Optigen Ltd (C-354/03), Fulcrum Electronics Ltd (C-355/03) and Bond House Systems Ltd (C-484/03) v Commissioners of Customs & Excise.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2005:89
Docket NumberC-484/03,C-354/03,,C-355/03
Celex Number62003CC0354
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date16 February 2005

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. POIARES MADURO

présentées le 16 février 2005 (1)

Affaires jointes C-354/03, C-355/03 et C-484/03

Optigen Ltd,

Fulcrum Electronics Ltd (en liquidation),

Bond House Systems Ltd

contre

Commissioners of Customs & Excise

[demandes de décision préjudicielle formées par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni)]

«Sixième directive TVA – Articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphes 1 et 2 –Activités économiques – Opération s’inscrivant dans le cadre d’une chaîne de livraisons comportant un opérateur défaillant ou usurpant un numéro de TVA – Fraude de type ‘carrousel’»






1. Saisie de trois affaires concernant des personnes ayant participé à leur insu à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la «TVA», appelée «carrousel», la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni) (ci‑après la «High Court of Justice»), demande à la Cour si des opérations qui s’inscrivent dans le cadre d’un système frauduleux mis sur pied par autrui constituent des activités économiques au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE (2).

2. Les demandes de décision préjudicielle en l’espèce sont déférées dans le cadre des recours dont est saisie la High Court of Justice, dans les affaires Optigen Ltd (ci-après «Optigen»), Fulcrum Electronics Ltd (ci-après «Fulcrum») et Bond House Systems Ltd (ci-après «Bond House»). Dans chacune de ces affaires, les défenderesses au principal sont les Commissioners of Customs & Excise (ci‑après les «Commissioners»). Les recours d’Optigen et de Fulcrum sont dirigés contre une décision du VAT and Duties Tribunal, London. Celui de Bond House est dirigé contre une décision du VAT and Duties Tribunal, Manchester. Il résulte en substance de ces deux décisions que les opérations qui s’inscrivent dans le cadre d’une fraude de type «carrousel» échappent au champ d’application de la TVA.

I – Les dispositions applicables du droit communautaire

3. L’article 2 de la première directive 67/227/CEE (3) énonce la substance du système commun de TVA:

«Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée est d’appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition.

À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.»

4. L’article 2, point 1, de la sixième directive soumet à la TVA les livraisons de biens ainsi que les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

5. L’article 4, paragraphe 1, de la directive dispose qu’«[e]st considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité».

6. La notion d’«activités économiques» est définie au paragraphe 2 comme englobant «toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. L’article 4, paragraphe 2, dispose ensuite qu’«[e]st notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence».

II – Les faits et les demandes de décision préjudicielle

A – Le contexte général: la «fraude de type carrousel»

7. Dans le jugement qu’il a rendu dans l’affaire Bond House, le VAT and Duties Tribunal, Manchester, énonce clairement ce que les Commissioners qualifient de fraude de type «carrousel» (4):

