Roquette Frères SA v Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, and Commission of the European Communities.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2001:472
Docket NumberC-94/00
Celex Number62000CC0094
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date20 September 2001
EUR-Lex - 62000C0094 - FR 62000C0094

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 20 septembre 2001. - Roquette Frères SA contre Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, en présence de la Commission des Communautés européennes. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Droit de la concurrence - Article 14, paragraphes 3 et 6, du règlement nº 17 - Décision de la Commission ordonnant une vérification - Assistance des autorités nationales - Interprétation de l'arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission - Principes généraux - Protection contre les interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique dans la sphère d'activité privée d'une personne morale - Portée du contrôle incombant à la juridiction nationale compétente pour autoriser des mesures de contrainte à l'encontre des entreprises - Devoir d'information de la Commission - Coopération loyale. - Affaire C-94/00.

Recueil de jurisprudence 2002 page I-09011


Conclusions de l'avocat général

1. Dans le cadre d'un pourvoi introduit par Roquette Frères SA (ci-après «Roquette») contre une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Lille (France), du 14 septembre 1998, autorisant des vérifications dans les locaux de cette entreprise, la Cour de cassation (France) nous a saisis de deux questions préjudicielles ayant trait à la possibilité pour un juge national de refuser la mise en oeuvre des vérifications ordonnées par la Commission.

I Le cadre factuel et juridique

A La décision de la Commission

2. La Commission a adopté le 10 septembre 1998, en application de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité , une décision ordonnant à Roquette de se soumettre à une vérification.

3. L'article 1er du dispositif de cette décision est ainsi libellé:

«L'entreprise Roquettes Frères SA est tenue de se soumettre à une vérification portant sur sa participation éventuelle à des accords et/ou pratiques concertées dans les domaines du gluconate de sodium et du glucono-delta-lactone, susceptibles de constituer une infraction à l'article 85 du traité CE. La vérification peut avoir lieu dans tous les établissements de cette entreprise.

L'entreprise permettra aux agents mandatés par la Commission pour procéder à la vérification, et aux agents de l'État membre qui les assistent, d'accéder à tous ses locaux, terrains et moyens de transport pendant les heures normales d'ouverture des bureaux. L'entreprise présentera pour contrôle les livres et autres documents professionnels requis par lesdits agents; elle leur permettra de contrôler ses livres et autres documents professionnels aux endroits où ils se trouvent et d'en prendre copie ou extrait. En outre, elle leur fournira immédiatement toutes les explications orales que lesdits agents pourraient demander en relation avec l'objet de la vérification.»

4. Pour l'essentiel, les motifs de la décision de la Commission laissent, pour leur part, apparaître que:

«[...]

La Commission dispose d'informations selon lesquelles des responsables de l'entreprise visée auraient tenu des réunions régulières avec des concurrents, au cours desquelles des parts du marché du gluconate de sodium auraient été allouées et des prix minimum convenus vis-à-vis des utilisateurs des diverses régions du marché. Les niveaux de ventes, totales et relatives aux diverses régions, auraient aussi été fixés. Chaque réunion aurait donné lieu à l'évaluation du degré d'observance des accords. Toute entreprise ayant dépassé les ventes qui lui étaient accordées devait semble-t-il essayer de réduire ses ventes au cours de la période suivante.

[...]

La Commission dispose d'informations selon lesquelles les contacts en question avec des concurrents se seraient étendus aussi au glucono-delta-lactone. Il se serait agi en particulier de conversations bi- ou multilatérales, qui se seraient tenues souvent en marge (avant, après ou lors de pauses) des réunions concernant le gluconate de sodium. Les participants auraient à cette occasion échangé des informations sur le marché, sur les prix du marché ainsi que sur la situation de la demande. Ils auraient aussi tenu des conversations sur les capacités de production et les volumes de vente. Les contacts auraient visé le contrôle des prix et étaient semble-t-il de nature à provoquer une coordination du comportement des participants sur le marché.

Si leur existence était établie, les accords et/ou les pratiques concertées susvisés pourraient constituer une infraction grave à l'article 85 du traité [...]. La nature même de tels accords et/ou pratiques concertées donne à penser qu'ils seraient appliqués selon des modalités secrètes et qu'une vérification est à cet égard le moyen le plus approprié pour recueillir des éléments de preuve de leur existence.

