Courage Ltd v Bernard Crehan and Bernard Crehan v Courage Ltd and Others.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2001:181
Docket NumberC-453/99
Celex Number61999CC0453
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date22 March 2001
EUR-Lex - 61999C0453 - FR 61999C0453

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 22 mars 2001. - Courage Ltd contre Bernard Crehan et Bernard Crehan contre Courage Ltd et autres. - Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (England and Wales) (Civil Division) - Royaume-Uni. - Article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) - Contrat d'achat exclusif de bière - Location de débits de boissons - Entente - Droit à des dommages et intérêts d'une partie au contrat. - Affaire C-453/99.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-06297


Conclusions de l'avocat général

I - Faits et procédure

1. Cette affaire nous est soumise par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni) dans un litige qui oppose Courage Ltd (ci-après «Courage»), demandeur au principal, à M. Crehan, défendeur au principal. La Court of Appeal nous pose quatre questions relatives à la possibilité pour une partie à un accord prohibé par l'article 81 CE d'obtenir des dommages et intérêts de son cocontractant.

2. En 1990, Courage, une brasserie disposant d'une part de marché pour la vente de bière de 19 %, et Grand Metropolitan plc (ci-après «Grand Met»), une société possédant divers intérêts dans l'hôtellerie et la restauration, sont convenues de fusionner leurs débits de boissons. À cette fin, leurs établissements respectifs ont été transférés à Inntrepreneur Estates Ltd (ci-après «IEL»), une société détenue à parts égales par Courage et Grand Met.

3. Un accord conclu entre IEL et Courage prévoyait que tous les locataires d'IEL devaient acheter leur bière exclusivement à Courage. Celle-ci devait livrer les quantités de bière commandées aux prix fixés dans les tarifs applicables aux établissements loués à IEL.

4. IEL soumettait un contrat type de location à ses locataires. Si le niveau du loyer pouvait faire l'objet d'une négociation entre un locataire potentiel et IEL, l'obligation d'achat exclusif et les autres clauses du contrat n'étaient pas négociables.

5. M. Crehan a conclu avec IEL, en 1991, deux baux de vingt ans avec obligation d'achat en faveur de Courage. Le loyer était soumis à une révision quinquennale, à la hausse uniquement, à hauteur du loyer le plus haut pour la période antérieure ou du meilleur loyer pouvant être obtenu dans un marché ouvert pour le reste de la période selon les autres conditions du contrat de bail. Le débitant devait acheter une quantité minimale déterminée de bières spécifiées et IEL a accepté d'obtenir que les types spécifiés soient fournis au débitant par Courage aux prix indiqués dans le tarif de ce dernier.

6. En 1993, Courage a introduit une action visant à faire condamner M. Crehan au paiement d'un montant de plus de 15 000 GBP correspondant à des livraisons de bière restées impayées.

7. M. Crehan a opposé que l'obligation d'achat exclusif de certains types spécifiés de bière contenue dans le contrat de bail était contraire à l'article 81 CE et il a introduit une demande reconventionnelle en dommages et intérêts. Le fondement de la plainte de M. Crehan est que Courage a vendu sa bière à ses clients non soumis à la clause d'exclusivité à des prix substantiellement plus bas que ceux repris dans la liste des prix appliqués à ses débitants liés par l'exclusivité. Il allègue que cette différence de prix avait pour conséquence de réduire la rentabilité des débitants soumis à l'exclusivité et de les contraindre à mettre fin à leur activité.

8. Les considérations qui ont amené la Court of Appeal à poser des questions préjudicielles à la Cour de justice sont les suivantes.

9. D'une part, la Court of Appeal avait, dans un arrêt antérieur, jugé que l'article 81, paragraphe 1, CE avait pour vocation de protéger les tiers concurrents et non les parties à l'accord illicite. Celles-ci seraient, en effet, les auteurs et non les victimes de la restriction de concurrence.

10. D'autre part, le droit anglais ne permet pas à une partie à un accord illicite de réclamer des dommages et intérêts à l'autre partie. Même si le moyen soulevé par M. Crehan, selon lequel son bail contrevient à l'article 81 CE, était valable, le droit anglais opposerait une fin de non-recevoir à son action en dommages et intérêts. Par contre, il ressort de l'arrêt de la Supreme Court des États-Unis d'Amérique Perma Life Mufflers Inc./International Parts Corp. qu'une partie à un accord anticoncurrentiel peut, lorsqu'elle est en situation d'infériorité économique, intenter une action en dommages et intérêts.

11. C'est dans ces conditions qu'elle a déféré à la Cour de justice les questions suivantes.

II - Les questions préjudicielles

«1) L'article 81 CE doit-il être interprété en ce sens qu'une partie à un contrat illicite de location d'un débit de boissons contenant une clause d'exclusivité peut invoquer ledit article 81 CE devant les organes juridictionnels en vue d'obtenir réparation de l'autre partie contractante?

2) S'il est répondu à la première question par l'affirmative, la partie qui demande réparation est-elle en droit de se voir octroyer des dommages et intérêts pour un préjudice supposé résulter de sa sujétion à la clause du contrat qui contrevient à l'article 81?

3) Une règle de droit national qui prévoit que les organes juridictionnels ne devraient pas permettre à une personne d'invoquer et/ou de se fonder, comme une étape nécessaire pour l'obtention de dommages et intérêts, sur ses propres actions illégales est-elle compatible avec le droit communautaire?

4) Si la réponse à la question 3 est que, dans certaines circonstances, une telle règle peut être incompatible avec le droit communautaire, quelles circonstances la juridiction nationale devrait-elle prendre en considération?»

III - Appréciation

Observation préliminaire

12. Il résulte du jugement de renvoi que la Court of Appeal, pour les besoins du litige au principal et dans le souci apparent de régler d'abord les questions de droit, part de deux hypothèses. D'abord, elle présume que l'obligation d'achat exclusif de certains types de bière prévue dans le contrat de location d'un débit de boissons conclu par M. Crehan est contraire à l'article 81 CE. Ensuite, elle part de l'hypothèse selon laquelle M. Crehan a subi un préjudice «en raison des actions prises par l'autre partie en vertu de l'accord».

13. Il s'ensuit que nous sommes amenés à nous prononcer sur la situation abstraite d'une violation de l'article 81 CE qui a causé un préjudice dans le chef d'une des parties à l'accord. La question de savoir si cette situation abstraite correspond à la réalité des faits constitue une question à trancher ultérieurement par la juridiction de renvoi et ne nous concerne pas.

14. Nous ne pensons cependant pas que la Cour doive refuser de répondre aux questions posées au motif qu'il s'agirait de questions hypothétiques. Il convient, en effet, de rappeler que, selon une jurisprudence constante , «[...] il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour. Le rejet d'une demande formée par une juridiction nationale n'est possible que s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit communautaire n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal».

15. Mais tel n'est pas le cas ici.

16. Il résulte, en effet, des explications fournies par la Court of Appeal que...

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