ThyssenKrupp Nirosta GmbH v European Commission.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:635
CourtCourt of Justice (European Union)
Docket NumberC-352/09
Date26 October 2010
Celex Number62009CC0352
Procedure TypeRecurso de anulación

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Yves Bot

présentées le 26 octobre 2010 (1)

Affaire C‑352/09 P

ThyssenKrupp Nirosta GmbH, anciennement ThyssenKrupp Nirosta AG, anciennement ThyssenKrupp Stainless AG

contre

Commission européenne

«Pourvoi – Concurrence – Ententes sur le marché des produits plats en acier inoxydable – Annulation d’une décision de la Commission – Adoption d’une nouvelle décision après l’expiration du traité CECA – Choix de la base juridique – Continuité de l’ordre juridique communautaire et cohérence des traités – Principes régissant l’application de la loi dans le temps – Principe de l’autorité de la chose jugée – Conditions en vertu desquelles l’autorité de la chose jugée peut être étendue à un motif de l’arrêt – Respect du principe du contradictoire et du droit à un procès équitable – Imputabilité des infractions – Responsabilité d’une entreprise pour l’infraction aux règles de la concurrence commise par une autre entreprise sur le fondement d’une déclaration unilatérale – Absence de continuité économique – Principe de la responsabilité personnelle et de la personnalité des peines – Prescription – Objet de la suspension – Effet erga omnes ou inter partes – Effet d’un arrêt d’annulation sur le calcul du délai de prescription»





1. La présente affaire a pour objet le pourvoi formé par ThyssenKrupp Nirosta GmbH (2) à l’encontre de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 1er juillet 2009, ThyssenKrupp Stainless/Commission (3).

2. Cette affaire a pour origine la décision 2007/486/CE de la Commission, du 20 décembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (Affaire COMP/F/39.234 – Extra d’alliage, réadoption) (4). Par cette décision, la Commission des Communautés européennes a constaté que Thyssen Stahl AG (5) a enfreint, du 16 décembre 1993 au 31 décembre 1994, l’article 65 CA en modifiant et en appliquant les valeurs de référence de la formule de calcul d’un extra d’alliage. À ce titre, la Commission a infligé une amende de 3 168 000 euros à TKS.

3. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les demandes de TKS tendant, d’une part, à l’annulation de la décision litigieuse et, d’autre part, à la réduction de l’amende.

4. En substance, ce pourvoi soulève plusieurs questions relatives à l’application de principes fondamentaux du droit au contentieux de la concurrence. Certaines de ces questions sont identiques, voire étroitement liées à celles qui se posent dans le cadre des pourvois introduits contre l’arrêt du Tribunal du 31 mars 2009, ArcelorMittal Luxembourg e.a./Commission (6), dans les affaires jointes C‑201/09 P et C‑216/09 P, actuellement pendantes devant la Cour, dans lesquelles nous présentons également des conclusions.

5. La première question concerne la validité de la base juridique de la décision litigieuse. En effet, compte tenu de l’expiration du traité CECA et de l’absence de dispositions transitoires, la Commission s’est fondée sur les dispositions du règlement (CE) n° 1/2003 (7) pour constater et sanctionner l’infraction commise à l’article 65, paragraphe 1, CA. Sur ce point, nous considérerons que le Tribunal a légitimement pu considérer qu’une telle base juridique était valide.

6. La deuxième question concerne l’étendue de l’autorité de la chose jugée. Peut-on, sans débat contradictoire, considérer que le fond a été examiné? Il est évident que non. Et c’est en étendant l’autorité de la chose jugée à un point de droit de l’arrêt, qui n’a fait l’objet d’aucune contestation ni d’aucune discussion devant lui, que le Tribunal a, selon nous, commis une erreur de droit. En effet, aucun système de droit ne peut tolérer que le respect des garanties fondamentales du procès équitable, parmi lesquelles figure le principe du contradictoire, cède le pas à une extension démesurée de l’autorité de la chose jugée. Pour ces raisons, nous proposerons à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué.

