CARTESIO Oktató és Szolgáltató bt.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:294
Date22 May 2008
Celex Number62006CC0210
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-210/06

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 22 mai 2008 (1)

Affaire C‑210/06

Cartesio Oktató és Szolgáltató Bt

[demande de décision préjudicielle formée par le Szegedi Ítélőtábla (Hongrie)]





1. La demande de décision préjudicielle a été soumise dans le cadre d’un appel interjeté contre une décision du Bács-Kiskun Megyei Bíróság (tribunal départemental de Bács-Kiskun, Hongrie), statuant en qualité de tribunal des sociétés (cégbíróság). La demande concerne une société en commandite simple qui souhaite transférer son administration centrale de Hongrie en Italie, tout en restant enregistrée en Hongrie, afin de continuer à relever de la loi hongroise. Toutefois, le Bács-Kiskun Megyei Bíróság, dans le cadre de l’exercice de sa mission de tenue du registre des sociétés, a refusé d’enregistrer la nouvelle adresse au motif que la loi hongroise ne permettait pas un tel transfert. Elle a estimé qu’une entreprise souhaitant déplacer son administration centrale dans un autre État membre devait auparavant être dissoute en Hongrie et se constituer à nouveau en conformité avec la loi nationale de cet État membre. Dans le cadre de la procédure en degré d’appel, le Szegedi Ítélőtábla (la cour d’appel régionale de Szeged, Hongrie) a demandé l’assistance de la Cour pour pouvoir décider si la réglementation hongroise concernée est compatible avec le droit d’établissement. En outre, la juridiction de renvoi soulève plusieurs questions concernant l’application de l’article 234 CE.

I – Les circonstances de la cause et le renvoi préjudiciel

2. Cartesio Oktató és Szolgáltató Bt (ci-après «Cartesio») est une société en commandite simple («betéti társaság») de droit hongrois, enregistrée comme ayant son siège social à Baja (Hongrie). Elle comprend deux associés, tous deux résidents et ressortissants hongrois, à savoir le commanditaire, tenu d’apporter une certaine quantité de capitaux et ne répondant des dettes de la société qu’à concurrence de son apport, et la commanditée, qui répond de toutes les dettes de la société (2).

3. Le 11 novembre 2005, Cartesio a déposé auprès du Bács-Kiskun Megyei Bíróság, statuant en qualité de cégbíróság, une demande de modification d’une mention du registre local des sociétés, afin d’y inscrire la nouvelle adresse de son administration centrale, à savoir «21013 Gallarate (Italie), via Roma n° 16». Cette juridiction a, cependant, rejeté la demande de Cartesio et a estimé que la loi hongroise ne permettait pas aux sociétés de transférer leur administration centrale dans un autre État membre tout en conservant leur qualité de société régie par le droit hongrois. Pour déplacer son administration centrale, il fallait que Cartesio soit dissoute en Hongrie et se constitue à nouveau selon le droit italien.

4. Cartesio a interjeté appel contre la décision de rejet devant le Szegedi ítélőtábla. Cette juridiction a soumis les questions suivantes à la Cour à titre préjudiciel:

«1) Une juridiction de deuxième instance, saisie d’un appel contre une décision rendue par le [Bács-Kiskun Megyei Bíróság, statuant en qualité de cégbíróság], à la suite d’une demande de modification d’une mention de l’enregistrement, a-t-elle le pouvoir d’introduire une demande de décision préjudicielle, au sens de l’article 234 CE, si ni la décision de la juridiction ni l’examen de l’appel n’ont lieu dans le contexte d’une procédure contradictoire?

2) À supposer que la juridiction de deuxième instance ait, en vertu de l’article 234 CE, le pouvoir de saisir la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle, faut-il la considérer comme une juridiction de dernière instance soumise, en vertu de cet article, à l’obligation de saisir la Cour d’une question d’interprétation du droit communautaire?

3) Le pouvoir – découlant directement de l’article 234 CE – des juridictions hongroises de formuler une demande de décision préjudicielle est-il, et peut-il être, limité par une disposition de droit national reconnaissant un droit d’appel, au sens du droit national, contre une ordonnance de renvoi, alors que la juridiction nationale supérieure saisie en appel peut réformer l’ordonnance, écarter le renvoi préjudiciel et enjoindre à la juridiction ayant rendu l’ordonnance de poursuivre la procédure de droit interne suspendue?

4) a) Si une société constituée et inscrite au registre des sociétés en Hongrie en vertu du droit hongrois désire transférer son siège social dans un autre État membre de l’Union [européenne], cette question est-elle régie par le droit communautaire ou les dispositions des droits nationaux sont‑elles, en l’absence d’harmonisation, applicables exclusivement?

b) Une société hongroise peut-elle demander le transfert de son siège social dans un autre État membre de l’Union en invoquant directement le droit communautaire (en l’occurrence les articles 43 CE et 48 CE)? Dans l’affirmative, un tel transfert peut-il être soumis – que ce soit par l’État d’origine’ ou par l’État hôte’ – à une quelconque condition ou autorisation?

c) Faut-il interpréter les articles 43 CE et 48 CE en ce sens qu’est incompatible avec le droit communautaire une règle ou pratique de droit interne qui fait, en ce qui concerne l’exercice des droits intéressant les sociétés commerciales, une distinction entre lesdites sociétés selon l’État membre dans lequel se trouve leur siège social?