«Sous sa forme la plus simple, une fraude de type carrousel fonctionne de la manière suivante: un opérateur (‘A’) inscrit à la TVA dans un État membre de l’Union européenne vend des marchandises imposables à un opérateur (‘B’) inscrit à la TVA dans un autre État membre. La vente de A à B s’effectue à taux zéro dans l’État membre de A [(5)]. Il incombe à B de déclarer l’achat et d’acquitter la TVA y afférente dans son propre État membre, pour ensuite déduire ce même montant à titre de TVA payée en amont, pour autant qu’il compte utiliser lesdites marchandises pour réaliser une livraison imposable en aval. En général, s’il participe à une fraude de type carrousel, il ne fait ni l’un ni l’autre. B vend ensuite les marchandises à un autre opérateur inscrit à la TVA dans son propre État membre, tout en facturant et en percevant la TVA sur la contrepartie. Toutefois, il ne déclare par cette TVA à l’administration fiscale et, dans les faits, il disparaît; il devient ce que [les Commissioners] appellent un ‘opérateur manquant’. Toutefois, au moment de vendre à C, alors qu’il est encore inscrit à la TVA et avant que les Commissioners ne sachent qu’il est ou pourrait devenir un opérateur manquant et n’aient pu intervenir (par exemple en radiant l’inscription de B), il fournit une facture TVA à C, qui récupère la TVA en amont versée à B. C (que les Commissioners appellent un ‘courtier’) revend alors les marchandises à un opérateur inscrit dans un autre État membre: dans sa forme la plus simple, cette fraude se caractérisera par le fait que cet acheteur sera A, et c’est cette circularité qui explique l’expression ‘fraude de type carrousel’. C dispose d’une créance portant sur la TVA en amont, mais, étant donné que la revente à A s’effectue à taux zéro dans l’État membre de C, il n’est pas tenu de déclarer une TVA en aval [(6)]. Il en résulte, si la fraude réussit, que B a perçu, mais n’a pas déclaré, la TVA que l’administration fiscale doit verser à C. Dans cette situation, B a certainement commis une fraude et A probablement; il se peut que C ignore totalement ce qui se passe et la manière dont sa participation est mise à profit. [...] Dans la perception des Commissioners, l’objectif de B n’est pas d’acheter et de vendre dans le cadre d’activités économiques normales, mais de se mettre en situation de percevoir la TVA. [...] Les biens ne sont guère qu’une couverture nécessaire pour rendre les opérations vraisemblables. [...] De même, A (du moins s’il participe à la fraude) n’a pas de véritable motif économique de racheter ce qu’il vient de vendre. Bien qu’il soit possible que A participe à la fraude à son insu si les biens lui sont vendus par C à un prix inférieur à celui auquel il les a vendus à B (ou inférieur au prix auquel, compte tenu des variations du marché, il pourrait les vendre à l’avenir), la théorie des Commissioners consiste à dire que A et B agissent de concert et que le rachat par A est souhaitable, en partie pour des motifs de contrôle et en partie parce qu’il est plus simple et moins cher d’utiliser plusieurs fois une quantité limitée de biens que de s’approvisionner de neuf sur le marché libre pour chaque tour de carrousel. [...] Sachant qu’il profitera de son omission de déclarer la taxe perçue en aval, B peut se permettre de vendre les biens à C moins cher qu’il ne les a payés à A, et il le fera si cela s’avère nécessaire à la réalisation d’une vente.»

8. On peut imaginer une infinité de variantes dans la chaîne des opérations, notablement plus compliquées que celle que je viens de décrire et, en réalité, on peut faire circuler les mêmes biens dans plusieurs chaînes. Néanmoins, la problématique demeure fondamentalement la même: un opérateur perçoit une somme qui lui est versée à titre de TVA, mais ne la déclare pas à l’administration fiscale. L’opérateur défaillant peut utiliser un numéro de TVA «usurpé» ou s’inscrire à la TVA pour ensuite tout simplement disparaître avant que l’administration fiscale n’ait pu agir.

9. Ce type de fraude semble être en recrudescence dans le commerce intracommunautaire ces dernières années et constitue actuellement une préoccupation majeure des États membres. Il est difficile de chiffrer les montants en cause, mais il en résulte manifestement une importante perte de recettes fiscales (7).

B – Les faits dans les affaires en cause

10. Dans les affaires en cause, les faits suivants ressortent des décisions de renvoi de la High Court of Justice.

1. Les faits dans les affaires Optigen et Fulcrum

11. Optigen et Fulcrum étaient des commerçants, dont les activités portaient surtout sur les puces d’ordinateurs, qu’ils achetaient auprès de sociétés situées au Royaume-Uni et revendaient à des clients établis dans d’autres États membres. Il a été constaté qu’Optigen et Fulcrum sont devenues des parties innocentes à un certain nombre d’opérations constituant une fraude de type «carrousel». Elles n’avaient aucun contact avec l’opérateur qui a «disparu» et elles ne savaient pas ni ne devaient savoir qu’elles participaient à un réseau d’opérations autrement qu’en tant que clients ordinaires d’un commerçant et en tant que fournisseurs ordinaires d’une société d’un autre État membre. Les Commissioners ont refusé les décomptes TVA présentés par Optigen et Fulcrum, car les acquisitions et ventes concernées seraient dénuées de substance économique et ne s’inscriraient pas dans le cadre d’une activité économique. Selon les Commissioners, les achats ne sont pas des livraisons utilisées ou devant être utilisées pour les besoins d’une activité économique et les ventes ne sont pas des livraisons effectuées dans le cadre d’une activité économique aux fins de la TVA.

