Digital Rights Ireland Ltd (C-293/12) v Minister for Communications, Marine and Natural Resources and Others and Kärntner Landesregierung (C-594/12) and Others.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2013:845
Date12 December 2013
Celex Number62012CC0293
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-594/12,C-293/12
62012CC0293

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 12 décembre 2013 ( 1 )

Affaire C‑293/12

Digital Rights Ireland Ltd

contre

Minister for Communications, Marine and Natural Resources

Minister for Justice, Equality and Law Reform

Commissioner of the Garda Síochána

Irlande

et

The Attorney General

[demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Ireland (Irlande)]

et

Affaire C‑594/12

Kärntner Landesregierung

Michael Seitlinger

et

Christof Tschohl

Andreas Krisch

Albert Steinhauser

Jana Herwig

Sigrid Maurer

Erich Schweighofer

Hannes Tretter

Scheucher Rechtsanwalt GmbH

Maria Wittmann-Tiwald

Philipp Schmuck

Stefan Prochaska

e.a.

[demande de décision préjudicielle formée par le Verfassungsgerichtshof (Autriche)]

«Communications électroniques — Directive 2006/24/CE — Conservation des données générées ou traitées dans le cadre de la fourniture de services de communications électroniques — Validité — Article 5, paragraphe 4, TUE — Proportionnalité de l’action de l’Union — Charte des droits fondamentaux — Article 7 — Respect de la vie privée — Article 8 — Protection des données à caractère personnel — Article 52, paragraphe 1 — Ingérence — Qualité de la loi — Proportionnalité des limites de l’exercice des droits fondamentaux»

1.

La Cour est, dans les présentes affaires, saisie d’une double question préjudicielle en appréciation de validité de la directive 2006/24/CE ( 2 ) lui offrant l’opportunité de se prononcer sur les conditions dans lesquelles il est constitutionnellement possible pour l’Union européenne d’établir une limitation de l’exercice des droits fondamentaux au sens particulier de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 3 ), au moyen d’une directive et de ses mesures nationales de transposition ( 4 ). La limitation en cause prend la forme d’une obligation imposant à des opérateurs économiques la collecte et la conservation, pendant un temps déterminé, d’un nombre considérable de données générées ou traitées dans le cadre des communications électroniques effectuées par les citoyens sur l’ensemble du territoire de l’Union, dans l’objectif de garantir la disponibilité desdites données aux fins de la recherche et des poursuites des activités criminelles graves et d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. Je me propose d’apporter une réponse à cette interrogation articulée en trois parties.

2.

Dans une première partie, j’aborderai la question de la proportionnalité de la directive 2006/24 au sens de l’article 5, paragraphe 4, TUE. Dans une deuxième partie, je vérifierai si la condition, prévue à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, selon laquelle toute limitation de l’exercice des droits fondamentaux doit être «prévue par la loi», peut être considérée comme remplie. Enfin, dans une troisième partie, j’examinerai si la directive 2006/24 respecte le principe de proportionnalité, au sens toujours de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

3.

Toutefois, avant d’entamer l’examen de ces trois problématiques, j’aborderai une série de trois questions qui me paraissent indispensables à la bonne compréhension des problèmes suscités par les questions préjudicielles en appréciation de validité posées par la High Court (Irlande) et le Verfassungsgerichtshof (Autriche).

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

4.

Les principales dispositions du droit de l’Union pertinentes pour l’examen des questions préjudicielles posés à la Cour dans les présentes affaires sont, en dehors de celles de la directive 2006/24 dont la validité est mise en cause dans les deux affaires et de celles de la Charte, celles de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ( 5 ), et de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques) ( 6 ). Ces directives ainsi que leurs principales dispositions seront présentées dans le cours des développements qui suivent, au fur et à mesure des besoins de l’exposé.

B – Les droits nationaux

1. Le droit irlandais (affaire C‑293/12)

5.

L’article 29, paragraphe 4, point 6, de la Constitution de l’Irlande prévoit qu’aucune disposition de la Constitution n’invalide les lois, actes ou mesures adoptés par l’État que requièrent les obligations découlant de l’appartenance à l’Union européenne ou aux Communautés, ou n’empêche les lois, actes ou mesures adoptés par l’Union européenne ou les Communautés, leurs institutions ou les organes compétents en vertu des traités d’avoir force de loi.

6.

