Javico International and Javico AG v Yves Saint Laurent Parfums SA (YSLP).

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1997:525
Date06 November 1997
Celex Number61996CC0306
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-306/96
EUR-Lex - 61996C0306 - FR 61996C0306

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 6 novembre 1997. - Javico International et Javico AG contre Yves Saint Laurent Parfums SA (YSLP). - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Versailles - France. - Concurrence - Produits cosmétiques de luxe - Système de distribution sélective - Obligation d'exportation vers un pays tiers - Interdiction de réimportation et de commercialisation dans la Communauté. - Affaire C-306/96.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-01983


Conclusions de l'avocat général

1 Dans un contrat de distribution sélective conclu entre un fournisseur et un distributeur, tous deux établis dans la Communauté, et relatif au territoire d'un pays tiers, la clause interdisant au distributeur de vendre les produits contractuels soit directement, soit moyennant réimportation du pays tiers, sur tout autre territoire, donc aussi sur le territoire des États membres, est-elle contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité CE? Dans l'hypothèse où une telle clause serait jugée incompatible avec l'article 85, paragraphe 1, cela est-il vrai aussi si le fournisseur commercialise ses produits sur le territoire communautaire par l'intermédiaire d'un réseau de distribution sélective ayant fait l'objet d'une décision d'exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3?

Telles sont, en substance, les questions posées par la cour d'appel de Versailles, qui offrent à la Cour l'occasion de se prononcer sur la compatibilité avec les règles communautaires de concurrence des clauses d'exportation et des interdictions de réimportation insérées dans les contrats de distribution. En l'espèce, le système de distribution commerciale a pour particularité d'assortir un système communautaire de distribution sélective, dûment exempté par la Commission, de contrats de distribution pour les pays tiers contenant des clauses de destination conçues tant comme des obligations d'exportation que comme des interdictions de réimportation.

Les faits pertinents et les questions préjudicielles

2 Les circonstances de fait qui ont donné lieu au litige pendant devant le juge national sont plutôt simples. Ce litige a pour cadre le secteur de la distribution des produits cosmétiques de luxe, articles de haute qualité qui sont commercialisés à des prix élevés et sont pourvus de marques prestigieuses. C'est dans ce segment qu'opère la société Yves Saint Laurent Parfums SA, établie en France (ci-après «YSLP»), qui distribue ses produits dans l'Union européenne à travers un réseau de distribution sélective bénéficiant d'une exemption de la Commission au sens de l'article 85, paragraphe 3, accordée par décision du 16 décembre 1991 (1).

YSLP a en outre conclu deux contrats de distribution pour les marchés de l'Europe de l'Est, l'un pour le territoire des Républiques de Russie et d'Ukraine, l'autre pour la Slovénie, avec la société Javico International (ci-après «Javico»). Cette dernière est établie en Allemagne et est spécialisée dans la distribution commerciale sur les marchés d'Europe de l'Est. Il faut préciser que Javico n'appartient pas au réseau des distributeurs des produits YSLP dans l'Union européenne.

3 Le contrat conclu en février 1992 et relatif à la distribution en Russie et en Ukraine comporte les deux clauses suivantes:

«1. Nos produits sont destinés à être vendus uniquement sur le territoire des Républiques de Russie et d'Ukraine.

En aucune circonstance ils ne pourront quitter le territoire des Républiques de Russie et d'Ukraine.

2. Votre société promet et garantit que la destination finale des produits sera sur le territoire des Républiques de Russie et d'Ukraine, et qu'elle ne vendra les produits qu'à des marchands situés sur le territoire des Républiques de Russie et d'Ukraine. En conséquence, votre société fournira les adresses des points de distribution des produits sur le territoire des Républiques de Russie et d'Ukraine, ainsi que le détail des produits par point de distribution».

Le contrat comporte en outre des clauses supplémentaires destinées à renforcer l'obligation de Javico de garantir que les produits n'aient pas de territoires de destination autres que ceux qu'il prévoit (2). En fait, c'est presque l'ensemble du contrat entre les parties qui est consacré au régime détaillé de l'obligation de destination et à la sanction des éventuelles violations.

