TeliaSonera Finland Oyj.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2009:309
Docket NumberC-192/08
Celex Number62008CC0192
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date14 May 2009

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Dámaso Ruiz-Jarabo Colomer

présentées le 14 mai 2009 (1)

Affaire C‑192/08

TeliaSonera Finland Oyj

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein hallinto-oikeus (Finlande)]

«Communications électroniques – Réseaux et services – Obligation de négocier de bonne foi sur l’interconnexion – Notion d’opérateur de réseaux publics de communications – Entreprise dépourvue d’une puissance significative sur le marché – Interprétation des articles 4, paragraphe 1, 5 et 8 de la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil – Compétences des autorités réglementaires nationales»





I – Introduction

1. Le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande) invite la Cour à se prononcer sur l’interprétation des articles 4, paragraphe 1, 5 et 8, de la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion (2) (ci-après la «directive accès» ou la «directive 2002/19»).

2. Concrètement, la juridiction de renvoi s’intéresse à la portée de l’obligation d’interconnexion prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/19, en vue de déterminer la conformité à la directive des dispositions généreuses de la loi finlandaise, qui soumet à cette obligation l’ensemble des entreprises de télécommunications, sans établir de distinction entre celles qui gèrent des réseaux publics et celles qui fournissent des services ou en fonction de l’existence, ou non, d’une puissance significative sur le marché.

3. Après la libéralisation du secteur, la Cour a permis aux autorités réglementaires nationales d’imposer ex ante certaines charges aux opérateurs dominants (3) en les autorisant, en vertu des dispositions transitoires de la directive accès et de la directive 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (ci-après la «directive‑cadre» ou la «directive 2002/21») (4), à interconnecter les réseaux en l’absence d’analyse de marché préalable (5). De plus, elle a rejeté les interventions automatiques du pouvoir législatif qui limitaient l’indispensable marge de manœuvre de ces autorités (6).

4. Cependant, la thématique abordée en l’espèce conduit à ce que la controverse entre opérateurs historiques et nouveaux venus cède la place au débat sur les limites de l’administration lorsqu’un niveau de libéralisation important a été atteint et que les interventions publiques sur le marché doivent donc s’atténuer afin de ne pas perturber le jeu de l’offre et de la demande.

5. De fait, aucune des parties principales au litige national n’a obtenu le statut d’«opérateur disposant d’une puissance significative», ce qui montre, dans une certaine mesure, le succès de la campagne communautaire contre les monopoles qui a rendu possible le fait qu’une entreprise de communications, qui cherche à étendre ses activités par l’intermédiaire d’une autre entreprise qui ne s’est pas vu reconnaître de position dominante sur un segment du marché, puisse obtenir l’assistance technique de cette dernière (7).

6. Si la Cour admettait que les entreprises, quelle que soit leur importance, sont tenues de conclure des accords, elle devrait, conformément au schéma établi par la juridiction de renvoi, déterminer la capacité de réaction que le droit communautaire octroie à l’autorité indépendante nationale afin de vérifier si cette obligation d’interconnexion a été respectée, en ayant recours, le cas échéant, aux mesures adéquates.

7. La légitimité des États membres pour étendre les prescriptions des directives en matière de télécommunications est sous-jacente à la présente affaire. Il convient d’aborder cette question avec la prudence que requièrent l’emploi adéquat des définitions (8) dans le domaine d’une technologie particulière (9) et la stricte délimitation de l’obligation de négocier de l’interconnexion.

II – Réglementation applicable

A – Le droit communautaire

1. Le «principe de coopération loyale»

8. En vertu de l’article 10 CE, «[l]es États membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté» en facilitant «à celle-ci l’accomplissement de sa mission». En outre, «[i]ls s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts» de l’Union.

2. La directive 2002/19

a) Historique

9. L’élaboration, en 1987, du livre vert sur les télécommunications (10) constitue les prémices de l’instauration d’un marché européen concurrentiel et harmonisé, fondé sur le libre choix des opérateurs.

10. La dérégulation administrative du secteur a entraîné une transformation profonde de sa conception juridique. En effet, l’exclusivité initiale de la gestion de ce secteur par des organismes publics a évolué, conformément aux règles de la directive 90/388/CEE (11), vers une suppression des droits spéciaux ou exclusifs, compte tenu de l’incapacité du système traditionnel de monopoles étatiques à satisfaire les demandes des usagers, non seulement en raison de la révolution qu’a connue le secteur, mais également en raison de la forte connotation politique des décisions de ces monopoles (12).

11. La directive‑cadre 90/387/CEE (13) a contribué à la convergence, encouragé l’entrée de nouveaux participants dans le secteur des télécommunications et veillé à l’instauration d’un équilibre difficile à établir, car ses fondements fragiles étaient ébranlés par la supériorité de fait de l’ancien opérateur public, qui résultait des droits dont il avait joui durant de nombreuses années et de sa connaissance approfondie du marché.

12. La concertation devait donc permettre, en outre, l’accès et la localisation des infrastructures, en garantissant l’interconnexion entre les réseaux publics et leurs distributeurs (14). C’est dans cet objectif qu’a été adoptée la directive 97/33 (15), qui attribue aux organismes autorisés à fournir des réseaux publics de télécommunications et/ou des «services de télécommunications» (16) le droit, ainsi que l’obligation corrélative, de négocier leur interconnexion, de façon à garantir la fourniture de ces réseaux et services dans l’ensemble de la Communauté (article 4, paragraphe 1), en ajoutant que les organismes puissants sur le marché étaient tenus de répondre à toutes les demandes raisonnables de connexion (article 4, paragraphe 2).

b) Son contenu

13. La directive accès fait partie du «nouveau cadre réglementaire» (17) adopté le 7 mars 2002 et publié le 24 avril 2002 (18).

14. En harmonie avec la directive‑cadre et compte tenu de l’expérience résultant de la directive 97/33, la directive accès vise à harmoniser l’interconnexion dans le double objectif de la rendre compatible avec les principes du marché intérieur et de bénéficier aux consommateurs, tout en préservant le caractère durable de la concurrence et l’interopérabilité des services.

15. Conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/19:

«Les opérateurs de réseaux publics de communications ont le droit et, lorsque d’autres entreprises titulaires d’une autorisation le demandent, l’obligation de négocier une interconnexion réciproque pour fournir des services de communications électroniques accessibles au public, de façon à garantir la fourniture de services et leur interopérabilité dans l’ensemble de la Communauté. Les opérateurs offrent l’accès et l’interconnexion à d’autres entreprises selon des modalités et conditions compatibles avec les obligations imposées par l’autorité réglementaire nationale conformément aux articles 5, 6, 7 et 8.»

16. Son article 5, paragraphe 1, premier alinéa, prévoit que, pour réaliser les objectifs de l’article 8 de la directive 2002/21, les autorités réglementaires nationales doivent encourager et assurer un accès et une interconnexion adéquats ainsi que l’interopérabilité des services, en s’acquittant de leur tâche de façon à promouvoir l’efficacité, à favoriser une concurrence durable et à procurer une satisfaction maximale à l’utilisateur final.

En particulier, sans préjudice des mesures qui pourraient être prises à l’égard d’entreprises disposant d’une puissance significative sur le marché conformément à l’article 8, les autorités réglementaires nationales peuvent imposer certaines obligations objectives, transparentes, proportionnées et non discriminatoires (article 5, paragraphe 3):

a) aux entreprises qui contrôlent l’accès aux utilisateurs finals: des obligations visant à assurer la connectivité de bout en bout, y compris, dans les cas le justifiant, l’obligation d’assurer l’interconnexion de leurs réseaux là où elle n’est pas encore réalisée;

b) aux opérateurs: l’obligation de fournir l’accès à d’autres ressources visées à l’annexe I, partie II, dans des conditions équitables et raisonnables, en vue d’assurer l’accès des utilisateurs finals à des services de transmissions radiophoniques et télévisées numériques spécifiés par l’État membre.

17. L’article 8 encadre les initiatives ponctuelles (19) des autorités réglementaires, mais uniquement en ce qui concerne les sociétés disposant d’une puissance significative, cette qualité leur étant attribuée à l’issue de l’analyse de marché réalisée conformément à l’article 16 de la directive‑cadre.

18. Pour lever tout doute, cette limitation des destinataires est renforcée à l’article 8, paragraphe 3 (20), qui indique que les autorités réglementaires nationales n’imposent pas les obligations des articles 9 à 13 aux opérateurs qui n’ont pas été désignés conformément au paragraphe 2 et donc, en d’autres termes, aux opérateurs qui ne disposent pas d’une telle puissance sur le marché.

19. Parmi les mesures que la directive accès prévoit exclusivement en ce qui concerne les entreprises dominantes, celles de l’article 12, paragraphe 1...

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