Pfleiderer AG v Bundeskartellamt.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:782
Docket NumberC-360/09
Celex Number62009CC0360
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date16 December 2010

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁN MAZÁK

présentées le 16 décembre 2010 (1)

Affaire C‑360/09

Pfleiderer AG

contre

Bundeskartellamt

[demande de décision préjudicielle formée par l’Amtsgericht Bonn (Allemagne)]

«Concurrence – Entente – Action civile en dommages et intérêts – Demande d’accès à une demande de clémence et aux informations et documents y relatifs volontairement communiqués par un candidat à la clémence à une autorité nationale de concurrence – Incidences négatives éventuelles sur le fonctionnement du réseau européen de la concurrence (REC) et l’application du droit de la concurrence par les autorités publiques»





I – Introduction

1. Dans la présente demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir si et dans quelle mesure une autorité nationale de concurrence peut divulguer à un tiers lésé des informations qui lui ont été volontairement communiquées par les membres d’une entente en application du programme de clémence de l’autorité, aux fins de la préparation par ce tiers d’une action en dommages et intérêts en ce qui concerne le préjudice présumé causé par l’entente. Il est demandé à la Cour d’examiner en particulier si la divulgation de telles informations pourrait porter atteinte à l’application efficace du droit de la concurrence de l’Union européenne et au système de coopération et d’échange d’informations entre la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence des États membres au titre des articles 11 et 12 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (2).

2. Selon moi, cette demande de décision préjudicielle exige en particulier que la Cour évalue et mette en balance les intérêts éventuellement divergents que constituent, d’une part, la nécessité d’assurer l’efficacité des programmes de clémence établis afin de déceler, de sanctionner et, en définitive, de dissuader la formation d’ententes illégales en vertu de l’article 101 TFUE, et, d’autre part, le droit de tout individu de réclamer des dommages et intérêts pour les dommages subis en raison de telles ententes.

3. La présente affaire exige par conséquent que la Cour évalue les intérêts apparemment divergents que constituent la nécessité d’assurer l’application efficace de l’article 101 TFUE et la possibilité pour une partie prétendument lésée d’avoir accès à des informations (3) qui seront produites en justice dans le cadre d’une action civile en dommages et intérêts à l’encontre d’un membre d’une entente et qui sont donc susceptibles d’aider cette partie à faire valoir son droit à un recours effectif dans le cadre d’une procédure civile pour violation de l’article 101 TFUE. Dans de tels cas, le droit fondamental à un recours effectif est garanti, selon moi, par l’article 47, lu en combinaison avec l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «charte») (4), interprété à la lumière de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») (5) concernant le droit à un procès équitable ainsi que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à ce sujet.

II – La procédure au principal et la question préjudicielle

4. Par des décisions de janvier 2008, qui sont entre-temps devenues définitives, le Bundeskartellamt (office fédéral des ententes) a, en vertu notamment de l’article 81 CE, infligé des amendes pour un total de 62 millions d’euros aux trois principaux producteurs européens de papiers décors (papiers spéciaux pour le traitement de la surface de bois d’ingénierie) ainsi qu’à cinq personnes physiques personnellement responsables d’accords en matière de fixation de prix et de fermeture de capacités. Ces décisions étaient notamment fondées sur des informations et des documents reçus par le Bundeskartellamt dans le cadre de son programme de clémence.

5. Pfleiderer AG (ci-après «Pfleiderer») est cliente de papiers décors et l’un des trois premiers producteurs mondiaux de bois d’ingénierie, de produits finis traités en surface et de revêtement de sols laminés. L’entreprise a indiqué avoir acheté lors des trois dernières années pour plus de 60 millions d’euros de fournitures aux fabricants de papiers décors faisant l’objet de poursuites. Afin de préparer des actions civiles en dommages et intérêts, l’entreprise a demandé au Bundeskartellamt, par lettre du 26 février 2008, de lui donner un accès complet aux dossiers concernant la procédure d’amende relative à l’entente dans le secteur des papiers décors.

6. Après que Pfleiderer eut reçu une version rendue anonyme des trois décisions d’amende, ainsi qu’une liste des éléments de preuve recueillis lors d’une perquisition, l’entreprise a expressément demandé, par une deuxième lettre, qu’il lui soit également donné accès aux demandes de clémence, aux documents volontairement communiqués par les bénéficiaires d’une immunité et aux éléments de preuve rassemblés. Par lettre du 14 octobre 2008, le Bundeskartellamt a informé Pfleiderer qu’il avait l’intention de n’accueillir que partiellement sa demande et de limiter l’accès au dossier à une version expurgée des secrets d’affaires, documents internes et documents relevant du point 22 du programme de clémence du Bundeskartellamt (6).

