Levi Strauss & Co. v Casucci SpA.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date27 April 2006

Affaire C-145/05

Levi Strauss & Co.

contre

Casucci SpA

(demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (Belgique))

«Marques — Directive 89/104/CEE — Article 5, paragraphe 1, sous b) — Moment pertinent pour l'appréciation du risque de confusion entre une marque et un signe similaire — Perte du pouvoir distinctif due au comportement du titulaire de la marque après que le signe a commencé à être utilisé»

Conclusions de l'avocat général M. D. Ruiz-Jarabo Colomer, présentées le 17 janvier 2006

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 27 avril 2006

Sommaire de l'arrêt

Rapprochement des législations — Marques — Directive 89/104 — Droits conférés par la marque

(Directive du Conseil 89/104, art. 5, § 1, et 12, § 2)

L'article 5, paragraphe 1, de la première directive 89/104 sur les marques doit être interprété en ce sens que, pour déterminer l'étendue de la protection d'une marque régulièrement acquise en fonction de son pouvoir distinctif, le juge doit prendre en considération la perception du public concerné au moment où le signe, dont l'usage porte atteinte à ladite marque, a commencé à faire l'objet d'une utilisation, une protection effective et efficace des droits du titulaire de la marque n'étant pas garantie si le risque de confusion était évalué à une date postérieure.

Lorsque la juridiction compétente constate qu'à ce moment le signe concerné était constitutif d'une atteinte à la marque, il lui appartient de prendre les mesures qui s'avèrent les plus appropriées au vu des circonstances de l'espèce pour garantir le droit du titulaire de la marque tiré dudit article 5, paragraphe 1, de la directive, ces mesures pouvant inclure, en particulier, l'ordre de cesser l'utilisation dudit signe.

Toutefois, il n'y a pas lieu d'ordonner une telle mesure dès lors qu'il a été constaté que la marque concernée a perdu son pouvoir distinctif, par le fait de l'activité ou de l'inactivité de son titulaire, de sorte qu'elle est devenue une désignation usuelle au sens de l'article 12, paragraphe 2, de la directive et que son titulaire est donc déchu de ses droits.

(cf. points 17-18, 20, 24-25, 37, disp. 1-3)




ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

27 avril 2006 (*)

«Marques – Directive 89/104/CEE – Article 5, paragraphe 1, sous b) – Moment pertinent pour l’appréciation du risque de confusion entre une marque et un signe similaire – Perte du pouvoir distinctif due au comportement du titulaire de la marque après que le signe a commencé à être utilisé»

Dans l’affaire C-145/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Cour de cassation (Belgique), par décision du 17 mars 2005, parvenue à la Cour le 31 mars 2005, dans la procédure

Levi Strauss & Co.

contre

Casucci SpA,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), J.-P. Puissochet, S. von Bahr et U. Lõhmus, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 novembre 2005,

considérant les observations présentées:

– pour Levi Strauss & Co., par Me T. van Innis, avocat,

– pour la Commission des Communautés européennes, par M. N. B. Rasmussen et Mme D. Maidani, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 janvier 2006,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Levi Strauss & Co. (ci-après «Levi Strauss») à Casucci SpA (ci-après «Casucci») à propos de la vente par cette dernière de pantalons en jean revêtus d’un signe portant prétendument atteinte à une marque dont Levi Strauss est titulaire.

Le cadre juridique

3 Le dixième considérant de la directive 89/104 est libellé comme suit:

«[...] la protection conférée par la marque enregistrée, dont le but est notamment de garantir la fonction d’origine de la marque, est absolue en cas d’identité entre la marque et le signe et entre les produits ou services; [...] la protection vaut également en cas de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services; [...] il est indispensable d’interpréter la notion de similitude en relation avec le risque de confusion; [...] le risque de confusion, dont l’appréciation dépend de nombreux facteurs et notamment de la connaissance de la marque sur le marché, de l’association qui peut en être faite avec le signe utilisé ou enregistré, du degré de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services désignés, constitue la condition spécifique de la protection; [...] les moyens par lesquels le risque de confusion peut être constaté, et en particulier la charge de la preuve, relèvent des règles nationales de procédure auxquelles la présente directive ne porte pas préjudice».

4 L’article 5 de la même directive dispose:

«1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

[…]

b) d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque;

[…]

3. Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:

a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

b) d’offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe;

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe;

d) d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité.

[…]»

5 Aux termes de l’article 12, paragraphe 2, de ladite directive:

«2. Le titulaire d’une marque peut également être déchu de ses droits lorsque, après la date de son enregistrement, la marque:

a) est devenue, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée;

[…]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6 En 1980, Levi Strauss a fait enregistrer au Benelux une marque graphique, dénommée «mouette», constituée du dessin représenté par une double surpiqûre incurvée vers le bas en son milieu et situé au milieu du dessin formé par la couture d’une poche pentagonale, reproduite ci-après,

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pour les vêtements relevant de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

7 Casucci a mis sur le marché, au Benelux, des pantalons en jean comportant un signe formé par une double surpiqûre incurvée vers le haut en son milieu, apposée sur les poches arrière, qui revêt la forme suivante:

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8 Considérant que Casucci portait ainsi atteinte aux droits que lui confère la marque enregistrée «mouette», Levi Strauss a, par citation du 11 mars 1998, assigné cette société devant le tribunal de commerce de Bruxelles afin d’obtenir sa condamnation à cesser tout emploi du signe en cause pour les vêtements qu’elle commercialise. En outre, elle a demandé sa condamnation au paiement de dommages et intérêts.

9 La juridiction de première instance l’ayant déboutée de sa demande par jugement du 28 octobre 1999, Levi Strauss a interjeté appel devant la cour d’appel de Bruxelles. Devant cette juridiction, elle a soutenu qu’il résultait de la jurisprudence de la Cour de justice que, d’une part, le risque de confusion devait être apprécié globalement en tenant notamment compte du degré de similitude existant entre la marque et le signe en cause et entre les produits concernés et, d’autre part, que ce risque était d’autant plus élevé que le caractère distinctif de la marque antérieure s’avérait important. Or, en l’espèce, en dehors du fait que sa marque et le signe en cause revêtiraient des similitudes visuelles et que les produits concernés seraient identiques, il importerait que la marque «mouette» constitue une marque présentant un caractère distinctif élevé en raison de son contenu imaginatif et de son usage abondant depuis des décennies.

10 Cependant, la cour d’appel de Bruxelles a rejeté la requête de Levi Strauss, estimant que le degré de similitude entre le signe en cause et la marque «mouette» était faible et, en particulier, que cette dernière ne pouvait plus être considérée comme une marque présentant un caractère distinctif élevé. En effet, celle-ci serait en partie formée de composantes qui constitueraient désormais des caractéristiques communes aux produits concernés en raison de leur usage très répandu et constant, usage qui aurait nécessairement eu pour effet d’affaiblir sensiblement le pouvoir distinctif de ladite marque dès lors que cette dernière ne pouvait tirer aucun pouvoir distinctif intrinsèque de ces composantes.

11 Levi Strauss a formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Elle a fait valoir devant cette juridiction que Casucci semblait prétendre que la marque «mouette» présentait encore un caractère distinctif élevé en 1997 et qu’elle aurait perdu celui‑ci en 1998, année durant laquelle ont été réalisés les achats d’autres pantalons en jean dont la distribution au Benelux aurait entraîné la dilution de ladite marque. Dans ce contexte, la cour d’appel de Bruxelles aurait été tenue, selon Levi Strauss, de se conformer à la position de la Cour de...

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