Nabiel Peter Bogendorff von Wolffersdorff v Standesamt der Stadt Karlsruhe and Zentraler Juristischer Dienst der Stadt Karlsruhe.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2016:401
Docket NumberC-438/14
Celex Number62014CJ0438
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date02 June 2016
62014CJ0438

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

2 juin 2016 ( *1 )

[Texte rectifié par ordonnance du 6 octobre 2016]

«Renvoi préjudiciel — Citoyenneté de l’Union — Article 21 TFUE — Liberté de circuler et de séjourner dans les États membres — Loi d’un État membre portant abolition des privilèges et interdiction de décerner de nouveaux titres de noblesse — Nom patronymique d’une personne majeure, ressortissante dudit État, obtenu lors d’un séjour habituel dans un autre État membre, dont cette personne a également la nationalité — Nom comportant des éléments nobiliaires — Résidence dans le premier État membre — Refus par les autorités du premier État membre d’inscrire au registre de l’état civil le nom acquis dans le second État membre — Justification — Ordre public — Incompatibilité avec des principes essentiels du droit allemand»

Dans l’affaire C‑438/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Karlsruhe (tribunal de district de Karlsruhe, Allemagne), par décision du 17 septembre 2014, parvenue à la Cour le 23 septembre 2014, dans la procédure

Nabiel Peter Bogendorff von Wolffersdorff

contre

Standesamt der Stadt Karlsruhe,

Zentraler Juristischer Dienst der Stadt Karlsruhe,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, Mme C. Toader, M. A. Rosas (rapporteur), Mme A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : M. M. Wathelet,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 novembre 2015,

considérant les observations présentées :

pour M. Nabiel Peter Bogendorff von Wolffersdorff, par lui-même et par Me T. Donderer, Rechtsanwalt,

pour le Zentraler Juristischer Dienst der Stadt Karlsruhe, par Mmes D. Schönhaar et P. Becker, en qualité d’agents,

pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze ainsi que par Mmes J. Kemper et K. Petersen, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. G. von Rintelen et M. Wilderspin ainsi que par Mme C. Tufvesson, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 janvier 2016,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18 et 21 TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Nabiel Peter Bogendorff von Wolffersdorff au Standesamt der Stadt Karlsruhe (service de l’état civil de la ville de Karlsruhe) et au Zentraler Juristischer Dienst der Stadt Karlsruhe (service juridique central de la ville de Karlsruhe), au sujet du refus de ces autorités de modifier les prénoms et nom inscrits sur l’acte de naissance du requérant au principal et de faire mention, sur le registre d’état civil, d’éléments nobiliaires faisant partie du nom patronymique acquis par celui-ci dans un autre État membre.

Le droit allemand

3

L’article 123, paragraphe 1, du Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland (loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne), du 23 mai 1949 (BGBl. 1949 I, p. 1, ci-après la « loi fondamentale »), dispose que « [l]e droit en vigueur antérieurement à la première réunion du Bundestag demeure en vigueur dans la mesure où il n’est pas contraire à la loi fondamentale ».

4

L’article 109 de la Verfassung des Deutschen Reichs (Constitution de l’Empire allemand), adoptée le 11 août 1919 à Weimar (Reichsgesetzblatt 1919, p. 1383, ci-après la « Constitution de Weimar ») et entrée en vigueur le 14 août 1919, dispose :

« Tous les Allemands sont égaux devant la loi.

Hommes et femmes ont, en principe, les mêmes droits et les mêmes devoirs civiques.

Les privilèges de droit public et les inégalités liées à la naissance ou à la condition doivent être abolis. Les distinctions nobiliaires n’existent qu’en tant que partie du nom. Il ne pourra plus en être décerné.

Des titres ne peuvent être décernés que s’ils désignent une fonction ou une profession ; les titres universitaires ne sont pas visés.

Il ne peut être conféré par l’État ni ordres ni décorations.

Aucun Allemand ne peut accepter un titre ou un ordre d’un gouvernement étranger. »

5

Par décisions du 11 mars 1966 et du 11 décembre 1996, le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne) a considéré que, en vertu de l’article 123, paragraphe 1, de la loi fondamentale, l’article 109 de la Constitution de Weimar est toujours en vigueur et occupe, dans la hiérarchie des normes, le rang de loi fédérale ordinaire.