7. Pfleiderer a fait appel de cette décision auprès de l’Amtsgericht Bonn.

8. Dans un premier temps, l’Amtsgericht Bonn a rendu, le 3 février 2009, une décision favorable pour l’essentiel à Pfleiderer. L’Amtsgericht Bonn indiquait que conformément à l’article 406e du code de procédure pénale allemand (Strafprozessordnung, ci-après la «StPO») (7), qui régit l’accès des victimes au dossier dans les affaires pénales et s’applique par analogie aux procédures en matière d’ententes concernant des infractions administratives, en vertu de l’article 46, paragraphe 1, et de l’article 46, paragraphe 3, quatrième phrase, dernière partie de la phrase, de la loi relative aux infractions administratives (Gesetz über Ordnungswidrigkeiten, ci-après l’«OWiG»), un avocat peut se voir accorder, au nom de la partie lésée, l’accès au dossier et aux éléments de preuve détenus par les autorités dans la mesure où il peut démontrer l’existence d’un intérêt légitime à cet égard. Selon la juridiction de renvoi, Pfleiderer doit être considérée comme une partie lésée, puisqu’il y a lieu de supposer que, en raison de l’entente, elle a payé à un prix trop élevé les produits qu’elle a achetés aux membres de l’entente. Il existe également un intérêt légitime lorsque la personne concernée sollicite l’accès au dossier dans le but de préparer des actions civiles en dommages et intérêts. Il convient également d’accorder l’accès aux éléments du dossier que les candidats à la clémence ont volontairement mis à la disposition du Bundeskartellamt et qui, par conséquent, concernent des informations relevant du point 22 du programme de clémence du Bundeskartellamt. Le droit d’accès est limité en ce qui concerne les secrets d’affaires et les documents internes [c’est-à-dire les notes relatives aux délibérations du Bundeskartellamt ou la correspondance échangée dans le cadre du réseau européen de la concurrence (REC) en vue de l’attribution de l’affaire]. L’étendue du droit d’accès doit être déterminée en mettant en balance les intérêts contradictoires et se limite aux éléments du dossier nécessaires pour étayer les demandes de dommages et intérêts.

9. Cette décision ayant été contestée, l’Amtsgericht Bonn a rétabli la procédure dans son état existant avant la décision contestée. Tout en ne souhaitant pas revenir sur sa conception de la loi, l’Amtsgericht Bonn estime que la décision envisagée déclarera implicitement que la version actuelle du programme de clémence du Bundeskartellamt est incompatible avec l’article 406e de la StPO et l’article 46, paragraphe 1, de l’OWiG. L’Amtsgericht Bonn fait en particulier référence au point 22 du programme de clémence du Bundeskartellamt.

10. La juridiction de renvoi estime toutefois que la décision envisagée pourrait être en contradiction avec les articles 11 et 12 du règlement n° 1/2003 et avec l’article 10, deuxième alinéa, CE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE. Selon la juridiction de renvoi, les articles 11 et 12 du règlement n° 1/2003 obligent la Commission et les autorités nationales de concurrence des États membres à une étroite collaboration et prévoient un échange réciproque d’informations, y compris confidentielles, aux fins d’une utilisation comme moyen de preuve dans des procédures d’application des articles 81 CE et 82 CE. Afin d’assurer l’efficacité et le bon fonctionnement de ces dispositions, il pourrait s’avérer nécessaire, dans le cadre de procédures d’amende au titre du droit de la concurrence de l’Union, d’interdire aux tiers lésés d’accéder aux demandes de clémence et aux documents volontairement communiqués par les bénéficiaires d’une immunité. Si le Bundeskartellamt était obligé de réduire ce niveau de protection afin d’accorder à des tiers l’accès aux demandes de clémence, contrairement au point 22 de son programme de clémence, cela aurait deux graves conséquences.

11. Premièrement, la Commission cesserait de fournir au Bundeskartellamt les informations basées sur des demandes de clémence. Les autres membres du REC ne transmettraient pas non plus au Bundeskartellamt d’informations de cette nature, dans la mesure où les autorités nationales de concurrence des autres États membres ont prévu, dans leurs programmes de clémence nationaux respectifs, des dispositions de protection contre la communication de pièces, conformément au programme modèle du REC en matière de clémence (8). Non seulement cela aurait une incidence négative importante sur la coopération au sein du REC, mais cela signifierait aussi qu’une attribution efficace...

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