Le contrat de mai 1992 relatif à la distribution en Slovénie contient une clause ainsi libellée: «Afin de protéger la haute qualité de la distribution des produits dans d'autres pays du monde, le distributeur accepte de ne pas vendre les produits hors du territoire ou à des revendeurs non agréés du territoire».

Il est constant que les contrats de distribution conclus entre YSLP et Javico ne bénéficient d'aucune exemption individuelle et qu'ils n'ont même pas fait l'objet d'une notification à la Commission.

4 Peu après la conclusion des contrats en cause, YSLP a constaté la présence sur le territoire communautaire (en particulier au Royaume-Uni, en Belgique et aux Pays-Bas) de produits vendus à Javico pour être distribués en Russie, en Ukraine et en Slovénie. YSLP a donc résilié le contrat et a introduit une action en justice devant le tribunal de commerce de Nanterre pour obtenir, notamment, l'indemnisation des préjudices subis. La demande ayant été accueillie en première instance, les sociétés allemandes défenderesses ont formé appel devant la cour d'appel de Versailles, en faisant valoir, d'une part, la nullité des clauses contractuelles violées, dans la mesure où elles sont contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité et, d'autre part, l'absence de pertinence de la décision d'exemption du 16 décembre 1991.

5 Pour trancher le litige pendant devant lui, le juge a quo a jugé nécessaire de demander à la Cour d'interpréter l'article 85, paragraphe 1, du traité. Il a plus précisément soumis les questions suivantes à la Cour:

«1) Lorsque, par contrat, une entreprise (le fournisseur) située dans un État membre de l'Union européenne confie à une autre entreprise (le distributeur) située dans un autre État membre la distribution de ses produits dans un territoire situé hors de l'Union, l'article 85, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté économique européenne doit-il être interprété comme interdisant, dans ledit contrat, les dispositions faisant défense au distributeur de procéder à toute vente dans un territoire autre que le territoire contractuel, donc à toute vente dans l'Union, tant par commercialisation directe que par réexpédition depuis [le] territoire contractuel?

2) Dans l'hypothèse où l'article 85, paragraphe 1, susmentionné, interdirait de telles dispositions contractuelles, doit-il être interprété comme insusceptible d'application lorsque le fournisseur distribue par ailleurs ses produits sur le territoire de l'Union par l'intermédiaire d'un réseau de distribution sélective ayant fait l'objet d'une décision d'exemption en application du paragraphe 3 du même article?»

La première question

6 Les clauses litigieuses mettent à charge du distributeur deux obligations distinctes, étroitement liées et fonction l'une de l'autre. Le contrat prévoit en effet, d'une part, une obligation d'exportation, en ce sens que le distributeur est tenu d'exporter la marchandise dans les pays tiers visés par le contrat et, de l'autre, une interdiction de commercialisation en dehors du territoire visé par le contrat. Ce dernier couvre tant l'hypothèse de ventes directes à des revendeurs établis en dehors du territoire que celle de la réimportation des produits en provenance de ce territoire.

7 D'après YSLP, l'obligation d'exportation ne relèverait pas du champ d'application de l'article 85 du traité, parce que le contrat concerne uniquement l'organisation du commerce des produits dans des pays tiers, sans viser le commerce entre États membres. Même si l'on voulait souscrire à la thèse de l'application de l'article 85, il faudrait reconnaître que nous sommes en présence d'un préjudice peu important et que, en toute hypothèse, les contrats litigieux relèveraient des catégories d'accords de distribution exclusive auxquels l'article 85, paragraphe 1, n'est pas applicable, en vertu du règlement (CEE) n_ 1983/83 (3). Quant à l'interdiction de réexportation vers la Communauté, YSLP reconnaît elle-même, à l'instar de la Commission, que cette clause serait visée par l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité, mais uniquement à condition que les importations puissent être envisageables d'un point de vue économique et qu'elles portent préjudice au commerce entre États membres; ces conditions ne seraient pas remplies en l'espèce, eu égard à la structure du marché et aux obstacles que rencontreraient les marchandises lors de leur réimportation...

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