Faut-il interpréter les articles 43 CE et 48 CE en ce sens qu’est incompatible avec le droit communautaire une règle ou pratique de droit interne qui empêche une société hongroise de transférer son siège social dans un autre État membre de l’Union?»

II – Appréciation

A – Sur la première question

5. Par sa première question, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir si une demande de décision préjudicielle est recevable lorsqu’elle est formulée dans le cadre d’un appel et que ni la procédure en première instance ni celle en degré d’appel ne sont contradictoires. En somme, la juridiction de renvoi commence donc par demander à la Cour si elle peut lui soumettre une question (3). La réponse découle clairement de la jurisprudence. Dans le contexte du cas d’espèce, le Bács-Kiskun Megyei Bíróság, statuant en qualité de cégbíróság, a simplement exécuté une mission d’enregistrement, à savoir qu’il a «fait acte d’autorité administrative sans qu’il soit en même temps appelé à trancher un litige» (4). Aux fins de l’application de l’article 234 CE, il convient de considérer cela comme une fonction non juridictionnelle, dans l’exercice de laquelle cette juridiction n’a pas le pouvoir de présenter une demande de décision préjudicielle (5). En revanche, la procédure d’appel intentée contre la décision du Bács‑Kiskun Megyei Bíróság, statuant en qualité de cégbíróság, est, du point de vue de l’article 234 CE, de nature juridictionnelle, même si elle est non contradictoire (6). Une juridiction saisie dans le cadre d’une telle procédure a, par conséquent, le pouvoir de présenter à la Cour une demande de décision préjudicielle (7). Il faut donc conclure que la première question posée est recevable et doit, en outre, recevoir une réponse affirmative.

B – Sur la deuxième question

6. En deuxième lieu, la juridiction de renvoi demande si elle doit être considérée comme une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne et qui est soumise à l’obligation prévue à l’article 234, troisième alinéa, CE. On pourrait arguer que cette question est irrecevable dans la mesure où la réponse à celle-ci ne serait pas nécessaire à la résolution du litige au fond – après tout, la juridiction de renvoi a décidé de soumettre ses autres questions préjudicielles ce nonobstant. Cela étant, lorsqu’une question présente clairement une importance pratique plus étendue pour l’interprétation et l’application uniformes du droit communautaire et lorsqu’elle ne présente pas un lien artificiel avec les faits (8), les règles de recevabilité ne devraient pas être appliquées de manière à en faire des obstacles pratiquement insurmontables. Par conséquent, lorsque la seule solution réaliste consiste, pour la juridiction nationale, à soumettre une telle question dans le cadre d’une procédure où la réponse pourrait ne pas être absolument nécessaire pour trancher le litige, il conviendrait, selon moi, de ne pas placer trop haut le seuil de recevabilité (9).

7. En ce qui concerne la question posée, celle-ci est, de toute évidence, pertinente en ce qui concerne le fonctionnement de la procédure préjudicielle et le lien qui l’unit aux circonstances de la cause ne peut pas être considéré comme artificiel. Pourtant, on voit mal par quel autre moyen elle aurait pu, en pratique, parvenir à la Cour. Il serait excessif d’exiger d’une juridiction nationale que celle‑ci engage, dans un premier temps, la procédure préjudicielle quant à la seule question de savoir si elle assume l’obligation prévue à l’article 234 CE et introduise, dans un second temps – à supposer que la Cour ait répondu par l’affirmative –, une demande de décision préjudicielle portant sur les questions qui l’occupent (10). C’est pourquoi, je propose que la Cour accepte de donner son assistance, comme elle l’a fait dans l’affaire Lyckeskog (11).

8. Selon l’ordonnance de renvoi, la partie concernée pourrait, dans une situation telle qu’en l’espèce, se pourvoir en cassation contre la décision du Szegedi Ítélőtábla devant le Legfelsőbb Bíróság (la Cour suprême de Hongrie). Toutefois, la juridiction de renvoi relève qu’un pourvoi devant le Legfelsőbb Bíróság ne peut porter que sur des points de droit. À cet égard, elle renvoie à l’article 270, paragraphe 2, de la loi n° III de 1952, instituant le code de procédure civile (Polgári perrendtartásról szóló 1952. évi III törvény) qui dispose que «[l]e Legfelsőbb Bíróság peut être saisie d’un pourvoi en cassation, alléguant d’une violation de la loi, contre tout arrêt ou jugement ayant...

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