Conclusiones del Abogado General Sr. H. Saugmandsgaard Øe, presentadas el 29 de noviembre de 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:971
CourtCourt of Justice (European Union)
Docket NumberC-235/17
Date29 November 2018
Procedure TypeRecurso por incumplimiento – fundado
Celex Number62017CC0235
62017CC0235

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 29 novembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑235/17

Commission européenne

contre

Hongrie

« Manquement d’État – Article 63 TFUE – Libre circulation des capitaux – Droits d’usufruit sur des terres agricoles – Réglementation nationale supprimant, sans prévoir d’indemnisation, les droits antérieurement constitués au profit de personnes morales ou de personnes physiques ne pouvant justifier d’un lien de proche parenté avec le propriétaire des terres – Compétence de la Cour pour constater, de manière autonome, une violation de l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »

I. Introduction

1.

Par le présent recours en manquement, la Commission européenne demande à la Cour de constater que la Hongrie – eu égard en particulier aux dispositions en vigueur depuis le 1er janvier 2013 du termőföldről szóló 1994. évi LV. törvény (loi no LV de 1994 sur les terres productives, ci‑après la « loi de 1994 sur les terres productives »), aux dispositions pertinentes du mező‑ és erdőgazdasági földek forgalmáról szóló 2013. évi CXXII. törvény (loi no CXXII de 2013 relative à la vente de terres agricoles et sylvicoles, ci-après la « loi de 2013 sur les terres agricoles »), ainsi qu’à certaines dispositions du mező‑ és erdőgazdasági földek forgalmáról szóló 2013. évi CXXII. törvénnyel összefüggő egyes rendelkezésekről és átmeneti szabályokról szóló 2013. évi CCXII. törvény (loi no CCXII de 2013, portant dispositions diverses et mesures transitoires concernant la [loi de 2013 sur les terres agricoles], ci-après la « loi de 2013 relative aux mesures transitoires ») et enfin à l’article 94, paragraphe 5, du ingatlan‑nyilvántartásról szóló 1997. évi CXLI. törvény (loi no CXLI de 1997, relative au registre foncier, ci-après la « loi relative au registre foncier »), en restreignant de façon manifestement disproportionnée les droits d’usufruit et les droits d’usage sur les terres agricoles et sylvicoles ( 2 ) – a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de la liberté d’établissement (article 49 TFUE), de la libre circulation des capitaux (article 63 TFUE) et du droit fondamental de propriété (article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci‑après la « Charte »).

2.

L’incompatibilité de la réglementation litigieuse avec la libre circulation des capitaux garantie à l’article 63 TFUE a déjà donné lieu à l’arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth ( 3 ) et a été traitée dans mes conclusions dans ces deux affaires jointes ( 4 ). Cette problématique n’appellera donc pas de développements nouveaux de ma part, la Cour ne pouvant, conformément à cet arrêt, que constater la violation du droit de l’Union sur ce point.

3.

Cela étant, l’intérêt de la présente affaire réside ailleurs. Je rappelle que, dans cet arrêt, la Cour avait également été interrogée sur la compatibilité de cette réglementation avec l’article 17 de la Charte. La Cour n’avait cependant pas jugé nécessaire d’aborder la question. Or, selon la Commission, la Cour devrait cette fois-ci se prononcer sur cette disposition, et ce indépendamment de l’examen au titre des libertés de circulation.

4.

Dans les présentes conclusions, j’expliquerai les raisons pour lesquelles, selon moi, la Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur l’article 17 de la Charte comme le demande la Commission. À titre subsidiaire, j’exposerai les motifs pour lesquels, à mon sens, un examen de la réglementation litigieuse à l’aune de cette disposition serait en tout état de cause surabondant. Enfin, à titre infiniment subsidiaire, j’examinerai cette réglementation au regard dudit article 17, examen qui m’amènera à conclure à l’incompatibilité de ladite réglementation avec le droit fondamental de propriété garanti par cet article.

II. Le droit hongrois

A. La réglementation sur l’acquisition des terres agricoles

5.

La loi de 1994 sur les terres productives prévoit l’interdiction pour toute personne physique ne possédant pas la citoyenneté hongroise, à l’exception des personnes disposant d’un permis de séjour permanent et de celles dont le statut de réfugié a été reconnu, ainsi que pour toute personne morale tant étrangère que hongroise d’acquérir des terres agricoles.

6.

Cette loi a été modifiée, avec effet au 1er janvier 2002, par le termőföldről szóló 1994. évi LV. törvény módosításáról szóló 2001. évi CXVII. törvény (loi no CXVII de 2001 portant modification de la [loi de 1994 sur les terres productives]), aux fins d’exclure également la possibilité de constituer contractuellement un droit d’usufruit sur les terres agricoles au profit de personnes physiques ne possédant pas la nationalité hongroise ou de personnes morales. L’article 11, paragraphe 1, de la loi de 1994 sur les terres productives disposait ainsi, à la suite de ces modifications, que « [p]our la constitution contractuelle du droit d’usufruit et du droit d’usage, les dispositions du chapitre II relatives à la restriction de l’acquisition de la propriété doivent être appliquées. [...] ».

