Peter Pinckney v KDG Mediatech AG.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2013:400
Docket NumberC-170/12
Celex Number62012CC0170
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date13 June 2013
62012CC0170

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 13 juin 2013 ( 1 )

Affaire C‑170/12

Peter Pinckney

contre

KDG Mediatech AG

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

«Irrecevabilité — Absence de rapport entre les questions préjudicielles et la réalité ou l’objet du litige au principal — Compétence judiciaire en matière civile et commerciale — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 5, point 3 — Compétence spéciale en matière délictuelle ou quasi délictuelle — Critères pour déterminer le lieu du fait dommageable — Atteinte aux droits patrimoniaux d’un auteur — Directive 2001/29/CE — Articles 2 à 4 — Pressage de CD — Offre en ligne de CD — Mise en ligne de contenus sous forme dématérialisée»

I – Introduction

1.

La Cour de cassation (France) a saisi la Cour de deux questions préjudicielles à l’occasion d’une action en responsabilité opposant M. Pinckney, résident français qui prétend être, entre autres, l’auteur d’œuvres musicales, à KDG Mediatech AG (ci-après «Mediatech»), société établie en Autriche, fondée sur la contrefaçon alléguée desdites œuvres par cette dernière.

2.

La présente affaire aurait pu conduire la Cour à se prononcer sur les conditions auxquelles les juridictions d’un État membre sont compétentes ratione loci pour connaître d’un litige né d’une atteinte alléguée aux droits d’un auteur commise par l’intermédiaire d’Internet sur le fondement de l’article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 2 ).

3.

La juridiction de renvoi s’interroge en effet sur le critère de rattachement pertinent en présence d’une atteinte transfrontalière aux droits patrimoniaux d’un auteur résultant soit de la mise en ligne de contenus dématérialisés, soit de la vente en ligne d’un support matériel reproduisant lesdits contenus. La Cour de cassation justifie son renvoi préjudiciel par la différence qui existerait entre le litige dont elle est saisie et les hypothèses envisagées par la Cour dans les arrêts L’Oréal e.a. ( 3 ) ainsi que eDate Advertising et e.a. ( 4 ).

4.

Néanmoins, eu égard à la description des faits par le juge a quo, et en raison de la qualification du fondement juridique de l’action en responsabilité introduite par M. Pinckney à laquelle il me semble indispensable de procéder, les questions préjudicielles me paraissent être dénuées de pertinence pour la solution du litige au principal et, partant, devoir être déclarées irrecevables. Ce n’est donc qu’à titre subsidiaire que je présenterai quelques observations sur le fond de l’affaire.

II – Le cadre juridique

A – Le règlement no 44/2001 ( 5 )

5.

Le considérant 12 du règlement no 44/2001 énonce que «[l]e for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice».

6.

L’article 2, paragraphe 1, dudit règlement, qui appartient à la section 1 du chapitre II intitulée «Dispositions générales», prévoit que «[s]ous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

7.

L’article 5, point 3, de ce même règlement, qui fait partie de la section 2 du chapitre II intitulée «Compétences spéciales», prévoit qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre, «en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire» ( 6 ).

B – La directive 2001/29/CE

8.

L’article 2 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ( 7 ), intitulé «Droit de reproduction», dispose, en substance, que les États membres prévoient, entre autres, pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie, de leurs œuvres.

9.

L’article 3, paragraphe 1, de ladite directive, intitulé «Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés», dispose que «[l]es États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement». Le paragraphe 3 de cet article précise que «[l]es droits visés aux paragraphes 1 et 2 ne sont pas épuisés par un acte de communication au public, ou de mise à la disposition du public, au sens du présent article».

10.

Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la même directive, intitulé «Droit de distribution»: «[l]es États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles-ci». En outre, le paragraphe 2 dudit article dispose que «[l]e droit de distribution dans la Communauté relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre n’est épuisé qu’en cas de première vente ou premier autre transfert de propriété dans la Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement».

III – Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

11.

À la lumière de la demande de décision préjudicielle et des observations des parties, les faits et le litige au principal peuvent être résumés comme suit.

12.

M. Pinckney, qui réside à Toulouse (France), prétend être l’auteur, le compositeur et l’interprète de douze chansons enregistrées sur un disque vinyle dans les années 1970. Il a découvert que lesdites chansons ont été reproduites sans son autorisation sur des disques compacts (ci-après «CD») pressés par Mediatech en Autriche, où cette dernière est domiciliée. Ces CD ont ensuite été commercialisés par deux sociétés britanniques sur différents sites Internet accessibles, notamment, depuis le domicile toulousain de M. Pinckney.

13.

M. Pinckney a assigné Mediatech devant le tribunal de grande instance de Toulouse aux fins d’obtenir réparation du préjudice que celui-ci estime avoir subi du fait d’une atteinte à ses droits d’auteur. Par une ordonnance du 14 février 2008, le juge de la mise en état dudit tribunal s’est estimé compétent pour connaître de cette demande, nonobstant l’exception d’incompétence territoriale soulevée par Mediatech.

14.

Mediatech ayant interjeté appel de ce jugement, la cour d’appel de Toulouse a écarté la compétence des juridictions françaises, aux motifs que le lieu du domicile du défendeur était l’Autriche et que le lieu de réalisation du dommage ne pouvait se situer en France.

15.

M. Pinckney a alors formé un pourvoi aux fins de cassation de cet arrêt en invoquant la violation de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001. C’est dans ce contexte que, par une décision du 5 avril 2012, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 5, point 3, du règlement [no 44/2001], doit-il être interprété en ce sens qu’en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur commise au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet,

la personne qui s’estime lésée a la faculté d’introduire une action en responsabilité devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été, à l’effet d’obtenir réparation du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie,

ou

il faut, en outre, que ces contenus soient ou aient été destinés au public situé sur le territoire de cet État membre, ou bien qu’un autre lien de rattachement soit caractérisé?

2) La [première question] doit-elle recevoir la même réponse lorsque l’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur résulte non pas de la mise en ligne d’un contenu dématérialisé, mais, comme en l’espèce, de l’offre en ligne d’un support matériel reproduisant ce contenu?»

16.

La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 11 avril 2012. Des observations écrites ont été fournies par M. Pinckney, par les gouvernements français, grec, autrichien et polonais, ainsi que par la Commission européenne. Il n’a pas été tenu d’audience.

IV – Analyse

A – Sur la recevabilité

17.

J’aborderai les deux motifs d’irrecevabilité pertinents en l’espèce en tenant compte, d’une part, du caractère exceptionnel des décisions d’irrecevabilité en matière de renvois préjudiciels, qui découle du principe fondamental de bonne coopération avec les juridictions nationales et, d’autre part, de la nécessité pour ces dernières de permettre à la Cour de se prononcer sur l’interprétation sollicitée des dispositions du droit de l’Union à la lumière et pour les besoins du litige au principal.

18.

En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que les questions préjudicielles posées par les juridictions nationales bénéficient d’une présomption de pertinence ( 8 ) et, à cet égard, que leur rejet...

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