Firma Sloman Neptun Schiffahrts AG v Seebetriebsrat Bodo Ziesemer der Sloman Neptun Schiffahrts AG.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1992:130
Docket NumberC-73/91,C-72/91
Celex Number61991CC0072
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date17 March 1992
EUR-Lex - 61991C0072 - FR 61991C0072

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 17 mars 1992. - Firma Sloman Neptun Schiffahrts AG contre Seebetriebsrat Bodo Ziesemer der Sloman Neptun Schiffahrts AG. - Demandes de décision préjudicielle: Arbeitsgericht Bremen - Allemagne. - Articles 92 et 117 du traité CEE - Législation nationale en matière de navigation maritime - Emploi de marins étrangers sans domicile ni résidence fixe en République fédérale d'Allemagne à des conditions de travail et de rémunération moins favorables que celles des marins allemands. - Affaires jointes C-72/91 et C-73/91.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-00887
édition spéciale suédoise page I-00047
édition spéciale finnoise page I-00047


Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Les difficultés de la marine marchande européenne, à travers la question préjudicielle qui vous est posée par deux ordonnances de l' Arbeitsgericht Bremen (République fédérale d' Allemagne), vous conduisent à préciser la notion d' aide d' État au sens de l' article 92, paragraphe 1, du traité CEE. L' importance de cette question quant à ses effets pratiques n' a d' égale que la difficulté qu' il y a à cerner les contours de l' article précité.

2. Lors de la procédure orale, certains intervenants ont fait état de la baisse considérable du nombre des immatriculations sous pavillon des États membres au profit de pavillons d' États tiers. Ce phénomène, bien connu, du "pavillon de complaisance" est également évoqué dans l' affaire Poulsen et Dina Navigation, dont la procédure orale a eu lieu le 21 janvier 1992 (C-286/90).

3. La présente affaire est révélatrice d' impératifs contradictoires. L' immatriculation, sous pavillons d' États tiers, de navires appartenant à des armateurs communautaires conduit, d' une part, à permettre à ces derniers l' embauche, sans contraintes, de marins ressortissants de ces États et de réduire ainsi leurs coûts salariaux, d' autre part, à diminuer les recettes fiscales des États membres. L' emploi de marins communautaires tend ainsi à se réduire (1). On ne saurait exclure, par ailleurs, que l' amoindrissement de la flotte communautaire ait de notables conséquences sur l' effectivité de la politique internationale de limitation des captures en matière de pêche, politique à laquelle la Communauté participe, de nombreux États tiers n' étant pas signataires des conventions internationales conclues à cet effet. Enfin, la coexistence, sur le même navire, de marins percevant des salaires fort différents, alors qu' ils exercent parfois les mêmes fonctions, s' accorde mal avec la finalité, à tout le moins l' esprit, de la politique sociale suivie dans la Communauté, même si les marins ressortissants d' États tiers ne sont pas résidents dans l' un des États membres.

4. Quelle que soit cette "toile de fond" politique et sociale, la présente affaire soulève de délicats problèmes juridiques qu' il nous faut maintenant examiner, après avoir rappelé les faits essentiels de l' espèce.

5. La Firma Sloman Neptun Schiffahrts AG (ci-après "Sloman Neptun"), armateur ayant son siège à Brême, a immatriculé un navire auprès du registre international allemand de la navigation maritime (2). Désirant embaucher un officier radio philippin (ordonnance de renvoi dans l' affaire C-72/91), ainsi que cinq marins de la même nationalité (ordonnance de renvoi dans l' affaire C-73/91), elle a sollicité sur ce point l' accord de son Seebetriebsrat (comité d' entreprise de l' armement naval). Celui-ci a refusé de le donner, au motif que le salaire proposé à ces marins est inférieur à 20 % de celui des marins allemands et que l' intégration de travailleurs "au bas salaire du pays d' origine" trouble la paix sociale dans l' entreprise.

6. Devant l' Arbeitsgericht Bremen, saisi du litige, le Seebetriebsrat invoque le fait que le régime consécutif à l' inscription au registre international allemand constituerait une aide d' État au sens de l' article 92, paragraphe 1, du traité. Il vise essentiellement le paragraphe 4 de l' article 21 du Flaggenrechtsgesetz (loi sur le droit du pavillon), modifié par l' article 1er, point 2, de la loi fédérale du 23 mars 1989 (3), qui prévoit que "les contrats de travail conclus avec les membres d' équipage d' un navire marchand immatriculé dans le registre international de la navigation maritime qui n' ont pas de domicile ou de résidence fixe en République fédérale d' Allemagne ne sont pas soumis au droit allemand du seul fait que le navire bat pavillon fédéral".

