielle du rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen (affaire C-446/09)

B – Concernant la question préjudicielle de la Court of Appeal (England & Wales) (affaire C-495/09)

I – Introduction

1. Dans les présentes affaires jointes, deux juridictions nationales posent chacune une question préjudicielle portant sur l’interprétation de la réglementation de l’Union relative à la conduite que doivent tenir des autorités douanières confrontées à d’éventuelles violations de droits de propriété intellectuelle.

2. Plus concrètement, les deux affaires concernent des marchandises présumées de contrefaçon ou pirates qui étaient en «transit externe», une forme du régime douanier suspensif qui, conformément à l’article 91, paragraphe 1, sous a), du code des douanes communautaire (2), permet «la circulation d’un point à un autre du territoire douanier de la Communauté […] de marchandises non communautaires sans que ces marchandises soient soumises aux droits à l’importation et aux autres impositions ni aux mesures de politique commerciale». Comme il ressort de la jurisprudence, ce «transit externe» repose sur une fiction juridique, car tout se passe comme si ces marchandises non communautaires n’étaient jamais entrées sur le territoire d’un État membre (3).

3. Dans la première de ces affaires, Koninklijke Philips Electronics NV contre Lucheng Meijing Industrial Company Ltd et autres, (C‑446/09, ci-après l’«affaire Philips»), la demanderesse au principal demande que, dans le cadre de la fiction juridique que constitue le transit externe, il soit fait application d’une autre fiction, baptisée «fiction de la fabrication», en vertu de laquelle les marchandises non communautaires en transit seraient traitées comme si elles avaient été fabriquées dans l’État membre sur le territoire duquel elles se trouvent et seraient donc soumises à la réglementation protectrice de la propriété intellectuelle applicable dans ledit État membre. Cette approche permettrait d’éviter la charge relative à la preuve du fait que ces marchandises vont être commercialisées dans l’Union, qui constitue une condition en principe indispensable pour obtenir la protection de tout droit de propriété intellectuelle.

4. Dans la seconde affaire, Nokia Corporation contre Her Majesty’s Commissioners of Revenue and Customs (C-495/09, ci-après l’«affaire Nokia»), les autorités douanières britanniques ont rejeté la demande d’intervention de cette société, relative à des marchandises apparemment contrefaites, au motif que leur destination était la Colombie et qu’il n’existait pas d’indices en ce sens que ces marchandises seraient détournées vers le marché de l’Union européenne. La juridiction de renvoi demande à la Cour si une telle preuve est indispensable pour que les marchandises puissent être qualifiées de «contrefaçons» aux fins de la réglementation douanière et que les autorités douanières puissent, en définitive, procéder à leur retenue.

5. Les présentes affaires jointes permettront ainsi à la Cour, sur le fond d’une situation jurisprudentielle quelque peu embrouillée, de préciser si les règlements douaniers ont une incidence ou non sur le régime matériel de la propriété intellectuelle dans le contexte de marchandises en transit et de déterminer les possibilités d’action des autorités douanières confrontées à de telles marchandises.

II – Le cadre juridique

6. Les présentes questions préjudicielles ont pour objet la réglementation communautaire relative à la conduite des autorités douanières confrontées à d’éventuelles violations des droits de propriété intellectuelle.

7. En particulier, l’affaire Philips porte sur le règlement (CE) n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant certaines mesures concernant l’introduction dans la Communauté et l’exportation et la réexportation hors de la Communauté de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (4) (ci‑après l’«ancien règlement douanier» ou le «règlement de 1994»). En revanche, dans l’affaire Nokia, c’est le règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (5) (ci-après le «nouveau règlement douanier» ou le «règlement de 2003»), qui a abrogé et remplacé le règlement de 1994, qui s’applique.

8. Ces deux règlements ont été adoptés sur le fondement de l’article 133 CE (6), relatif à la politique commerciale commune, dont le paragraphe 1 dispose que «[l]a politique commerciale commune est fondée sur des principes uniformes, notamment en ce qui concerne les modifications tarifaires, la conclusion d’accords tarifaires et commerciaux, l’uniformisation des mesures de libération, la politique d’exportation, ainsi que les mesures de défense commerciale, dont celles à prendre en cas de dumping et de subventions» (7).

9. Aussi bien l’ancien que le nouveau règlement douanier délimitent leur champ d’application en renvoyant aux différentes situations douanières dans lesquelles peuvent se trouver les marchandises susceptibles de faire l’objet d’une intervention et en définissant, à cette fin, la notion de «marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle».

10. Les deux règlements prévoient une première intervention préalable des autorités douanières (article 4 des deux règlements), suivie d’une éventuelle demande d’intervention introduite par le titulaire du droit de propriété intellectuelle (article 3 du règlement de 1994 et article 5 du règlement de 2003), de l’éventuelle acceptation de cette dernière, de l’adoption des mesures adéquates et, le cas échéant, de l’ouverture d’une procédure «au fond» devant l’autorité compétente.

A – Le règlement n° 3295/94 (8)

11. L’article 1er définit le champ d’application du règlement:

«1. Le présent règlement détermine:

a) les conditions d’intervention des autorités douanières lorsque des marchandises soupçonnées d’être des marchandises visées au paragraphe 2, point a), sont:

– déclarées pour la mise en libre pratique, l’exportation ou la réexportation conformément à l’article 61 du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire,

– découvertes à l’occasion d’un contrôle effectué sur des marchandises, sous surveillance douanière conformément à l’article 37 du règlement (CEE) n° 2913/92, placées sous un régime suspensif au sens de l’article 84, paragraphe 1, point a), dudit règlement, réexportées moyennant notification ou placées en zone franche ou entrepôt franc au sens de l’article 166 dudit règlement; et

b) les mesures à prendre par les autorités compétentes à l’égard de ces mêmes marchandises lorsqu’il est établi qu’elles sont effectivement des marchandises visées au paragraphe 2, point a).

2. Aux fins du présent règlement, on entend par:

a) ‘marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle’:

– les ‘marchandises de contrefaçon’, à savoir:

– les marchandises, y compris leur conditionnement, sur lesquelles a été apposée sans autorisation une marque de fabrique ou de commerce qui est identique à la marque de fabrique ou de commerce dûment enregistrée pour les mêmes types de marchandises, ou qui ne peut être distinguée dans ses aspects essentiels de cette marque de fabrique ou de commerce et qui de ce fait porte atteinte aux droits du titulaire de la marque en question selon la législation communautaire ou celle de l’État membre où la demande d’intervention des...

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