Opinion of Advocate General Szpunar delivered on 14 January 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:3
Date14 January 2020
Celex Number62018CC0641
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 14 janvier 2020 (1)

Affaire C641/18

LG

contre

Rina SpA,

Ente Registro Italiano Navale

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Genova (tribunal de Gênes, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Champ d’application matériel du règlement (CE) nº 44/2001 – Immunité juridictionnelle – Activités des sociétés de classification et de certification des navires »






I. Introduction

1. Le règlement (CE) nº 44/2001 (2) dispose, en reprenant les termes utilisés dans d’autres instruments du droit international privé de l’Union, qu’il s’applique « en matière civile et commerciale ». Le présent renvoi préjudiciel s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle relative à la détermination du champ d’application de ce règlement.

2. Dans le cadre de la présente affaire, c’est une exception d’immunité juridictionnelle invoquée par les défenderesses dans le litige au principal qui suscite les doutes de la juridiction de renvoi quant au champ d’application du règlement nº 44/2001. En substance, la juridiction de renvoi demande à la Cour de prendre position sur l’articulation entre un principe coutumier de droit international et un instrument du droit international privé de l’Union.

3. Par ailleurs, la juridiction de renvoi cherche notamment à savoir si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, la réponse à donner à la question préjudicielle peut être influencée par le soin d’assurer le droit d’accès aux tribunaux, garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Prise dans cette optique, cette question fait écho au débat actuel sur l’influence des droits de l’homme sur le droit international privé.

4. Le présent renvoi préjudiciel offre par conséquent à la Cour l’occasion de positionner le droit international privé de l’Union au sein du droit international au sens large du terme. Dans ces conclusions, je propose à la Cour d’interpréter tant le règlement nº 44/2001 que le droit international coutumier de telle sorte que son arrêt constituera une contribution au développement du droit international en général.

II. Le cadre juridique

A. Le droit international

5. La convention des Nations unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982 (3) (ci-après la « convention de Montego Bay »), constitue une partie essentielle du droit de la mer. Elle est entrée en vigueur le 16 novembre 1994 et a été approuvée, au nom de la Communauté, par la décision 98/392/CE (4).

6. Selon l’article 90 de cette convention, tout État a le droit de faire naviguer en haute mer des navires battant son pavillon. Aux termes de l’article 91, paragraphes 1 et 2, de ladite convention, chaque État fixe, notamment, les conditions requises pour que des navires aient le droit de battre son pavillon et délivre aux navires auxquels il a accordé le droit de battre son pavillon des documents à cet effet.

7. L’article 94, paragraphe 1, de la convention de Montego Bay prévoit que tout État exerce effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon. Par ailleurs, selon l’article 94, paragraphes 3 à 5, de cette convention, l’État prend à l’égard des navires battant son pavillon les mesures nécessaires pour assurer la sécurité en mer. Ces mesures doivent garantir notamment que tout navire est inspecté, avant son inscription au registre et, ultérieurement, à des intervalles appropriés, par un inspecteur maritime qualifié. Lorsqu’il prend lesdites mesures, chaque État est tenu de se conformer aux règles, procédures et pratiques internationales généralement acceptées.

8. Dans ce contexte, la convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (5) (ci-après la « convention SOLAS »), à laquelle tous les États membres sont parties contractantes, a pour principal objectif de préciser les normes minimales relatives à la construction, à l’équipement et à l’exploitation des navires, compatibles avec leur sécurité.

9. Selon la règle 3-1, partie A-1, chapitre II-1 de cette convention, les navires doivent être conçus, construits et entretenus conformément aux prescriptions d’ordre structurel, mécanique et électrique d’une société de classification reconnue par l’Administration – c’est-à-dire, selon le libellé de ladite convention, par le gouvernement de l’État dont le navire est autorisé à battre le pavillon – aux termes des dispositions de la règle XI/1, ou conformément aux normes nationales applicables de l’Administration qui prévoient un degré de sécurité équivalent.