7. Le juge a quo vous a, en conséquence, saisis d' une question préjudicielle qui vise à lui permettre d' apprécier la compatibilité, au regard des articles 92 et 117 du traité CEE, de la loi allemande portant introduction d' un régime supplémentaire d' immatriculation des navires de mer battant pavillon fédéral dans le trafic international, en ce qu' elle permet de ne pas appliquer les conventions collectives allemandes aux marins, ressortissants d' États tiers, non résidents en République fédérale d' Allemagne, et de les soumettre, dès lors, à des conditions de travail et de rémunération moins favorables (4).

8. Examinons immédiatement la question de l' article 117. Selon les observations présentées lors de la procédure orale par le représentant du Seebetriebsrat, cette disposition comporterait une obligation négative à la charge des États membres, celle de ne pas remettre en cause la protection sociale existante, suffisamment précise et inconditionnelle pour pouvoir être invoquée par un particulier devant un juge national. A l' appui de cette opinion, il est fait référence à votre arrêt Defrenne III (5). Il semble que soit spécialement visé l' adverbe "essentiellement", qui figure au point 19 de votre arrêt, lequel commence en ces termes:

"en contraste avec les dispositions de caractère essentiellement programmatique des articles 117 et 118..." (6).

9. Disons-le nettement. De tels raisonnements a contrario nous paraissent hasardeux. L' avocat général M. Capotorti, dans ses conclusions sous cet arrêt, avait d' ailleurs donné son sentiment sur l' absence d' effet direct, tant de l' article 117 que de l' article 118:

"Une première observation, en ce qui concerne ces deux règles, est que ni l' une ni l' autre ne contient un principe, entendu comme règle de conduite. A notre avis, on doit plutôt parler, pour l' article 117, d' un objectif; la rédaction du deuxième alinéa de cet article où le sens du premier alinéa est résumé dans les termes une 'telle évolution' , le confirme. On ne pourrait pas davantage penser à un principe d' application directe, vu que la norme indique expressément la nécessité de procédures communautaires et internes pour atteindre l' objectif voulu: tant l' article 117 que l' article 118 paraissent clairement s' inspirer d' une idée de gradualité et, à la différence de l' article 119, ils ne fixent aucun délai dans lequel l' objectif doit être réalisé" (7).

10. Rien au demeurant, dans votre jurisprudence, ne permet de déduire un quelconque effet direct de l' article 117. Certes, une obligation négative adressée à un État membre peut, lorsque le comportement ainsi prohibé est suffisamment précis, être invoquée directement par un particulier devant une juridiction nationale (8). Mais l' obligation de ne pas aggraver la situation sociale existante paraît trop imprécise, du fait de sa généralité, pour se voir reconnaître un effet direct. Comment en juger lorsqu' il faudra confronter l' article 117 à une mesure législative particulière modifiant le système social d' un État membre? Une baisse des charges sociales pour les entreprises, favorisant de ce fait la lutte contre le chômage, accompagnée d' une réduction de certaines prestations sociales, est-elle une mesure contraire à cette obligation négative que le Seebetriebsrat voit dans l' article 117? Nous nous garderons bien de l' affirmer.

11. C' est, dès lors, selon nous, sur le seul terrain de l' article 92, paragraphe 1, que la législation litigieuse doit être examinée.

12. La première difficulté, sur ce point, nous paraît résider dans le financement de l' aide. En règle générale, les fonds que l' entreprise ou le secteur industriel bénéficiaire de l' aide reçoit ou se trouve dispensé d' engager sont d' origine ou à destination étatique. Certes, en l' espèce, le gouvernement allemand renonce à des impôts sur le revenu, du fait du très faible niveau des salaires versés aux marins philippins. Il semble, en effet, que ces derniers, bien que non-résidents en République fédérale d' Allemagne, sont néanmoins assujettis, en principe, à cet impôt, du fait qu' ils perçoivent des revenus trouvant leur source dans cet État. De même, les organismes de sécurité sociale reçoivent des cotisations d' un montant plus réduit que celui qui résulterait du versement à ces marins de salaires au taux prévu par les conventions collectives allemandes.

13. Mais on ne saurait appréhender le principal à travers l' accessoire. L' essentiel du financement du régime spécifique en cause provient, en fait, des travailleurs eux-mêmes qui acceptent un salaire inférieur à 20 % de celui qui serait versé à des marins allemands. Les éventuelles pertes de recettes du Trésor et des organismes de sécurité sociale allemands ne sont que les conséquences de cette situation. Elles pourraient, le cas échéant, être justifiées par "la nature ou l' économie de ce système" (9), dans la mesure où il est tout à fait habituel que les impôts et les cotisations sociales soient calculés en fonction du salaire versé au travailleur.

14. Si l' on décidait d' apprécier l' espèce au regard des seules pertes des ressources "étatiques", on serait conduit au résultat surprenant d' exiger des employeurs allemands des cotisations sociales hors de proportion avec le salaire versé et des travailleurs philippins qu' ils acquittent un...

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