Alfredo Albore.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2000:158
Docket NumberC-423/98
Celex Number61998CC0423
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date23 March 2000
EUR-Lex - 61998C0423 - FR 61998C0423

Conclusions de l'avocat général Cosmas présentées le 23 mars 2000. - Alfredo Albore. - Demande de décision préjudicielle: Corte d'appello di Napoli - Italie. - Liberté d'établissement - Liberté des mouvements de capitaux - Articles 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) et 73 B du traité CE (devenu article 56 CE) - Procédure d'autorisation des acquisitions de biens immobiliers - Zones d'importance militaire - Discrimination selon la nationalité. - Affaire C-423/98.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-05965


Conclusions de l'avocat général

I - Introduction

1 Par la demande préjudicielle présentée conformément à l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), la Corte di Appello di Napoli (Italie) invite la Cour à interpréter certaines dispositions du droit communautaire primaire afin de constater dans quelle mesure celles-ci s'accordent avec une législation nationale qui fait dépendre d'une autorisation préalable l'acquisition, en particulier par une personne étrangère, de droits réels portant sur des biens immobiliers se trouvant dans des zones du territoire italien caractérisées par leur intérêt militaire.

II - Les circonstances du litige et la procédure

2 Deux ressortissants allemands ont acheté, le 14 janvier 1998, deux immeubles situés à Barano, dans l'île d'Ischia (golfe de Naples). Toutefois, le conservateur du registre des biens immobiliers de Naples a refusé de procéder à la transcription de la convention de vente au motif que les acheteurs n'avaient pas sollicité au préalable l'autorisation préfectorale prévue spécialement lorsque les acheteurs sont des étrangers par l'article 18 de la loi italienne n_ 898, du 24 décembre 1976, dans sa version modifiée par l'article 9 de la loi no 104 du 2 mai 1990, qui s'applique désormais en vertu de l'arrêté pris conjointement, le 15 mai 1990, par les ministres de la Défense et de l'Intérieur (1). Comme nous le verrons, cette autorisation est nécessaire lorsque, tel qu'en l'espèce, les immeubles offerts à la vente sont situés dans des zones qui ont été classées en «zones d'intérêt militaire».

3 M. Alfredo Albore, partie appelante au principal (ci-après «M. Albore») , notaire à Forio, a attaqué ce refus devant le Tribunale di Napoli, considérant que l'exigence d'une autorisation préalable ne pouvait s'appliquer à des étrangers ressortissants d'autres États membres de l'Union européenne, car son application serait alors contraire aux principes fondamentaux de l'ordre juridique communautaire. La juridiction de première instance n'a pas accueilli ce moyen.

4 Le 22 juin 1998, M. Albore a interjeté appel, en invoquant derechef l'incompatibilité de la législation nationale litigieuse avec les règles de droit communautaire.

5 La juridiction de renvoi relève que les dispositions litigieuses de la loi italienne semblent à première vue contraires aux dispositions conjointes de l'article 6 et des articles 52, 56 et 67 du traité. Elle estime néanmoins «nécessaire de saisir la Cour à titre préjudiciel, au sens de l'article 177 du traité, sur la compatibilité de l'article 18 de la loi n_ 898 de 1976, telle qu'elle a été modifiée par l'article 9 de la loi n_ 104/1990 avec les articles précités du traité».

III - La législation nationale en cause

6 La loi italienne n_ 1095 du 3 juin 1935, relative au transfert de la propriété des biens immobiliers situés dans les provinces jouxtant les frontières terrestres, disposait, en son article premier:

«Tous les actes d'aliénation totale ou partielle des biens immobiliers situés dans les zones des provinces jouxtant les frontières terrestres doivent être soumis à l'approbation du préfet de la province».

Aux termes de l'article 2 de la même loi, les actes portant aliénation ou transfert de propriété ne peuvent être transcrits sur les registres publics par les services compétents «s'il n'est pas produit la preuve que le préfet a donné son approbation».

7 L'article 18 de la loi n_ 898 du 24 décembre 1976, portant nouvelle réglementation des servitudes militaires, elle-même modifiée par la loi n_ 104 du 2 mai 1990, dispose:

«Les dispositions visées aux articles 1 et 2 de la loi n_ 1095 du 3 juin 1935, modifiée par la loi n_ 2207 du 22 décembre 1939, s'appliquent également dans les zones du territoire national déclarées d'intérêt militaire par arrêté du ministre de la défense, pris de concert avec le ministre de l'intérieur et publié au Journal officiel.

L'autorisation du préfet et l'avis de l'autorité militaire prévus pour les actes portant mutation totale ou partielle de biens immobiliers par la loi n_ 1095 du 3 juin 1935, dans sa version modifiée par la loi n_ 2207 du 22 décembre 1939, ne sont pas exigés pour les actes de cession totale ou partielle aux ressortissants italiens ou aux administrations de l'État, y compris les entreprises autonomes, aux communes, aux provinces et autres collectivités locales, aux régions, aux organismes publics ayant des missions d'ordre économique ainsi qu'à toute autre personne morale, publique ou privée, de nationalité italienne.»