10. Aux termes de la règle 6, chapitre I, de la convention SOLAS :

« a) L’inspection et la visite des navires, en ce qui concerne l’application des prescriptions des présentes règles et l’octroi des exemptions pouvant être accordées, doivent être effectuées par des fonctionnaires de l’Administration. Toutefois, l’Administration peut confier l’inspection et la visite de ses navires, soit à des inspecteurs désignés à cet effet, soit à des organismes agréés par elle.

b) Toute Administration désignant des inspecteurs ou des organismes reconnus pour effectuer des inspections et des visites comme prévu au paragraphe a) doit au moins habiliter tout inspecteur désigné ou tout organisme reconnu à :

i) exiger qu’un navire subisse des réparations ;

ii) effectuer des inspections et des visites si les autorités compétentes de l’État du port le lui demandent.

L’Administration doit notifier à l’Organisation les responsabilités spécifiques confiées aux inspecteurs désignés ou aux organismes reconnus et les prescriptions de l’autorité qui leur a été déléguée.

c) Lorsqu’un inspecteur désigné ou un organisme reconnu détermine que l’état du navire ou de son armement ne correspond pas en substance aux indications du certificat ou est tel que le navire ne peut pas prendre la mer sans danger pour le navire lui-même ou les personnes à bord, l’inspecteur ou l’organisme doit immédiatement veiller à ce que des mesures correctives soient prises et doit en informer l’Administration en temps utile. Si ces mesures correctives ne sont pas prises, le certificat pertinent devrait être retiré et l’Administration doit être informée immédiatement ; [...]

d) Dans tous les cas, l’Administration doit se porter pleinement garante de l’exécution complète et de l’efficacité de l’inspection et de la visite et doit s’engager à prendre les mesures nécessaires pour satisfaire à cette obligation. »

B. Le droit de l’Union

11. Selon l’article 1er, paragraphe 1, du règlement nº 44/2001, celui‑ci « s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives ».

12. Conformément à l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, « [s]ous réserve des dispositions [dudit] règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ».

III. Les faits de l’affaire au principal, la procédure devant la Cour et la question préjudicielle

13. Les membres des familles des victimes et les passagers ayant survécu au naufrage du navire Al Salam Boccaccio ’98 naviguant sous le pavillon de la République du Panama, survenu en 2006 en mer Rouge et ayant fait plus de 1 000 victimes, ont saisi la juridiction de renvoi, le Tribunale di Genova (tribunal de Gênes, Italie), d’un recours contre les sociétés Rina SpA et Ente Registro Italiano Navale.

14. Devant la juridiction de renvoi, les demandeurs font valoir que les opérations de certification et de classification effectuées par les défenderesses, ainsi que les décisions et les instructions de celles-ci, sont à l’origine de l’instabilité du navire et de l’insécurité de sa navigation ayant provoqué son naufrage. Les demandeurs réclament la réparation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis du fait de ce naufrage.

15. Les défenderesses contestent les prétentions des demandeurs en invoquant, en particulier, une exception d’immunité juridictionnelle. Elles indiquent qu’elles ont été assignées du fait des opérations de certification et de classification qu’elles ont effectuées par délégation d’un État souverain étranger, à savoir la République du Panama. Ces opérations constitueraient une manifestation des prérogatives souveraines de l’État étranger et auraient été effectuées par les défenderesses au nom et dans l’intérêt de cet État.

16. Eu égard à l’exception d’immunité juridictionnelle invoquée par les défenderesses, les demandeurs font valoir que la juridiction italienne est compétente pour connaître de leurs demandes en application de l’article 2, paragraphe 1, du règlement nº 44/2001. Ils soutiennent, premièrement, que ce règlement n’est pas applicable uniquement lorsque le litige concerne, ainsi que l’énonce l’article 1er, paragraphe 1, dudit règlement, les matières fiscales, douanières ou administratives, deuxièmement, que l’exception d’immunité juridictionnelle, en substance, ne couvre pas des activités régies par des règles techniques dépourvues de nature discrétionnaire et, en tout état de cause, étrangères aux choix politiques et aux prérogatives d’un État souverain, et, troisièmement, que les opérations de classification et de certification ne constituent pas des actes accomplis dans l’exercice de la puissance publique au regard de l’article 47 de la Charte et de l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») ainsi que du considérant 16 de la directive 2009/15/CE (6).

17. C’est dans ces circonstances que le Tribunale di Genova (tribunal de Gênes), par décision du 28 septembre 2018...

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