Janko Rottman v Freistaat Bayern.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2009:588
Docket NumberC-135/08
Celex Number62008CC0135
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date30 September 2009

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. POIARES MADURO

présentées le 30 septembre 2009 (1)

Affaire C‑135/08

Janko Rottmann

contre

Freistaat Bayern

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne)]

«Citoyenneté européenne – Perte – Déchéance de la nationalité de l’État membre d’origine au moment de l’acquisition de la nationalité d’un autre État membre – Retrait de la nouvelle nationalité en raison de manœuvres frauduleuses ayant accompagné son acquisition»





1. Le présent renvoi préjudiciel pose pour la première fois la question de l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont disposent les États membres pour déterminer leurs nationaux. Dans la mesure où la citoyenneté de l’Union européenne, qui dépend, certes, de la jouissance de la condition nationale d’un État membre, est instaurée par le traité, la compétence des États membres pour fixer les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité peut‑elle encore être exercée sans aucun droit de regard du droit communautaire? Tel est, en substance, le point en litige dans cette affaire. Celle-ci invite ainsi à préciser les rapports entre les concepts de nationalité d’un État membre et de citoyenneté de l’Union, question, faut‑il le souligner, largement déterminante de la nature de l’Union européenne.

I – Le litige au principal et les questions préjudicielles

2. Le requérant au principal, M. Rottmann, est né à Graz (Autriche) en 1956 et a acquis la citoyenneté autrichienne de par sa naissance sur le territoire de cet État. Par l’effet de l’adhésion de la République d’Autriche à l’Union, le 1er janvier 1995, il est également devenu citoyen de l’Union en sa qualité de ressortissant autrichien.

3. Suite à une enquête diligentée à son encontre par la police fédérale de Graz en raison de soupçons pesant sur lui d’activités frauduleuses graves dans l’exercice de sa profession, il a été entendu en qualité d’inculpé, en juillet 1995, par le Landesgericht für Strafsachen (juridiction pénale) de Graz. Par la suite, il a quitté l’Autriche et s’est installé à Munich (Allemagne). En février 1997, le Landesgericht für Strafsachen de Graz a lancé à son encontre un mandat d’arrêt national.

4. En février 1998, le demandeur au principal a sollicité sa naturalisation en Allemagne auprès de la ville de Munich. Dans le formulaire qu’il a dû remplir à cet effet, il a dissimulé le fait qu’il faisait l’objet de poursuites pénales en Autriche. Le document de naturalisation du 25 janvier 1999 a été délivré au demandeur le 5 février 1999. Par l’effet de l’acquisition de la nationalité allemande, M. Rottmann a perdu la nationalité autrichienne, conformément au droit autrichien de la nationalité (2).

5. En août 1999, la ville de Munich a été informée par les autorités autrichiennes que M. Rottmann faisait l’objet d’un mandat d’arrêt dans leur pays et qu’il avait déjà été entendu en qualité d’inculpé en juillet 1995 par le Landesgericht für Strafsachen de Graz. Au vu de ces informations, la partie défenderesse au principal, le Land de Bavière, a retiré la naturalisation, par décision du 4 juillet 2000, au motif que le requérant avait dissimulé qu’il faisait l’objet d’une information judiciaire en Autriche et qu’il avait par conséquent obtenu frauduleusement la nationalité allemande. Pour prendre cette décision de retrait, les autorités allemandes se sont fondées sur l’article 48, paragraphe 1, du code de procédure administrative du Land de Bavière (BayVwVfG), d’après lequel «un acte administratif illégal peut, alors même qu’il est devenu définitif, être retiré, en tout ou en partie, avec effet pour l’avenir ou rétroactivement. […]».

6. Le requérant a formé un recours en annulation contre cette décision, en faisant valoir que le retrait de sa naturalisation le placerait, en méconnaissance du droit international public, en situation d’apatridie et que le statut d’apatride entraînerait également, en violation du droit communautaire, la perte de la citoyenneté de l’Union. Son recours ayant été rejeté en première instance et en appel, M. Rottmann a introduit un recours en révision devant le Bundesverwaltungsgericht.

7. Nourrissant des doutes sur la compatibilité de la décision de retrait litigieuse et de l’arrêt en appel avec le droit communautaire et, notamment, avec l’article 17, paragraphe 1, CE, en raison de la perte de la citoyenneté européenne qui accompagne normalement la perte de la nationalité allemande et l’apatridie qui en résulte, le Bundesverwaltungsgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Le droit communautaire s’oppose‑t‑il à la conséquence juridique de la perte de la citoyenneté de l’Union européenne (ainsi que des droits et libertés fondamentales qui y sont liés), résultant du fait que le retrait d’une naturalisation dans un État membre (Allemagne) obtenue par le biais d’une fraude intentionnelle, retrait qui est en soi légal en application du droit national applicable (allemand), a pour conséquence que la personne concernée devient apatride du fait que, comme tel est le cas en l’espèce du requérant, elle ne retrouve pas la nationalité qu’elle avait à l’origine, en raison des dispositions applicables du droit de l’autre État membre (Autriche).