6

Sous l’intitulé « Statut personnel », l’article 5 de l’Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuch (loi d’introduction au code civil), du 21 septembre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 2494, et rectificatif BGBl. 1997 I, p. 1061), dans sa version applicable à la date des faits au principal (ci-après l’« EGBGB »), dispose, à son paragraphe 1 :

« S’il est fait renvoi au droit de l’État dont une personne est ressortissante et que celle-ci a la nationalité de plusieurs États, le droit de l’État avec lequel elle a le lien le plus étroit, en particulier en raison de sa résidence habituelle ou du cours de sa vie, s’applique. Si ladite personne est aussi de nationalité allemande, cette situation juridique prime. »

7

L’article 6 de l’EGBGB, intitulé « Ordre public », est ainsi libellé :

« Lorsque l’application d’une disposition juridique d’un autre État conduit à un résultat qui est manifestement incompatible avec des principes essentiels du droit allemand, il y a lieu de ne pas appliquer ladite disposition. En particulier, il y a lieu de ne pas appliquer une telle disposition lorsque son application est incompatible avec les droits fondamentaux. »

8

L’article 10 de l’EGBGB, intitulé « Nom », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Le nom d’une personne est régi par la loi de l’État dont cette personne est ressortissante. »

9

L’article 48 de l’EGBGB, intitulé « Choix d’un nom acquis dans un autre État membre de l’Union », dispose :

« Si le droit allemand s’applique au nom d’une personne, celle-ci peut choisir, par déclaration au bureau de l’état civil, le nom acquis au cours d’un séjour habituel dans un autre État membre de l’Union et qui y est inscrit au registre d’état civil, pour autant que cela ne soit pas manifestement incompatible avec des principes essentiels du droit allemand. Le choix du nom rétroagit à la date de l’inscription au registre d’état civil de l’autre État membre, sauf si la personne déclare expressément que le choix du nom ne doit avoir d’effet que pour l’avenir. La déclaration doit être authentifiée ou faire l’objet d’un acte authentique. [...] »

10

L’article 48 de l’EGBGB résulte de l’adoption du Gesetz zur Anpassung der Vorschriften des Internationalen Privatrechts an die Verordnung (EU) Nr. 1259/2010 und zur Änderung anderer Vorschriften des Internationalen Privatrechts (loi adaptant certaines dispositions du droit international privé au règlement no 1259/2010 et modifiant d’autres dispositions du droit international privé), du 23 janvier 2013 (BGBl. 2013 I, p. 101 ), qui est entré en vigueur le 29 janvier 2013. Cette disposition a été introduite en droit allemand à la suite de l’arrêt de la Cour du 14 octobre 2008, Grunkin et Paul (C‑353/06, EU:C:2008:559).

Le litige au principal et la question préjudicielle

11

[Tel que rectifié par ordonnance du 6 octobre 2016] Le requérant au principal est un ressortissant allemand, né le 9 janvier 1963 à Karlsruhe (Allemagne). Il a reçu à sa naissance le prénom « Nabiel » et le nom « Bagdadi », qui ont été transcrits dans le registre d’état civil de la ville de Karlsruhe.

12

Le requérant au principal a ultérieurement, à la suite d’une procédure administrative de changement de nom entreprise auprès de la ville de Nuremberg (Allemagne), acquis, d’une part, le nom de « Bogendorff » et obtenu, d’autre part, l’adjonction au prénom « Nabiel » de celui de « Peter ». Par l’effet d’une adoption, l’état civil allemand du requérant au principal a, de nouveau, été modifié de telle sorte qu’il porte désormais, selon cet état civil, les prénoms « Nabiel Peter » et le nom « Bogendorff von Wolffersdorff ».

13

Au cours de l’année 2001, le requérant au principal a déménagé au Royaume-Uni où, à partir de l’année 2002, il a exercé la profession de conseiller en matière d’insolvabilité à Londres.

14

Au cours de l’année 2004, il a acquis la nationalité britannique par voie de naturalisation, tout en conservant la nationalité allemande.

15

Par déclaration (Deed Poll) du 26 juillet 2004, enregistrée le 22 septembre 2004 auprès des services de la Supreme Court of England and Wales (Cour suprême d’Angleterre et du pays de Galles, Royaume-Uni) et publiée dans The London Gazette le 8 novembre 2004, le requérant au principal a changé son nom de telle sorte que, en vertu du droit britannique, il est appelé « Peter Mark Emanuel Graf von Wolffersdorff Freiherr von Bogendorff ».

16

Au cours de l’année 2005, le requérant au principal et son épouse ont quitté Londres pour s’installer à Chemnitz en Allemagne, où leur fille est née le 28 février 2006. Ils y résident depuis lors.

17

La naissance de leur fille, qui a la double nationalité allemande et britannique, a été déclarée auprès du consulat général du Royaume-Uni à Düsseldorf (Allemagne), le 23 mars 2006. Les prénoms et nom de leur fille apposés sur son acte de naissance et son passeport britanniques sont « Larissa Xenia Gräfin von Wolffersdorff Freiin von Bogendorff ».

18

Toutefois, le service de l’état civil de la ville de Chemnitz...

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