Staatssecretaris van Financiën contra Coffeeshop "Siberië" vof.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1999:137
Docket NumberC-158/98
Celex Number61998CC0158
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date11 March 1999
EUR-Lex - 61998C0158 - FR 61998C0158

Conclusions de l'avocat général Fennelly présentées le 11 mars 1999. - Staatssecretaris van Financiën contre Coffeeshop "Siberië" vof. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas. - Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Sixième directive - Champ d'application - Mise à disposition d'une table pour la vente de stupéfiants. - Affaire C-158/98.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-03971


Conclusions de l'avocat général

1. Le Hoge Raad der Nederlanden souhaite savoir si la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») est due au titre de la location d'une table dans un coffeeshop en vue de la vente de cannabis aux Pays-Bas. Nous retrouvons, sous-jacent à cette question, le dilemme moral qui consiste à se demander s'il est vrai que taxer une activité revient à l'avaliser. La plupart des systèmes juridiques ont depuis longtemps résolu cette question en choisissant de ne pas céder aux scrupules d'ordre moral que fait naître le paradoxe d'accorder une prime à la criminalité en l'exonérant d'imposition. De manière générale, le droit communautaire adopte le même point de vue. Il a toutefois admis une exception dans le cas de la fourniture de stupéfiants. La question déférée par le Hoge Raad s'est posée dans le cadre de la politique néerlandaise, qui tolère la fourniture de quantités strictement limitées de cannabis dans les coffeeshops. Nous rappelerons tout d'abord à grands traits le cadre juridique néerlandais ainsi que les termes de l'ordonnance de renvoi. Puis nous analyserons les principes directeurs de la jurisprudence en la matière. Enfin, nous examinerons si la location d'une table peut être considérée comme une opération, en soi anodine, distincte de la fourniture illégale de stupéfiants qu'elle vise à faciliter ou si, en raison du contenu manifestement illicite de l'opération, et malgré la politique officiellement approuvée par le gouvernement néerlandais, elle doit être considérée comme inséparable de la vente de stupéfiants et si, par conséquent, les principes énoncés par la Cour dans l'arrêt Happy Family lui sont applicables.

I - Le cadre juridique et factuel

2. La défenderesse au principal, société en nom collectif qui exerce son activité commerciale sous la dénomination «Coffeeshop Siberië» (ci-après la «défenderesse au principal»), exploite un «coffeeshop» à Amsterdam . Dans ses observations, le gouvernement néerlandais expose que les coffeeshops sont des établissements qui ne servent pas de boissons alcoolisées et où l'on vend et consomme des drogues «douces». On y sert aussi habituellement du café, du thé et des boissons sans alcool, et ils mettent des appareils de jeu à la disposition de leur clientèle . De 1990 à 1993, des stupéfiants à base de chanvre indien ont été vendus à une table du coffeeshop de la défenderesse au principal, par un fournisseur attitré («huisdealer»). La défenderesse mettait la table expressément à sa disposition à cet effet, et la redevance de location que lui versait le fournisseur attitré pour la table était enregistrée dans la comptabilité de la défenderesse sous le poste «tafelhuur» (loyer de la table). Les clients qui s'adressaient au bar pour acheter des stupéfiants étaient dirigés vers la table en question par un «barman» employé par la défenderesse au principal. Celle-ci n'acquittait pas de TVA sur le produit de la location de la table, alors qu'elle versait la TVA au titre de ses autres prestations, sous déduction de la TVA payée en amont. Les autorités fiscales néerlandaises (le Staatssecretaris van Financiën, ci-après le «demandeur au principal») ont adressé à la défenderesse au principal un avis de redressement afférent à la TVA pour un montant de 22 733 HFL, au titre de la location de la table.