7. La troisième question concerne l’imputabilité des pratiques. En substance, la question est de savoir si la Commission pouvait légitimement imputer à TKS la responsabilité de l’infraction commise par une autre entreprise, et ce sur le fondement d’une déclaration unilatérale émise par TKS. Nous considérerons qu’une telle imputabilité est illégale en tant qu’elle méconnaît le principe de la responsabilité personnelle et néglige la circonstance décisive, résultant d’une jurisprudence constante de la Cour, de l’absence de continuité économique entre les deux entreprises. Nous préciserons, en outre, qu’une autorité publique telle que la Commission, en charge de veiller à l’application des principes fixés à l’article 81 CE, ne peut déroger aux règles et aux principes relatifs à l’imputabilité des pratiques sur la base de conventions particulières établies par les entreprises.

8. Enfin, la quatrième question concerne l’interprétation des règles de prescription. La question est de savoir si la Commission est encore en mesure de condamner Thyssen au paiement d’une amende en raison des agissements anticoncurrentiels qu’elle a commis entre le 16 décembre 1993 et le 31 décembre 1994. D’une part, il conviendra d’examiner si, lorsqu’un recours est introduit devant le juge de l’Union, la suspension de la prescription a un effet relatif, c’est-à-dire qu’elle ne vaut qu’à l’égard de l’entreprise requérante, ou erga omnes, auquel cas la suspension de la prescription pendant la procédure juridictionnelle vaut à l’égard de toutes les entreprises ayant participé à l’infraction, qu’elles aient ou non formé un recours. D’autre part, il conviendra d’examiner les effets d’un arrêt d’annulation d’une décision de la Commission sur le calcul du délai de prescription. Après un examen de la nature et de la portée de la suspension de la prescription, nous soutiendrons que de telles poursuites sont prescrites depuis le 24 avril 2002.

I – Le cadre juridique

A – Les dispositions du traité CECA

9. L’article 65 CA dispose:

«1. Sont interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence et en particulier:

a) à fixer ou à déterminer les prix;

b) à restreindre ou à contrôler la production, le développement technique ou les investissements;

c) à répartir les marchés, produits, clients ou sources d’approvisionnement.

[…]

4. Les accords ou décisions interdits en vertu du paragraphe 1 du présent article sont nuls de plein droit et ne peuvent être invoqués devant aucune juridiction des États membres.

La [Commission] a compétence exclusive, sous réserve des recours devant la Cour, pour se prononcer sur la conformité avec les dispositions du présent article desdits accords ou décisions.

5. La [Commission] peut prononcer contre les entreprises qui auraient conclu un accord nul de plein droit, appliqué ou tenté d’appliquer, par voie d’arbitrage, dédit, boycott, ou tout autre moyen, un accord ou une décision nuls de plein droit ou un accord dont l’approbation a été refusée ou révoquée, ou qui obtiendraient le bénéfice d’une autorisation au moyen d’informations sciemment fausses ou déformées, ou qui se livreraient à des pratiques contraires aux dispositions du paragraphe 1, des amendes et astreintes au maximum égales au double du chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet de l’accord, de la décision ou de la pratique contraires aux dispositions du présent article, sans préjudice, si cet objet est de restreindre la production, le développement technique ou les investissements, d’un relèvement du maximum ainsi déterminé à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires annuel des entreprises en cause, en ce qui concerne l’amende, et de 20 % du chiffre d’affaires journalier, en ce qui concerne les astreintes.»

10. Conformément à l’article 97 CA, le traité CECA a expiré le 23 juillet 2002.

B – Les dispositions du traité CE

11. L’article 305, paragraphe 1, CE, abrogé à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, énonçait:

«Les dispositions du présent traité ne modifient pas celles du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, notamment en ce qui concerne les droits et obligations des États membres, les pouvoirs des institutions de cette Communauté et les règles posées par ce traité pour le fonctionnement du marché commun du charbon et de l’acier.»

C – Le règlement n° 1/2003

12. Le règlement n° 1/2003, nous le rappelons, est relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 CE et 82 CE.

13. L’article 7, paragraphe 1, de ce règlement est rédigé comme suit:

«Si la Commission, agissant d’office ou saisie d’une plainte, constate l’existence d’une infraction aux dispositions de l’article 81 [CE] ou 82 [CE], elle peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d’entreprises intéressées à mettre fin à l’infraction constatée […] Lorsque la Commission y a un intérêt légitime, elle peut également constater qu’une infraction a été commise dans le passé.»