8 L'arrêté conjoint des ministres de la Défense et de l'Intérieur, prévu par la loi no 104, du 2 mai 1990, a été adopté le 15 mai 1990 et publié au GURI n_ 117 du 22 mai 1990. Cet arrêté a déclaré d'intérêt militaire les mêmes zones que celles qui étaient mentionnées dans le texte de l'article 18 de la loi antérieure, la loi no 898/76. Ces zones comprennent pratiquement toutes les petites îles italiennes, au nombre desquelles figure Ischia, qui intéresse le litige au principal.

IV - La recevabilité des questions préjudicielles

9 Le gouvernement italien croit qu'il n'y a pas lieu, pour la Cour, de répondre sur le fond à la question préjudicielle posée, dans la mesure où le litige au principal présenterait un caractère purement national. Le gouvernement italien soutient, en effet, que la question de l'acquisition de droits réels portant sur des immeubles ne serait susceptible de faire l'objet d'un examen en droit communautaire que s'il s'avérait qu'elle fût liée à l'exercice d'une des libertés consacrées par le traité, soit la liberté d'établissement, la liberté de circulation ou la libre prestation de services. Le fait que les acheteurs des immeubles concernés soient des personnes de nationalité allemande ne permet pas, à lui seul, de considérer que les restrictions imposées par la législation italienne à l'acquisition de droits réels soient liées à l'exercice de l'une des libertés, mentionnées ci-dessus, consacrées par l'ordre juridique communautaire.

10 Nous ne pouvons pas nous rallier à ce raisonnement. Il suffit, sur ce point, de souligner que l'acquisition à titre onéreux de droits réels par des personnes habitant dans d'autres États membres constitue un investissement, et donc un mouvement transfrontalier de capitaux qui, en tant que tel, est couvert par le principe de liberté de circulation des capitaux. Nous nous référerons utilement, en la matière, à l'arrêt de la Cour du 1er juin 1999, Konle (2). Au point 22 de cet arrêt, la Cour expose: «Quant aux mouvements de capitaux, ils comprennent les opérations par lesquelles des non-résidents effectuent des investissements immobiliers sur le territoire d'un État membre, ainsi qu'il ressort de la nomenclature des mouvements de capitaux figurant à l'annexe I de la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en oeuvre de l'article 67 du traité (JO L 178, p. 5).»

11 En l'espèce, c'est un ressortissant allemand qui a acheté des immeubles sis en territoire italien. Si cette personne ne réside pas en Italie, l'acquisition d'un droit réel, quels qu'en soient les objectifs, relève du champ d'application du droit communautaire, à tout le moins en ce qu'elle suppose un mouvement transfrontalier de capitaux. Pour le cas où cette même personne réside déjà en Italie, la question examinée relève évidemment du droit communautaire, cette fois sous l'angle de la liberté de circulation des personnes.

V - Le choix de la base légale

A - Les arguments des parties

12 M. Albore tente d'établir un lien entre la prohibition nationale litigieuse et les dispositions du traité en matière de liberté d'établissement, de libre circulation des travailleurs, de liberté de prestation de services, de libre mouvement des capitaux, ainsi qu'avec le principe de non-discrimination, inscrit à l'article 6 du traité CE (devenu article 12 CE). Il invoque à cet effet l'arrêt du 30 mai 1989 (3), dans lequel la Cour a considéré que le droit d'acquérir des droits réels sur des immeubles était un élément constitutif important de la libre circulation, des personnes comme des services. Il soutient également que, pris conjointement, le principe de non-discrimination et le droit à la protection de la vie privée impliquent que le droit communautaire s'oppose à une législation nationale qui imposerait aux ressortissants d'États membres autres que l'État membre concerné de déclarer les finalités de l'acquisition d'un bien immobilier, alors que les ressortissants de cet État membre ne sont pas soumis à une telle exigence. En revanche, pour M. Albore, la question préjudicielle ne peut pas être examinée au regard des articles 223 et 224 du traité CE (devenus, respectivement, article 296 et article 297), car les conditions exceptionnelles d'application de ces dispositions ne sont pas réunies en l'espèce.

13 Dans les observations qu'il a adressées à la Cour, le gouvernement hellénique vise à faire admettre la compatibilité des prohibitions nationales litigieuses avec le droit communautaire en les rattachant aux domaines de la défense, de la sécurité publique et de la politique étrangère, domaines dans lesquels, soutient le gouvernement hellénique, les États membres disposent du pouvoir d'appréciation le plus étendu possible. Sans invoquer de disposition du traité à titre de base juridique, il mentionne les...

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