2) Dans le cas où la première question appelle une réponse affirmative: l’État membre (Allemagne) qui a naturalisé un citoyen de l’Union européenne et entend procéder au retrait d’une naturalisation obtenue frauduleusement doit‑il s’abstenir de le faire si ou aussi longtemps que ce retrait de la naturalisation aurait pour conséquence la perte de la citoyenneté de l’Union (ainsi que des droits et libertés fondamentales qui y sont liés) ou l’État membre (Autriche) de la nationalité initiale est‑il tenu, pour respecter le droit communautaire, d’interpréter, d’appliquer ou encore d’adapter son droit national de manière à éviter une telle conséquences juridique»?

II – Sur la recevabilité du renvoi préjudiciel

8. Avant de tenter d’apporter une réponse aux questions posées, il convient d’écarter l’objection soulevée par certains États membres et par la Commission des Communautés européennes, selon laquelle la situation en cause, en ce qu’elle ne revêtirait qu’une dimension purement interne, ne relèverait pas du champ du droit communautaire, si bien que le renvoi préjudiciel serait irrecevable.

9. La citoyenneté de l’Union, fût‑elle constitutive d’un «statut fondamental des ressortissants des États membres» (3), n’a pas, il est vrai, pour objectif d’étendre le champ d’application matériel du traité à des situations internes n’ayant aucun rattachement avec le droit communautaire (4). Elle ne saurait donc être invoquée dans de telles situations.

10. Il serait cependant à l’évidence erroné de considérer, comme cela semble ressortir des observations de certains États membres, qu’on est en présence d’une situation purement interne, sous prétexte que la matière faisant l’objet du litige, ici l’acquisition et la perte de la nationalité, serait réglée exclusivement par le droit national. Qu’il suffise de rappeler qu’il a été jugé que le fait que les règles régissant le nom d’une personne ressortissent à la compétence des États membres ne saurait les faire nécessairement échapper à l’emprise du droit communautaire (5). Certes, sauf à élargir le domaine du traité, les dispositions nationales relatives à l’acquisition et à la perte de la nationalité ne sauraient entrer dans le champ d’application du droit communautaire au seul motif qu’elles peuvent conduire à l’acquisition ou à la perte de la citoyenneté de l’Union. Cependant, même si une situation a trait à une matière dont la réglementation ressortit à la compétence des États membres, elle relève du champ d’application ratione materiae du droit communautaire, dès lors qu’elle comporte un élément d’extranéité, c’est‑à‑dire une dimension transfrontalière. Ne constitue, en effet, une situation purement interne qu’une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (6).

11. À cet égard, on ne saurait à bon droit contester la présence d’un élément d’extranéité au motif que, une fois la nationalité allemande obtenue, les rapports juridiques du requérant au principal avec la République fédérale d’Allemagne seraient devenus ceux d’un ressortissant de cet État et que, en particulier, le retrait de la naturalisation est un acte administratif allemand adressé à un ressortissant allemand résidant en Allemagne. C’est faire fi de l’origine de la situation de M. Rottmann. C’est en faisant usage de la liberté de circulation et de séjour attachée à la citoyenneté de l’Union dont il bénéficiait en sa qualité de ressortissant autrichien que M. Rottmann s’est rendu en Allemagne et y a fixé sa résidence en 1995, afin d’ouvrir la voie à une procédure de naturalisation. Si c’est conformément aux conditions imposées par le droit national qu’il a acquis le statut de ressortissant allemand et perdu celui de ressortissant autrichien, ce n’est donc qu’à la suite de l’exercice d’une liberté fondamentale (7) que le droit communautaire lui confère. Or, de jurisprudence établie, des situations relatives à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité, notamment de celles relevant de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres telle que conférée par l’article 18 CE, ne sauraient être considérées comme des situations internes sans rattachement au droit communautaire (8).

12. A ainsi été considérée comme entrant dans le champ du droit communautaire la situation d’un contribuable résidant en Allemagne qui ne pouvait, en vertu de la réglementation allemande, déduire de son revenu imposable dans cet État membre la pension alimentaire versée à son ex‑épouse résidant en Autriche, alors qu’il en aurait eu le droit si celle‑ci résidait encore en Allemagne. Il en a été jugé ainsi, bien que le contribuable n’eût pas...

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