View of Advocate General Sharpston delivered on 26 January 2016.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2016:85
Date26 January 2016
Celex Number62015CP0601
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypePetición de decisión prejudicial - procedimiento de urgencia
Docket NumberC-601/15
62015CP0601

PRISE DE POSITION DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentée le 26 janvier 2016 ( 1 )

Affaire C‑601/15 PPU

J. N.

[demande de décision préjudicielle présentée par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas)]

«Procédure préjudicielle d’urgence — Ressortissant de pays tiers, ayant introduit une demande d’asile, placé en rétention pour des raisons de protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public, au sens de l’article 8, paragraphe 3, premier alinéa, sous e), de la directive 2013/33/UE — Ressortissant ayant le droit de rester dans l’État membre pendant l’examen de sa demande d’asile, en vertu de l’article 9 de la directive 2013/32/UE — Absence de procédure d’éloignement en cours — Validité de l’article 8, paragraphe 3, premier alinéa, sous e), de la directive 2013/33/UE, au regard de l’article 6 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne»

1.

La directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (ci-après la «directive ‘accueil’») ( 2 ), contient une liste des motifs pour lesquels un État membre peut ordonner le placement en rétention d’une personne demandant la protection internationale. Parmi ces motifs figure celui visé à l’article 8, paragraphe 3, premier alinéa, sous e), de la directive «accueil», tenant à «la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public» (ci-après la «disposition litigieuse»). Par sa demande de décision préjudicielle, le Raad van State (Conseil d’État) interroge la Cour sur la conformité de cette disposition au droit à la liberté et à la sûreté, garanti par l’article 6 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»). Cette question est parvenue à la Cour dans le cadre d’un litige portant sur une décision du 14 septembre 2014, ordonnant le placement en rétention aux Pays-Bas d’un demandeur d’asile condamné à plusieurs reprises sur le plan pénal, principalement pour des faits de vol, et ayant fait l’objet d’un ordre d’éloignement assorti d’une interdiction d’entrée avant le dépôt de sa dernière demande d’asile.

Le cadre juridique

Le droit international

La convention de Genève

2.

En vertu de l’article 31, paragraphe 1, de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et entrée en vigueur le 22 avril 1954 ( 3 ), telle que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967, lui-même entré en vigueur le 4 octobre 1967 (ci-après la «convention de Genève»), les États contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier de ladite convention, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières.

3.

Selon l’article 32, paragraphe 1, de la convention de Genève, les États contractants n’expulseront un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public.

La CEDH

4.

Sous l’intitulé «Droit à la liberté et à la sûreté», l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»), dispose:

«1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:

a)

s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;

b)

s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi;

c)

s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci;

d)

s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente;

e)

s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond;

f)

s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. […]

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation.»

5.

Sous l’intitulé «Dérogation en cas d’état d’urgence», l’article 15 de la CEDH dispose, à son paragraphe 1, que, « [e]n cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international». Le droit à la liberté et à la sûreté relève de ceux auxquels les États parties peuvent déroger dans de telles circonstances ( 4 ).

Le droit de l’Union

TUE et TFUE

6.

L’article 4, paragraphe 2, TUE dispose entre autres que l’Union européenne «respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet […] de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale», et que cette dernière «reste de la seule responsabilité de chaque État membre».

7.

Les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte sont interprétés, selon l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE, conformément aux dispositions générales du titre VII de la Charte régissant l’interprétation et l’application de celle-ci et en prenant dûment en considération les explications visées dans la Charte, qui indiquent les sources de ces dispositions.

8.

Conformément à l’article 72 TFUE, la politique de l’Union conduite en vertu du titre V de la troisième partie de ce traité, consacré à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure. L’article 78, paragraphe 1, TFUE, qui figure dans ce même titre, énonce que l’Union développe une politique commune en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d’un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement. Cet article poursuit en disposant que cette politique doit être conforme, en particulier, à la convention de Genève.

La Charte

9.

Selon l’article 6 de la Charte, toute personne a droit à la liberté et à la sûreté.

10.

L’article 51, paragraphe 1, de la Charte prévoit entre autres que les dispositions de celle-ci s’adressent aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.

11.

Sous le titre «Portée et interprétation des droits et des principes», l’article 52 de la Charte, qui figure sous le titre VII de celle-ci, intitulé «Dispositions générales régissant l’interprétation et l’application de la Charte», édicte ce qui suit:

«1. Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

[...]

3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la [CEDH], leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère [celle-ci]. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue.

[...]

7. Les explications élaborées en vue de guider l’interprétation de la présente Charte sont dûment prises en considération par les juridictions de l’Union et des États membres.»

La directive «accueil»

12.

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