Criminal proceedings against R.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:381
Date29 June 2010
Celex Number62009CC0285
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-285/09

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 29 juin 2010 (1)

Affaire C‑285/09

Procédure pénale

contre

R.

[demande de décision préjudicielle introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Sixième directive TVA – Article 28 quater, A, sous a) – Livraison intracommunautaire – Refus d’exonération – Pratiques frauduleuses»





I – Introduction

1. Dans la présente affaire, le Bundesgerichtshof (Cour suprême fédérale, Allemagne) soumet à la Cour une question d’interprétation sur la sixième directive sur la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») (2), relative à l’exonération de livraisons intracommunautaires.

2. Il s’agit, plus concrètement, de savoir si l’État membre d’origine des marchandises est en droit de considérer que ne peut bénéficier de l’exonération de cette taxe le vendeur assujetti domicilié dans cet État membre d’origine, qui, tout en ayant réellement effectué une livraison intracommunautaire, a dissimulé des données relatives à l’opération, en permettant ainsi à l’acheteur domicilié dans l’État membre de destination d’éluder la taxe.

3. La question a été soulevée dans le cadre d’une procédure pénale engagée à l’encontre de M. R., le Bundesgerichtshof estimant que la condamnation infligée (sur laquelle cette juridiction est appelée, sur pourvoi, à se prononcer) est tributaire de la qualification fiscale qu’il y a lieu de donner, au regard de la sixième directive, à l’opération en cause. Cependant, il convient de centrer les présentes conclusions sur cette qualification fiscale, en faisant abstraction de ses éventuelles conséquences en terme de sanction.

4. Il existe déjà une riche jurisprudence qui trouve son inspiration dans l’objectif de lutte contre la fraude et les pratiques abusives, ces deux phénomènes étant fréquents dans un système tellement complexe comme celui de la TVA. Cependant, en développant cette jurisprudence, la Cour a bien pris garde de concilier l’objectif de la lutte contre la fraude et le respect des principes de base de la TVA, en formulant des réponses proportionnées et adaptées à chaque cas.

5. Il convient, toutefois, de signaler que, dans la présente affaire, la réponse qui semble, à première vue, s’imposer en vertu du bon sens (priver d’un avantage fiscal l’assujetti de mauvaise foi) n’est pas corroborée par une analyse détaillée des principes régissant le fonctionnement de la TVA. En somme, et en anticipant ma suggestion finale, j’estime que l’effet de sanction, indiscutablement souhaitable, doit être atteint par d’autres moyens plus proportionnés et, en tout état de cause, plus respectueux du système qui préside et sous-tend la taxe.

II – Le cadre juridique

A – Le droit communautaire

6. La directive 91/680/CEE du Conseil (3) a inséré dans la sixième directive un nouveau titre XVI bis, relatif au «régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres», en créant le fait imposable «acquisition intracommunautaire», ainsi que l’exonération des «livraisons intracommunautaires».

7. Son article 28 bis, qui est à la tête de ce titre, dispose à son paragraphe 1, sous a), que sont soumises à la TVA «les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ou par une personne morale non assujettie, lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel, qui ne bénéficie pas de la franchise de taxe prévue à l’article 24 et qui ne relève pas des dispositions prévues à l’article 8 paragraphe 1, point a) deuxième phrase ou à l’article 28 ter titre B, paragraphe 1».

8. L’article 28 quater, A, sous a), exonère les livraisons intracommunautaires dans ces termes:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-après et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels, les États membres exonèrent:

a) les livraisons de biens, au sens de l’article 5 et au sens de l’article 28 bis, paragraphe 5 point a), expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire visé à l’article 3 mais à l’intérieur de la Communauté, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.

[…]»

B – Le droit allemand

1. La disposition de nature pénale

9. Conformément à l’article 370, paragraphe 1, du code des impôts (Abgabenordnung, ci-après la «AO») (4), engage sa responsabilité pénale et est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans ou d’une amende pénale quiconque fait aux autorités fiscales des déclarations inexactes ou incomplètes sur des faits présentant une pertinence aux fins de la taxation et, ce faisant, réduit sa charge fiscale ou obtient pour lui-même ou pour des tiers des avantages fiscaux indus.

10. Selon le Bundesgerichtshof, cette disposition de la AO constitue une incrimination par renvoi, puisqu’elle ne contient pas tous les éléments constitutifs du fait punissable, et doit donc être complétée par les dispositions de droit fiscal matériel, qui définissent les faits pertinents aux fins de la taxe et les conditions d’exigibilité de celle-ci. La juridiction de renvoi estime, par conséquent, que «l’exigibilité de l’impôt est une condition pour que la fraude soit punissable».

2. La législation fiscale

11. L’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la loi relative à la TVA (Umsatzsteuergesetz, ci-après l’«UStG») (5), soumet à cette taxe les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti.

12. Cependant, l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’UStG, qui transpose l’exonération visée à l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive, dispose, de son côté, que les opérations relevant de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de l’UStG sont exonérées de la TVA en cas de livraison intracommunautaire.

13. L’article 6a, paragraphe 1, de l’UStG énonce les conditions requises pour qu’une livraison puisse être qualifiée d’intracommunautaire aux fins susvisées. Il exige, notamment, que l’entrepreneur ou l’acquéreur transporte ou expédie l’objet de la livraison vers le reste du territoire communautaire (numéro 1), et que l’acquisition de l’objet de la livraison par l’acquéreur soit soumise dans un autre État membre à la législation en matière de taxe sur le chiffre d’affaires (numéro 3).

14. Conformément à l’article 6a, paragraphe 3, de l’UStG, il appartient à l’entrepreneur de prouver l’existence des conditions visées aux paragraphes 1 et 2 du même article.

15. Ces obligations en matière de preuve sont décrites plus en détail dans les articles 17a et 17c du règlement allemand d’application de l’UStG (Umsatzsteuer‑Durchführungsverordnung, ci-après la «UStDV») (6). L’article 17a de la UStVD introduit une preuve sur pièce, en disposant que l’entrepreneur doit établir, au moyen de pièces justificatives appropriées, que l’objet de la livraison a été transporté ou expédié vers le reste du territoire communautaire. L’article 17c de la UStVD définit les obligations comptables de l’entrepreneur en matière de livraisons communautaires, en énonçant qu’il doit établir, au vu de sa comptabilité, la preuve de l’existence des conditions de l’exonération qui découlent de l’article 6a de l’UStG, notamment en fournissant l’identité et le siège de l’acquéreur, ainsi que son numéro d’identification de la TVA.

16. Au demeurant, aux termes de l’article 18a, paragraphe 1, premier alinéa, de l’UStG, l’entrepreneur résident qui a effectué des livraisons intracommunautaires exonérées doit adresser au Bundeszentralamt für Steuern (administration fédérale des impôts) une déclaration récapitulative mentionnant notamment le numéro d’identification de la TVA de l’acquéreur. De plus, conformément à l’article 18b, premier alinéa, de l’UStG, l’entrepreneur est tenu de déclarer, à l’administration fiscale dont dépend son entreprise, l’assiette imposable des livraisons intracommunautaires qu’il a effectuées.

III – Le litige au principal et la question préjudicielle

17. L’accusé, M. R., de nationalité portugaise, était le gérant d’une société allemande qui faisait commerce de voitures de luxe. Il ressort des constatations de fait exposées dans la décision de renvoi que, depuis l’année 2001, ses ventes dépassaient 500 véhicules par an (7), pour la plupart, à des concessionnaires automobiles établis au Portugal.

18. À partir de l’année 2002, M. R. s’est livré à une série de manipulations comptables visant à permettre à des distributeurs au Portugal de commettre une fraude à la TVA dans cet État, en dissimulant l’identité des véritables acheteurs des véhicules. Cela lui aurait permis, de surcroît, de vendre les véhicules à un prix qu’il n’aurait pas pu exiger dans d’autres conditions, en réalisant de ce fait des bénéfices considérables.

19. Ces manipulations consistaient concrètement à établir de fausses factures au nom d’acheteurs fictifs, en tant que destinataires des livraisons. Sur ces factures, figuraient dans chaque cas la raison sociale du supposé acheteur, son numéro d’identification de la TVA, la désignation du véhicule (qui était, en réalité, livré à un autre acquéreur), le prix d’achat ainsi que la mention «livraison intracommunautaire exonérée au titre de l’article 6a de l’UStG». Cela suscitait donc l’impression que la TVA serait payée au Portugal par le faux acquéreur pour cette acquisition intracommunautaire.

20. Ces acquéreurs apparents (ou «fictifs») étaient des entreprises réelles établies au Portugal. Certaines avaient consenti à l’utilisation qui était faite de leur raison sociale à ces fins, tandis que d’autres l’ignoraient.

21. De leur côté, les acheteurs réels des véhicules en cause vendaient ceux-ci à des acheteurs finaux...

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