7.

L’article 11, paragraphe 1, de la loi de 1994 sur les terres productives a, par la suite, été modifié par le egyes agrár tárgyú törvények módosításáról szóló 2012. évi CCXIII. törvény (loi no CCXIII de 2012 portant modification de certaines lois relatives à l’agriculture). Dans sa nouvelle version intégrant cette modification et entrée en vigueur le 1er janvier 2013, ledit article 11, paragraphe 1, disposait que « [l]e droit d’usufruit constitué par un contrat est nul, sauf s’il est constitué au bénéfice d’un parent proche ».

8.

La loi no CCXIII de 2012 portant modification de certaines lois relatives à l’agriculture a également introduit dans la loi de 1994 sur les terres productives un nouvel article 91, paragraphe 1, aux termes duquel « [t]out droit d’usufruit existant à la date du 1er janvier 2013 et constitué, pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée expirant après le 30 décembre 2032, par un contrat conclu entre des personnes qui ne sont pas des membres proches de la même famille, s’éteindra de plein droit le 1er janvier 2033 ».

9.

La loi de 2013 sur les terres agricoles a été adoptée le 21 juin 2013 et est entrée en vigueur le 15 décembre 2013. L’article 37, paragraphe 1, de cette loi maintient la règle selon laquelle un droit d’usufruit ou un droit d’usage sur de telles terres constitué par contrat est nul sauf s’il est constitué au bénéfice d’un membre proche de la même famille.

10.

L’article 5, point 13, de ladite loi définit la notion de « membre proche de la même famille » comme visant « les conjoints, les ascendants en ligne directe, les enfants adoptifs, les enfants propres et les enfants du conjoint, les parents adoptants, les beaux-parents et les frères et sœurs ».

11.

La loi de 2013 relative aux mesures transitoires a été adoptée le 12 décembre 2013 et est entrée en vigueur le 15 décembre 2013. L’article 108, paragraphe 1, de cette loi, qui a abrogé l’article 91, paragraphe 1, de la loi de 1994 sur les terres productives, énonce que « [t]out droit d’usufruit ou d’usage existant à la date du 30 avril 2014 et constitué, pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée expirant après le 30 avril 2014, par un contrat conclu entre des personnes qui ne sont pas membres proches de la même famille s’éteindra de plein droit le 1er mai 2014 ».

12.

L’article 94 de la loi relative au registre foncier dispose :

« 1. En vue de la radiation du registre foncier des droits d’usufruit et des droits d’usage frappés d’extinction en vertu de l’article 108, paragraphe 1, de la [loi de 2013 relative aux mesures transitoires] (ci‑après conjointement, dans le présent article, les “droits d’usufruit”), la personne physique titulaire de droits d’usufruit doit, sur mise en demeure envoyée le 31 octobre 2014 au plus tard par l’autorité chargée de la gestion du registre, dans les 15 jours suivant la remise de la mise en demeure, déclarer, sur le formulaire établi à cet effet par le ministre, la relation de membre proche de la même famille qui l’unit le cas échéant à la personne mentionnée comme propriétaire de l’immeuble sur le document ayant servi de base à l’enregistrement. En cas d’absence de déclaration dans les délais, il ne sera pas donné suite à la demande d’attestation après le 31 décembre 2014.

[...]

3. Si la déclaration ne fait pas apparaître de relation de membre proche de la même famille ou si aucune déclaration n’a été faite dans les délais, l’autorité chargée de la gestion du registre foncier radie d’office les droits d’usufruit dudit registre, dans les six mois suivant l’expiration du délai dans lequel la déclaration doit être faite et le 31 juillet 2015 au plus tard.

[...] »

B. Le droit civil

13.

Les dispositions du a polgári törvénykönyvről szóló 1959. évi IV. törvény (loi no IV de 1959 instituant le code civil, ci‑après, l’« ancien code civil ») sont demeurées en vigueur jusqu’au 14 mars 2014.

14.

L’article 215 de l’ancien code civil disposait :

« (1) Si l’accord d’une tierce personne ou l’approbation des autorités est nécessaire à l’entrée en vigueur du contrat, le contrat ne peut entrer en vigueur jusqu’à ce que cet accord ou cette approbation soit donné(e), mais les parties restent tenues par leurs déclarations. Les parties sont libérées de leur engagement si la tierce personne ou l’autorité concernée ne se prononce pas dans le délai que ces parties ont fixé ensemble.

[...]

(3) En l’absence de l’accord, ou de l’approbation, nécessaire, les effets juridiques de l’invalidité s’appliquent au contrat.

[...] »

15.

L’article 237 de l’ancien code civil...

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