12. Optigen et Fulcrum ont attaqué les décisions des Commissioners devant le VAT and Duties Tribunal, London, qui a joint les deux affaires. Par jugement du 1er mai 2003, ce VAT and Duties Tribunal a rejeté leurs...

To continue reading

Request your trial
24 practice notes
  • X v Skatteverket.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 6 Mayo 2010
    ...supérieure à 7,5 mètres. 9 – Arrêt Teleos e.a. (précité à la note 3, point 38) qui renvoie aux arrêts du 12 janvier 2006, Optigen e.a. (C-354/03, C-355/03 et C-484/03, Rec. p. I-483, point 44), et du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling (C-439/04 et C-440/04, Rec. p. I-6161, point 41......
  • Criminal proceedings against R.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 7 Diciembre 2010
    ...39 Just like other expressions which define taxable transactions for the purposes of the Sixth Directive (see, in particular, Joined Cases C‑354/03, C‑355/03 and C‑484/03 Optigen and Others [2006] ECR I‑483, paragraph 44, and Joined Cases C‑439/04 and C‑440/04 Kittel and Recolta Recycling [......
  • Alicja Sosnowska v Dyrektor Izby Skarbowej we Wrocławiu Ośrodek Zamiejscowy w Wałbrzychu.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 26 Febrero 2008
    ...10, apartado 47; y las conclusiones del Abogado General Poiares Maduro en los asuntos Optigen y otros (sentencia de 12 de enero de 2006, C‑354/03, C‑355/03 y C‑484/03, Rec. p. I‑483), punto 43. 12 – Véase la sentencia Molenheide y otros, citada en la nota 10, apartados 46 y 47. Véase tambié......
  • Hutchison 3G UK Ltd and Others v Commissioners of Customs and Excise.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 7 Septiembre 2006
    ...Rec. p. I-14393, point 38). 16 – Arrêts du 6 avril 1995, BLP Group (C-4/94, Rec. p. I-983, point 24), et du 12 janvier 2006, Optigen e.a. (C-354/03, C-355/03 et C-484/03, Rec. p. I-483, point 45). 17 – Voir arrêts précités à la note 16. 18 – Si le versement de redevance échappait d’emblée a......
  • Request a trial to view additional results
24 cases
  • X v Skatteverket.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 6 Mayo 2010
    ...supérieure à 7,5 mètres. 9 – Arrêt Teleos e.a. (précité à la note 3, point 38) qui renvoie aux arrêts du 12 janvier 2006, Optigen e.a. (C-354/03, C-355/03 et C-484/03, Rec. p. I-483, point 44), et du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling (C-439/04 et C-440/04, Rec. p. I-6161, point 41......
  • Criminal proceedings against R.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 7 Diciembre 2010
    ...39 Just like other expressions which define taxable transactions for the purposes of the Sixth Directive (see, in particular, Joined Cases C‑354/03, C‑355/03 and C‑484/03 Optigen and Others [2006] ECR I‑483, paragraph 44, and Joined Cases C‑439/04 and C‑440/04 Kittel and Recolta Recycling [......
  • Alicja Sosnowska v Dyrektor Izby Skarbowej we Wrocławiu Ośrodek Zamiejscowy w Wałbrzychu.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 26 Febrero 2008
    ...10, apartado 47; y las conclusiones del Abogado General Poiares Maduro en los asuntos Optigen y otros (sentencia de 12 de enero de 2006, C‑354/03, C‑355/03 y C‑484/03, Rec. p. I‑483), punto 43. 12 – Véase la sentencia Molenheide y otros, citada en la nota 10, apartados 46 y 47. Véase tambié......
  • Hutchison 3G UK Ltd and Others v Commissioners of Customs and Excise.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 7 Septiembre 2006
    ...Rec. p. I-14393, point 38). 16 – Arrêts du 6 avril 1995, BLP Group (C-4/94, Rec. p. I-983, point 24), et du 12 janvier 2006, Optigen e.a. (C-354/03, C-355/03 et C-484/03, Rec. p. I-483, point 45). 17 – Voir arrêts précités à la note 16. 18 – Si le versement de redevance échappait d’emblée a......
  • Request a trial to view additional results

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT