European Commission v Deutsche Post AG.
Jurisdiction | European Union |
Celex Number | 62008CC0399 |
ECLI | ECLI:EU:C:2010:160 |
Court | Court of Justice (European Union) |
Docket Number | C-399/08 |
Date | 24 March 2010 |
Procedure Type | Recurso de anulación |
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NIILO JÄÄSKINEN
présentées le 24 mars 2010 (1)
Affaire C‑399/08 P
Commission européenne
contre
Deutsche Post AG
«Pourvoi – Article 87, paragraphe 1, CE – Aides accordées par les États – Service d’intérêt économique général – Charge de la preuve – Méthode de vérification par la Commission de l’existence d’un avantage – Pouvoir de contrôle du Tribunal»
1. Par son pourvoi, la Commission des Communautés européennes demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 1er juillet 2008, Deutsche Post/Commission (T‑266/02, Rec. p. II‑1233, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé la décision 2002/753/CE de la Commission, du 19 juin 2002, concernant les mesures prises par la République fédérale d’Allemagne en faveur de Deutsche Post AG (2).
2. Dans la décision litigieuse, la Commission a estimé que, dans le cadre du processus de la restructuration de l’ancienne administration des postes et télécommunications allemande, Deutsche Post AG a obtenu des versements compensatoires importants provenant de ressources étatiques. Compte tenu, d’une part, de la politique de vente à perte dans le secteur du marché des colis postaux, sanctionnée par la Commission dans une décision du 20 mars 2001 (3) constatant l’abus de la position dominante par Deutsche Post AG, et, d’autre part, du déficit enregistré par Deutsche Post AG pendant la période examinée, la Commission a considéré que la politique agressive des prix n’avait pu être financée qu’à l’aide des ressources perçues par Deutsche Post AG en compensation de la fourniture de services d’intérêt économique général. Par conséquent, la Commission a conclu à l’existence d’une aide d’État illégale.
3. Le Tribunal a jugé que la Commission avait violé l’article 87, paragraphe 1, CE (4) en considérant que les transferts étatiques avaient conféré un avantage à Deutsche Post AG.
4. La question principale dans le cadre du présent pourvoi est donc celle relative à la méthode permettant de déterminer si une entreprise chargée de missions de service d’intérêt économique général a obtenu une compensation excédant le surcoût engendré par la fourniture dudit service, susceptible de constituer un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Cette question s’inscrit dans le cadre d’un débat plus vaste relatif à l’identification de la nature juridique de la compensation des charges découlant de l’accomplissement d’un service d’intérêt économique général.
I – Les faits, la procédure et l’arrêt attaqué
5. Deutsche Post AG est une grande entreprise qui opère tant dans le secteur du transport de courrier, dans le cadre duquel elle bénéficie d’un monopole, que dans deux autres secteurs postaux, à savoir le transport de colis et le transport des périodiques et des journaux, qui sont tous deux ouverts à la concurrence.
6. Dans le secteur du transport de colis, Deutsche Post AG assure, d’une part, des services de transport des colis déposés directement aux guichets des bureaux de poste et, d’autre part, des services de transport de plus grosses quantités de colis qui ne sont pas traités directement dans les guichets des bureaux de poste (ci‑après le «secteur du colis de porte à porte»).
7. En ce qui concerne le secteur du colis de porte à porte, Deutsche Post AG assure deux principaux services, à savoir, d’une part, le transport de colis de porte à porte ciblé sur la clientèle professionnelle qui trie en amont ou dépose une quantité minimale de colis (ci‑après le «segment de la clientèle professionnelle») et, d’autre part, le transport de colis pour le compte des entreprises de vente par correspondance qui expédient des marchandises commandées sur catalogue ou par voie électronique (ci‑après le «segment de la VPC»).
8. Dans le cadre du processus de la libéralisation et de la restructuration de l’administration postale, conformément à la loi sur l’organisation de la poste (Postverfassungsgesetz), Deutsche Post AG a reçu des transferts opérés par Deutsche Bundespost Telekom (ci‑après «DB‑Telekom») afin de compenser ses pertes subies de 1990 à 1995 (ci‑après les «transferts opérés par DB‑Telekom»).
9. Le 20 mars 2001, la Commission a adopté la décision 2001/354 dans laquelle elle a conclu, en substance, que Deutsche Post AG avait enfreint l’article 82 CE dans la mesure où elle avait abusé de sa position dominante dans le seul segment de la VPC, notamment en pratiquant une politique de vente à perte en proposant des prix inférieurs à ses coûts incrémentaux.
10. Dès lors que cette décision n’a fait l’objet d’aucun recours, elle est devenue définitive. Toutefois, le fait d’avoir pratiqué des prix prédateurs et la question de l’obtention d’une aide d’État illégale constituent deux questions distinctes.
11. Le 19 juin 2002, la Commission a adopté la décision litigieuse dans laquelle elle a examiné, notamment, l’aide financière de l’État en faveur de Deutsche Post AG. La Commission a considéré que l’aide publique, d’un montant de 572 millions d’euros (soit 1 118,7 millions de DEM), attribuée à Deutsche Post AG était incompatible avec le marché commun. Elle a, par conséquent, ordonné la récupération de l’aide octroyée illégalement.
12. À la suite d’un recours en annulation introduit par Deutsche Post AG, le Tribunal a accueilli le grief de Deutsche Post AG selon lequel la Commission n’aurait pas établi que Deutsche Post AG avait bénéficié d’un avantage au moyen des transferts opérés par DB‑Telekom. En outre, après avoir jugé que la Commission avait violé l’article 87, paragraphe 1, CE, le Tribunal s’est prononcé, à titre surabondant, sur le grief selon lequel la Commission aurait, en tout état de cause, conclu à tort que les transferts opérés par DB‑Telekom auraient permis à Deutsche Post AG de couvrir les surcoûts nets générés par sa politique de vente à perte. Après avoir analysé les données chiffrées relatives aux surcoûts nets susmentionnés, le Tribunal a également accueilli le grief en question.
II – Sur le pourvoi
13. À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque les moyens suivants.
14. Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé les articles 87, paragraphe 1, CE et 86, paragraphe 2, CE. La Commission fait valoir que ces dispositions ont été incorrectement interprétées par le Tribunal dès lors qu’il aurait été jugé qu’elles excluaient une méthode, non critiquée par ailleurs dans l’arrêt, qui autorisait, sur la base d’une argumentation logique et pertinente, de conclure à l’existence d’une aide d’État. De plus, la Commission soulève l’incompétence du Tribunal et invoque une violation de l’article 230 CE dans la mesure où le Tribunal aurait excédé les limites de sa compétence et du pouvoir de contrôle qu’il tire de l’article 230 CE. La Commission invoque également une violation de l’article 36 du statut de la Cour de justice, au motif que le Tribunal aurait omis de motiver sa conclusion quant au caractère inapproprié de la méthode employée dans la décision litigieuse.
15. En outre, par lettre parvenue à la Cour le 9 décembre 2008, le Bundesverband Internationaler Express‑ und Kurierdienste eV (ci‑après le «BIEK») a présenté un mémoire en réponse au soutien de la partie requérante au pourvoi. Par courrier du 4 décembre 2008, UPS Deutschland Inc. et UPS Europe NV (ci‑après «UPS») ont déposé conjointement un mémoire en réponse et un pourvoi incident.
16. Eu égard à la question principale, à savoir la méthode que la Commission pouvait appliquer en l’espèce, cette dernière propose à la Cour de traiter tous les moyens conjointement.
17. Il me paraît cependant opportun de scinder les moyens selon qu’ils visent la motivation principale de l’arrêt attaqué ou la motivation surabondante de celui-ci.
III – Observations liminaires sur l’étendue du contrôle juridictionnel des actes de la Commission en matière d’aides d’État
18. Tout d’abord, il doit être rappelé que la notion d’aide d’État, telle qu’elle est définie dans le traité, doit être interprétée sur la base d’éléments objectifs. Pour cette raison, le juge communautaire doit, en principe, et compte tenu tant des éléments concrets du litige qui lui est soumis que du caractère technique ou complexe des appréciations portées par la Commission, exercer un entier contrôle en ce qui concerne la question de savoir si une mesure entre dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE (5).
19. Ainsi que l’a souligné l’avocat général Cosmas dans ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt France/Ladbroke Racing et Commission (6), tant la Cour que le Tribunal et le juge national, lorsqu’ils sont appelés à examiner dans quelle mesure il est justifié ou non de qualifier une mesure nationale d’aide d’État au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE), doivent exercer – par principe et dans la mesure du possible – un contrôle exhaustif au fond. Cette règle ne peut être écartée que si le juge constate la réunion de conditions spécifiques excluant un contrôle judiciaire extensif. Selon l’avocat général Cosmas, il ne saurait être affirmé que, lorsqu’il se pose une question d’interprétation et d’application de l’article 92, paragraphe 1, du traité, ces conditions particulières, qui limitent les possibilités d’intervention judiciaire sur le fond de l’affaire, seraient réunies a priori.
20. Il en découle que, dans le cadre du contrôle juridictionnel de mesures au regard de l’article 87, paragraphe 1, CE, le contrôle entier est la règle, tandis que le contrôle restreint constitue une exception (7).
21. En second lieu, s’agissant d’une appréciation économique complexe, il découle de la jurisprudence que le contrôle juridictionnel d’un acte de la Commission impliquant une telle appréciation doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits retenus...
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