[...]

Afin de préserver l'efficacité de la vérification, il est nécessaire que l'entreprise n'en soit pas informée à l'avance.

Il est donc nécessaire de contraindre l'entreprise, par voie de décision, à se soumettre à une vérification au sens de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17.»

5. La Commission est intervenue auprès du gouvernement français, lui demandant de prendre les mesures nécessaires pour que l'assistance des autorités nationales, prévue par l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17, en cas d'opposition de l'entreprise à une vérification, soit assurée.

6. À la suite de cette demande, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après la «DGCCRF») a demandé aux services administratifs déconcentrés compétents, d'une part, de se mettre à la disposition des agents mandatés par la Commission, d'autre part, de présenter une requête devant le président du tribunal de grande instance de Lille aux fins d'obtenir l'autorisation de visite et de saisie prévue par la législation française.

7. Une telle requête a été déposée le 14 septembre 1998. S'y trouvaient notamment annexés la décision de la Commission et le texte de l'arrêt Hoechst/Commission .

8. Le président du tribunal de grande instance de Lille a fait droit à cette requête par l'ordonnance du 14 septembre 1998, précitée, sur laquelle nous reviendrons.

B Le droit national applicable

9. Le Conseil constitutionnel (France) a jugé, le 29 décembre 1983, que des investigations dans des lieux privés ne peuvent être conduites que dans le respect de l'article 66 de la Constitution qui confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle et notamment de l'inviolabilité du domicile. Il en a déduit que les dispositions légales applicables doivent, dès lors, assigner de façon explicite à la juridiction compétente la mission de vérifier, de façon concrète, le bien-fondé de la demande qui lui est soumise.

10. Postérieurement à cette décision a été adoptée l'ordonnance n° 86-1243, du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence (ci-après l'«ordonnance relative à la concurrence»), qui établit les procédures de vérification permises dans ce domaine.

11. L'article 47 de cette dernière prévoit:

«Les enquêteurs peuvent accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transport à usage professionnel, demander la communication des livres, factures et tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications. Ils peuvent demander à l'autorité dont ils dépendent de désigner un expert pour procéder à toute expertise contradictoire nécessaire.»

12. L'article 48 de ladite ordonnance dispose:

«Les enquêteurs ne peuvent procéder aux visites en tous locaux, ainsi qu'à la saisie de documents, que dans le cadre d'enquêtes demandées par le ministre chargé de l'économie ou le Conseil de la concurrence et sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter ou d'un juge délégué par lui. [...]

Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée; cette demande doit comporter tous les éléments d'information de nature à justifier la visite . Il désigne un ou plusieurs officiers de police judiciaire chargés d'assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement [...].

Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l'intervention. À tout moment, il peut décider la suspension ou l'arrêt de la visite.

L'ordonnance mentionnée au premier alinéa du présent article n'est susceptible que d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale. Ce pourvoi n'est pas suspensif.

La visite, qui ne peut commencer avant six heures ou après vingt et une heures, est effectuée en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant. Les enquêteurs, l'occupant des lieux ou son représentant ainsi que l'officier de police judiciaire peuvent seuls prendre connaissance des documents avant leur saisie. [...]»

13. Les prescriptions des articles 47 et 48 de l'ordonnance relative à la concurrence ont été rendues applicables aux vérifications décidées sur la base de l'article 14 du règlement n° 17. L'article 56 bis de ladite ordonnance prévoit ainsi:

«Pour l'application des articles 85 à 87 du Traité de Rome, le ministre chargé de l'économie et les fonctionnaires qu'il a désignés ou habilités conformément aux dispositions de la présente ordonnance, d'une part, le Conseil de la concurrence, d'autre part, disposent des pouvoirs qui leur sont reconnus par les titres III, VI et VII de la présente ordonnance, pour ce qui concerne le ministre et les fonctionnaires susvisés, et par son titre III pour ce qui concerne le Conseil de la concurrence. Les règles de procédure prévues par ces textes leur sont applicables.»

14. Aux fins d'éclairer l'interprétation que reçoivent les dispositions...

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