Opinion of Advocate General Kokott delivered on 7 May 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:356
Date07 May 2020
Celex Number62019CC0223
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 7 mai 2020 (1)

Affaire C223/19

YS

contre

NK

(Demande de décision préjudicielle formée par le Landesgericht Wiener Neustadt [tribunal régional de Wiener Neustadt, Autriche])

« Demande de décision préjudicielle – Politique sociale – Égalité de traitement des hommes et des femmes en matière de rémunération et de sécurité sociale – Directive 2006/54/CE – Pensions d’entreprise – Pensions spéciales – Pension d’entreprise sous la forme d’une prestation définie directe versée par l’employeur – Retenue de primes conservatoires de pension – Non-augmentation des pensions spéciales – Discrimination indirecte des hommes – Directive 2000/78/CE – Discrimination fondée sur l’âge – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Art. 20 – Art. 21 – Interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe, la fortune et l’âge »






I. Introduction

1. Une réglementation nationale qui, entre autres, introduit une prime sur des « pensions spéciales » particulièrement élevées en vue d’assurer la couverture des retraites discrimine-t-elle indirectement les hommes, en tant que bénéficiaires principaux de pensions particulièrement élevées, par rapport aux femmes, qui perçoivent en moyenne des pensions sensiblement moins élevées ?

2. C’est là la question centrale qui fait l’objet de la présente demande de décision préjudicielle.

3. Afin d’assurer le financement à long terme des droits à pension, le législateur autrichien a mené, depuis la fin des années 90, différentes réformes. Ainsi, outre l’assurance retraite légale et les pensions des fonctionnaires, les pensions d’entreprise sous la forme de ce qu’on appelle des prestations définies directes, versées par des entreprises contrôlées par l’État, peuvent indirectement grever les finances publiques. En effet, par les accords y afférents, une entreprise s’engage directement à verser mensuellement au bénéficiaire, après son départ à la retraite, un montant préalablement fixé. Ainsi, des engagements d’entreprises publiques à verser des montants particulièrement élevés affectent les recettes publiques en ce qu’ils entraînent des versements de dividendes moindres au profit de leurs détenteurs de parts.

4. Le requérant dans l’affaire au principal (ci‑après le « requérant ») bénéficie d’une telle pension d’entreprise sous la forme d’une prestation définie directe versée par une entreprise à participation étatique majoritaire. Depuis 2015, son ancien employeur retient, d’une part, ce qu’on appelle une prime conservatoire de pension du montant de sa retraite d’entreprise. D’autre part, lors de l’adaptation des retraites pour 2018, il a été interdit aux entreprises contrôlées par l’État de procéder à l’augmentation annuelle contractuellement prévue de ces pensions d’entreprise, lorsque l’ensemble des revenus des retraites du bénéficiaire dépasse un certain montant.

5. Du moment que les dispositions décrites ci‑dessus affecteraient davantage d’hommes que de femmes et davantage de personnes âgées que de jeunes, le requérant les considère discriminatoires et donc contraires au droit de l’Union. Il appartiendra donc à la Cour de clarifier, dans la présente affaire, si les directives contre les discriminations et les dispositions de la Charte, et, notamment, ses articles 20 et 21, s’opposent à de telles disposition nationales.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. Directive 2000/78/CE

6. La directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (ci‑après la « directive 2000/78 ») (2) a pour objet, conformément à son article 1er, d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination « fondée sur la religion ou les convictions, l’handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ».

7. L’article 3, paragraphe 1, de cette directive définit son champ d’application comme suit :

« 1) Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :

(…)

c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération ».

2. Directive 2006/54/CE

8. La directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (refonte) (ci‑après la « directive 2006/54 ») (3) contient, conformément à son article 1er, entre autres, des dispositions en ce qui concerne « les conditions de travail, y compris les rémunérations » et « les régimes professionnels de sécurité sociale ».

9. L’article 2 de cette directive dispose :

« 1) Aux fins de la présente directive, on entend par :

a) “discrimination directe” : la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable en raison de son sexe qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable ;

b) “discrimination indirecte” : la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires ;

(…)

e) “rémunération” : le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimal et tout autre avantage, payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier ;

f) “régimes professionnels de sécurité sociale” : les régimes non régis par la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale qui ont pour objet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise ou d’un groupement d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur professionnel ou interprofessionnel, des prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s’y substituer, que l’affiliation à ces régimes soit obligatoire ou facultative ».

10. L’article 4 de la directive 2006/54 dispose :

« Pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, la discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est éliminée dans l’ensemble des éléments et conditions de rémunération.

En particulier, lorsqu’un système de classification professionnelle est utilisé pour la détermination des rémunérations, ce système est fondé sur des critères communs aux travailleurs masculins et féminins et est établi de manière à exclure les discriminations fondées sur le sexe. »

11. L’article 5 de la directive 2006/54 prévoit :

« Sans préjudice de l’article 4, toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est proscrite dans les régimes professionnels de sécurité sociale, en particulier en ce qui concerne :

(…)

c) le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge, et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations ».

B. Le droit national

1. Betriebspensionengesetz (loi sur la pension d’entreprise)

12. La pensions de retraite d’entreprise, en Autriche, sont régies par le Betriebspensionengesetz (loi sur la pension d’entreprise, ci‑après le « BPG ») (4).

13. En vertu de l’article 1, paragraphe 1, du BPG, ce dernier s’applique aux prestations définies accordées par l’employeur au travailleur dans le cadre d’une relation de travail de droit privé à titre de complément de l’assurance retraite Légale.

14. L’article 2 du BPG prévoit, sous le titre « Types de prestations définies », ce qui suit :

« Les prestations définies sont, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, des obligations de l’employeur, résultant de déclarations unilatérales, de conventions individuelles ou de dispositions des conventions collectives,

1. d’effectuer des versements à un fonds de pension ou à une institution au sens de l’article 5, point 4, du Pensionskassengesetz (...), au bénéfice de l’employé et de ses survivants ; (...)

2. de fournir des prestations directement à l’employé et à ses survivants (prestations définies directes) ;

3. de verser des primes pour une assurance vie souscrite au bénéfice de l’employé et de ses survivants. »

2. Dispositions concernant la retenue de primes conservatoires de pension

15. La retenue de primes conservatoires de pension est fondée sur le Sonderpensionenbegrenzungsgesetz (loi sur la limitation des pensions spéciales, ci‑après le « SpBegrG ») (5) du 1er janvier 2015. Cette loi constitue un recueil qui est venu modifier de nombreuses lois fédérales, parmi lesquelles notamment le Bundesverfassungsgesetz über die Begrenzung von Bezügen öffentlicher Funktionäre (loi constitutionnelle fédérale sur la limitation de la rémunération des fonctionnaires, ci‑après le « BezBegrBVG ») (6). Ce dernier prévoit l’introduction de seuils maximaux pour la rémunération de certains fonctionnaires fédéraux et employés du secteur public. En outre, il habilite le législateur fédéral à introduire des primes conservatoires de pension retenues sur les pensions de retraite et de prévoyance desdits fonctionnaires ainsi que sur les prestations définies directes d’anciens employés de personnes morales soumises au contrôle du Rechnungshof (Cour des comptes), lorsque les rémunérations ou droits en question dépassent une certaine limite maximale. L’article 10, paragraphe 6, du BezBegrBVG habilite les législateurs des Länder à introduire une telle prime conservatoire de pension au niveau du Land.

16. Sur le fondement de cette...

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