14. En vertu de l’article 23, paragraphe 2, sous a), dudit règlement, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et aux associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions des articles 81 CE ou 82 CE.

15. L’article 25 du règlement n° 1/2003 édicte les dispositions relatives à la prescription des poursuites.

16. Ces règles sont en substance identiques à celles visées dans la décision n° 715/78/CECA de la Commission, du 6 avril 1978, relative à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (8).

17. En application de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision n° 715/78 et de l’...

To continue reading

Request your trial
5 practice notes
  • Conclusiones del Abogado General Sr. P. Pikamäe, presentadas el 9 de junio de 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 9 June 2022
    ...EU:C:1989:337, point 13)]. 26 Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire ThyssenKrupp Nirosta/Commission (C‑352/09 P, EU:C:2010:635, points 51 et 27 Voir, notamment, arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 78), et du 10 septembr......
  • Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 4 May 2023.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 4 May 2023
    ...be considered as being criminal (see, in that regard, Opinion of Advocate General Bot in ThyssenKrupp Nirosta v Commission (C‑352/09 P, EU:C:2010:635, point 50 and the case-law cited). 41 Article 49 of the Charter, which is entitled ‘Principles of legality and proportionality of criminal of......
  • Opinion of Advocate General Pitruzzella in Eltel Group and Eltel Networks
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 10 September 2020
    ...36 Sobre este tema, véanse las conclusiones del Abogado General Bot presentadas en el asunto ThyssenKrupp Nirosta/Comisión (C‑352/09 P, EU:C:2010:635), puntos 48 a 52, o también las conclusiones de la Abogada General Kokott presentadas en el asunto Schenker & Co. y otros (C‑681/11, EU:C:201......
  • Conclusiones del Abogado General Sr. G. Pitruzzella, presentadas el 3 de septiembre de 2020.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 3 September 2020
    ...EU:C:2017:936). 46 Véanse las conclusiones del Abogado General Bot presentadas en el asunto ThyssenKrupp Nirosta/Comisión (C‑352/09 P, EU:C:2010:635), puntos 88 y 89, en los que se establece que «en lo que atañe a las normas de procedimiento, se considera que estas son aplicables a todos lo......
  • Request a trial to view additional results
5 cases
  • Conclusiones del Abogado General Sr. P. Pikamäe, presentadas el 9 de junio de 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 9 June 2022
    ...EU:C:1989:337, point 13)]. 26 Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire ThyssenKrupp Nirosta/Commission (C‑352/09 P, EU:C:2010:635, points 51 et 27 Voir, notamment, arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 78), et du 10 septembr......
  • Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 4 May 2023.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 4 May 2023
    ...be considered as being criminal (see, in that regard, Opinion of Advocate General Bot in ThyssenKrupp Nirosta v Commission (C‑352/09 P, EU:C:2010:635, point 50 and the case-law cited). 41 Article 49 of the Charter, which is entitled ‘Principles of legality and proportionality of criminal of......
  • Opinion of Advocate General Pitruzzella in Eltel Group and Eltel Networks
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 10 September 2020
    ...36 Sobre este tema, véanse las conclusiones del Abogado General Bot presentadas en el asunto ThyssenKrupp Nirosta/Comisión (C‑352/09 P, EU:C:2010:635), puntos 48 a 52, o también las conclusiones de la Abogada General Kokott presentadas en el asunto Schenker & Co. y otros (C‑681/11, EU:C:201......
  • Conclusiones del Abogado General Sr. G. Pitruzzella, presentadas el 3 de septiembre de 2020.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 3 September 2020
    ...EU:C:2017:936). 46 Véanse las conclusiones del Abogado General Bot presentadas en el asunto ThyssenKrupp Nirosta/Comisión (C‑352/09 P, EU:C:2010:635), puntos 88 y 89, en los que se establece que «en lo que atañe a las normas de procedimiento, se considera que estas son aplicables a todos lo......
  • Request a trial to view additional results

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT