Yellow Cab Verkehrsbetriebs GmbH v Landeshauptmann von Wien.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:568
Docket NumberC-338/09
Celex Number62009CC0338
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date30 September 2010

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO Cruz Villalón

présentées le 30 septembre 2010 (1)

Affaire C‑338/09

Yellow Cab Verkehrsbetriebs GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par l’Unabhängiger Verwaltungssenat Wien (Autriche)]

«Libre prestation de services de transport – Droit d’établissement – Concurrence – Exploitation à des fins touristiques d’une ligne de transport public urbain desservant des arrêts fixes – Existence d’un établissement en tant que condition préalable à l’octroi d’une concession – Protection de la rentabilité du concessionnaire préexistant»





1. La présente affaire préjudicielle offre à la Cour l’occasion d’approfondir encore (2) la question des effets spécifiques de la libre prestation des services dans le domaine du transport, celle de la délimitation de cette liberté par rapport à la liberté d’établissement et celle du rôle de ces deux libertés, dont l’exercice effectif garantit le bon fonctionnement de l’«espace sans frontières intérieures» (3) qu’est l’Union européenne.

2. L’Unabhängiger Verwaltungssenat Wien (Autriche) invite la Cour à se prononcer sur la compatibilité avec les articles 49 TFUE, 56 TFUE et 101 TFUE d’une réglementation nationale qui subordonne la délivrance d’une autorisation d’exploiter une «ligne touristique d’autobus» a) à ce que l’entreprise candidate dispose, à la date de la concession ou, au plus tard, au moment de commencer le transport, d’un siège ou d’un établissement (où se déroulera l’activité économique en question) dans l’État de l’autorité accordant l’autorisation et b) à ce qu’il ne soit pas porté atteinte à la rentabilité d’une entreprise concurrente fournissant le même service sur un itinéraire partiellement ou complètement identique.

I – La réglementation applicable

A – Droit de l’Union européenne

3. L’article 49 TFUE (ex-article 43 CE) réglemente, «dans le cadre des dispositions ci-après», le droit d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre en interdisant toute restriction à ce droit, y compris les restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un autre État membre. Il inclut dans la liberté d’établissement «l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants […]».

4. Pour sa part, l’article 56 TFUE (ex-article 49 CE) interdit, lui aussi «dans le cadre des dispositions ci-après», les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.

5. D’après le paragraphe 1 de l’article 58 TFUE (ex-article 51 CE), «[l]a libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports».

6. En vue de réaliser la mise en œuvre d’une politique commune des transports, l’article 91, paragraphe 1, sous b), TFUE confie au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne le soin d’établir les «conditions d’admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre».

B – Droit autrichien

7. D’après la loi autrichienne relative aux lignes de transport par autobus (Kraftfahrliniengesetz, ci-après le «KflG») (4), le transport par autobus de ligne desservant des arrêts fixes tout au long d’un itinéraire préétabli doit être autorisé par une concession (article 1er); la demande de concession doit répondre à des conditions très précises (article 2) et son octroi incombe au Landeshauptmann (article 3). Si l’entreprise candidate n’est pas autrichienne, elle doit disposer d’un siège ou d’un établissement d’exploitation permanent en Autriche (article 7, paragraphe 1, point 2) pour pouvoir être assimilée aux candidats autrichiens. D’autre part, la concession est réputée contraire à l’intérêt public lorsque le service peut compromettre l’exécution de la mission de transport par le transporteur dans la zone duquel se trouve la ligne sollicitée, ce qui serait le cas si ce transporteur était gravement affecté dans l’exploitation du service par une perte de recettes de nature à mettre, à l’évidence, sa rentabilité en péril [article 7, paragraphe 1, point 4, sous b), en combinaison avec l’article 14, paragraphes 1 à 3].

II – Les faits

8. Le 25 janvier 2008, l’entreprise allemande Yellow Cab Verkehrsbetriebs GmbH (ci-après «Yellow Cab») a sollicité, au titre du KflG, l’octroi d’une concession pour exploiter un service d’autobus de ligne, exclusivement dans la ville de Wien, suivant un itinéraire défini à des fins touristiques, avec des arrêts fixes, et qui était dans sa quasi-totalité déjà couvert par un groupe d’entreprises (5).

9. La demande d’octroi de concession a été rejetée par l’autorité compétente le 13 mars 2009, au motif qu’attribuer la concession porterait préjudice à la sécurité routière. Sur recours introduit par Yellow Cab, l’Unabhängiger Verwaltungssenat Wien a constaté que d’autres motifs de rejet pouvaient être déduits de la législation autrichienne, à savoir le fait que Yellow Cab n’avait pas de siège ou d’établissement en Autriche à la date de la demande de concession et le fait que la rentabilité du transporteur déjà en activité aurait été gravement compromise.

III – Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

10. S’interrogeant sur la compatibilité avec le droit de l’Union de ces conditions inscrites dans la réglementation autrichienne, l’Unabhängiger Verwaltungssenat Wien a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes:

«1) Une disposition de droit national relative à l’octroi de l’autorisation d’exploitation d’une ligne d’autobus et donc à l’organisation d’un moyen de transport public permettant de desservir régulièrement des arrêts déterminés selon un horaire établi est-elle compatible avec la liberté d’établissement et la libre prestation de services prévues aux articles 43 CE et suivants et 49 CE et suivants, et avec le droit de la concurrence inscrit aux articles 81 CE et suivants lorsqu’elle prévoit comme conditions de l’autorisation:

a) que l’entreprise demanderesse doit disposer d’un siège ou d’un établissement dans l’État de l’autorité accordant l’autorisation dès avant d’entamer l’exploitation de la ligne et en particulier au moment de la concession;

b) que, au plus tard à partir du moment où elle entame l’exploitation de la ligne, l’entreprise demanderesse doit disposer d’un siège ou d’un établissement dans l’État de l’autorité accordant l’autorisation?

2) Une disposition de droit national relative à l’octroi de l’autorisation d’exploitation d’une ligne d’autobus et donc à l’organisation d’un moyen de transport public permettant de desservir régulièrement des arrêts déterminés conformément à un horaire établi est-elle compatible avec la liberté d’établissement et la libre prestation de services prévues aux articles 43 CE et suivants et 49 CE et suivants et avec le droit de la concurrence inscrit aux articles 81 CE et suivants lorsqu’elle prévoit qu’une autorisation doit être refusée dès lors que, sur cet itinéraire emprunté, en cas de mise en service du transport sollicité sur la ligne d’autobus, une entreprise concurrente qui emprunte un itinéraire en tout ou en partie identique à l’itinéraire concerné verrait ses recettes provenant de cet itinéraire de ligne exploité diminuer de façon si notable que la continuation de l’exploitation de cet itinéraire de ligne par l’entreprise concurrente ne serait plus rentable en économie de marché?»

11. Cette demande préjudicielle a été inscrite au registre du greffe de la Cour le 24 août 2009.

12. Dans ses observations écrites, Yellow Cab affirme l’invalidité des conditions précitées, tandis que le gouvernement autrichien, après avoir contesté la recevabilité de la seconde question, soutient la compatibilité de ces conditions avec le droit de l’Union; en particulier, il considère la libre prestation de services comme n’intervenant pas en l’espèce. Dans le même sens, le gouvernement allemand, qui se borne à examiner la condition de siège ou d’établissement, nie que la liberté d’établissement ait été violée; il est suivi en cela par le gouvernement italien, pour lequel la défense économique du concessionnaire antérieur peut être justifiée. Enfin, la Commission exclut qu’en l’espèce la libre concurrence ou la libre prestation de services soient affectées; pour ce qui est de la liberté d’établissement, elle admet l’exigence d’un siège ou d’un établissement, mais en la limitant à la période immédiatement antérieure au lancement du service.

13. Il faut tenir compte du fait que, dans chacune de ses deux questions, l’Unabhängiger Verwaltungssenat Wien examine les conditions imposées par la législation autrichienne à l’aune de trois notions de droit primaire, qui sont la libre prestation de services, la liberté d’établissement et la concurrence. Pour des raisons systématiques, j’aborderai l’analyse de ces conditions exclusivement sous l’angle des deux libertés, avant de me référer à l’impact de la concurrence sur cette affaire.

IV – Analyse de la première question

A – Du point de vue de la libre prestation de services

14. Comme je viens de l’observer, la juridiction de renvoi érige les libertés de prestation de services et d’établissement en paramètres d’évaluation de la présente affaire, de sorte qu’il convient d’entrée de jeu de délimiter ces deux libertés.

1. La ligne de démarcation entre libre prestation de services et droit d’établissement

15. En un premier temps, il faut signaler que, dans une jurisprudence constante, la Cour a employé certains critères déterminants pour distinguer entre...

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