3. La défenderesse au principal a formé un recours, avec succès, contre cette décision devant le Gerechtshof te Amsterdam (juridiction régionale d'appel) qui a estimé que la défenderesse était impliquée dans le commerce illégal de drogues «douces», avec pour conséquence que le service en question, qui lui était fourni par le fournisseur attitré, échappait entièrement aux dispositions de la Wet op de Omzetbelasting (loi relative à l'impôt sur le chiffre d'affaires) de 1968. Estimant qu'il convenait d'appliquer la jurisprudence de l'arrêt Happy Family, en dépit du fait que l'on n'engage plus depuis longtemps de poursuites pénales systématiques, aux Pays-Bas, à l'encontre du commerce de ce type de drogues, la juridiction a jugé qu'aucune dette de TVA ne pouvait prendre naissance au titre du service en question. Le demandeur au principal s'est pourvu devant le Hoge Raad, qui a adressé à la Cour la demande préjudicielle que nous examinons.

4. Le Hoge Raad relève, en premier lieu, qu'aux Pays-Bas la vente de drogues à base de cannabis est interdite par l'«Opiumwet» (loi sur les stupéfiants, ci-après la «loi sur les stupéfiants») du 12 mai 1928. Le cannabis est l'un des produits à base de chanvre, énumérés dans la liste II annexée à la loi sur les stupéfiants, dont la détention, la vente et la fourniture intentionnelles constituent un délit, conformément à l'article 3, paragraphe 1, sous B, de cette loi, qui est réprimé en vertu de l'article 11 de la même loi. Le Hoge Raad ajoute cependant que, en vertu de l'article 48 du Wetboek van Strafrecht (code de procédure pénale néerlandais), toute personne qui fournit intentionnellement une possibilité, des moyens ou des informations en vue de l'accomplissement de ces faits délictueux est passible de poursuites en tant que complice du délit.

5. Il apparaît néanmoins que, en vertu d'instructions du collège des procureurs généraux néerlandais en matière de politique d'enquête et de poursuite des faits punissables au titre de la loi sur les stupéfiants, sous la forme de directives qui sont en vigueur depuis 1976 et ont été consolidées en dernier lieu en 1996 , aucune poursuite n'est engagée contre le petit commerce de détail de stupéfiants à base de cannabis, dès lors que certains critères, communément dénommés les «critères AHOJ-G», sont remplis .

6. L'article 2, point 1, de la sixième directive relative à la TVA , prévoit que «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel», sont soumises à la TVA. Dans son arrêt Happy Family, la Cour a interprété cette disposition en ce sens «qu'aucune dette de taxe sur le chiffre d'affaires ne prend naissance lors de la livraison illégale de stupéfiants effectuée à l'intérieur du territoire d'un État membre» sauf dans le cadre des transactions, strictement surveillées, effectuées à des fins médicales ou scientifiques .

7. Le Hoge Raad observe que le caractère illégal de l'activité qui consiste à fournir la possibilité de commercialiser des drogues «douces» n'empêche pas qu'il s'agit de la prestation d'un service. Cependant, le Hoge Raad se demande si l'arrêt Happy Family, qui énonce qu'aucune dette de taxe sur le chiffre d'affaires ne prend naissance lors de la livraison illégale de stupéfiants, doit être interprété en ce sens qu'il couvre également le fait de fournir la possibilité de commercialiser des produits à base de cannabis, car une telle interprétation conduirait à réduire encore le champ d'application de la sixième directive et méconnaîtrait l'évolution intervenue, selon le Hoge Raad, dans le jugement porté par la société, dans de nombreux États membres, sur la nature économique ou illégale d'actes tels que la vente de drogues «douces». La question qu'il pose à la Cour est formulée de la manière suivante:

«Convient-il d'interpréter l'article 2 de la sixième directive en ce sens qu'aucune dette de taxe sur le chiffre d'affaires ne prend naissance à charge de la personne qui fournit à une autre personne, à titre onéreux, la possibilité de commercialiser des produits à base de cannabis?»

II - Les observations présentées

8. La défenderesse au principal...

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