La septième partie de la loi de 2005 sur la justice pénale (infraction terroriste) [Criminal Justice (Terrorist Offences) Act 2005] ( 7 ), à présent abrogée, comportait des dispositions sur la conservation des données relatives aux communications téléphoniques. Elle imposait aux fournisseurs de services de communications téléphoniques de conserver les données de trafic et de localisation pour une période déterminée par la loi afin de prévenir et de détecter les infractions, enquêter sur celles-ci et les poursuivre et de garantir la sécurité de l’État. À ces fins, la loi de 2005 sur la justice pénale permettait aux autorités compétentes de l’État, notamment le Commissioner of the Garda Síochána, de demander la divulgation de ces données en suivant une procédure déterminée et établissait des garanties par une procédure de réclamation, présidée par une entité quasi juridictionnelle indépendante.

7.

La loi de 2011 sur les communications (conservation des données) [the Communications (Retention of Data) Act 2011], adoptée en vue de transposer la directive 2006/24, a abrogé la septième partie de la loi de 2005 sur la justice pénale et institué un nouveau régime de conservation des données.

2. Le droit autrichien (affaire C‑594/12)

8.

L’article 1er de la loi fédérale sur la protection des données à caractère personnel ( 8 ), qui a valeur constitutionnelle, prévoit un droit fondamental à la protection des données.

9.

La directive 2006/24 a été transposée en droit autrichien par une loi fédérale ( 9 ) introduisant un nouvel article 102 bis à la loi sur les télécommunications de 2003 ( 10 ), qui impose aux fournisseurs de services de communication accessibles au public la conservation des données qu’il énumère ( 11 ).

II – Les faits à l’origine des litiges au principal

A – L’affaire C‑293/12, Digital Rights Ireland

10.

La partie requérante au principal, Digital Rights Ireland Ltd ( 12 ), est une société à responsabilité limitée ayant pour objet statutaire la promotion et la protection des droits civiques et des droits de l’homme, en particulier dans l’univers des technologies de communication modernes.

11.

DRI, qui déclare être propriétaire d’un téléphone portable, enregistré le 3 juin 2006, qu’elle utilise depuis cette date, a introduit un recours dirigé contre deux ministres du gouvernement irlandais, The Minister for Communications, Marine and Natural Resources et The Minister for Justice, Equality and Law Reform, le chef de la police irlandaise (The Commissioner of the Garda Síochána), l’Irlande ainsi que l’Attorney General de l’État irlandais, dans le cadre duquel elle fait, en substance, valoir que les autorités irlandaises ont illégalement traité, conservé et contrôlé les données afférentes à ses communications.

12.

En conséquence, elle demande, d’une part, l’annulation des différents actes de droit interne habilitant les autorités irlandaises à adopter des mesures imposant aux fournisseurs de services de télécommunication la conservation de données de télécommunication, les estimant incompatibles avec la Constitution irlandaise et le droit de l’Union. D’autre part, elle met en cause la validité de la directive 2006/24 au regard de la Charte et/ou de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( 13 ) et invite la juridiction de renvoi à saisir la Cour de plusieurs questions préjudicielles en appréciation de validité de ladite directive.

B – L’affaire C‑594/12, Seitlinger e.a.

13.

Le 6 avril 2012, le Kärntner Landesregierung a, sur le fondement de l’article 140, paragraphe 1, de la loi constitutionnelle fédérale autrichienne (Bundes-Verfassungsgesetz) ( 14 ), saisi le Verfassungsgerichtshof d’un recours en annulation de plusieurs dispositions du TKG 2003, en particulier de son article 102 bis, dans sa rédaction issue de la transposition de la directive 2006/24, entrée en vigueur le 1er avril 2012.

14.

Le 25 mai 2012, M. Michael Seitlinger a saisi le Verfassungsgerichtshof d’un recours sur le fondement de l’article 140, paragraphe 1, du B‑VG prétendant à l’inconstitutionnalité de l’article 102 bis du TKG 2003 en tant qu’il affectait ses droits. Il estime que cette dernière disposition, qui prévoit l’obligation pour son opérateur de réseau de communication de conserver des données sans raison, sans nécessités techniques ni buts de facturation et contre sa volonté constitue, notamment, une atteinte à l’article 8 de la Charte.

15.

Enfin, le 15 juin 2012, le Verfassungsgerichtshof a été saisi d’un autre recours sur le fondement de l’article 140 du B‑VG, formé par 11130 requérants faisant valoir que l’inconstitutionnalité de l’obligation de conserver des...

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