Proceedings brought by A Oy.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2012:488
Docket NumberC-123/11
Celex Number62011CC0123
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date19 July 2012
62011CC0123

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME JULIANE KOKOTT

présentées le 19 juillet 2012 ( 1 )

Affaire C‑123/11

A Oy

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein hallinto-oikeus (Finlande)]

«Droit fiscal — Liberté d’établissement — Directive 2009/133/CE — Droit national d’imposition des bénéfices — Fusion de deux sociétés résidant dans des États membres différents — Déductibilité des pertes de la société absorbée dans l’État membre de la société absorbante»

I – Introduction

1.

Le nom Marks & Spencer évoque en réalité une chaîne de magasins. Dans la jurisprudence de la Cour en matière fiscale, cependant, ces noms symbolisent la reconnaissance expresse de ce que la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres peut justifier des restrictions à la libre circulation ( 2 ). Dans la jurisprudence et la doctrine des États membres, en revanche, il semble que le nom Marks & Spencer soit aussi un synonyme de chaos et de désolation ( 3 ).

2.

La raison tient en une phrase d’une centaine de mots que la Cour a émise dans la décision dénommée Marks & Spencer, qui décrit les circonstances dans lesquelles les États membres, exceptionnellement, peuvent être contraints de prendre en considération les pertes de filiales non-résidentes dans l’imposition de leur société mère résidente. En dépit de cette abondance de mots, l’extension de cette exception et son existence même – eu égard à la jurisprudence postérieure de la Cour – restent obscures.

3.

La présente demande de décision préjudicielle pourrait offrir une occasion de mettre fin à la confusion qui est née de cette exception. L’assujettie finlandaise de la procédure au principal fait fond en effet sur l’exception dégagée par la Cour. Elle entend fusionner avec une filiale suédoise et utiliser ensuite en Finlande le report des pertes subies en Suède, ce que les règles fiscales finlandaises lui interdisent pourtant.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. La liberté d’établissement

4.

L’article 49 TFUE régit ainsi la libre circulation:

«Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux.»

5.

L’article 54 TFUE élargit le champ d’application de la liberté établissement dans les termes suivants:

«Les sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union sont assimilées, pour l’application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres.

[…]»

2. La directive sur les fusions

6.

La directive 2009/133/CE ( 4 ) (ci-après la «directive sur les fusions») régit les conséquences fiscales de certaines fusions transfrontalières de sociétés. Les considérants 2 et 3 explicitent ainsi la finalité de la directive sur les fusions:

«(2)

Les fusions […] intéressant des sociétés d’États membres différents peuvent être nécessaires pour créer dans la Communauté des conditions analogues à celles d’un marché intérieur et pour assurer ainsi le bon fonctionnement d’un tel marché intérieur. Ces opérations ne devraient pas être entravées par des restrictions, des désavantages ou des distorsions particuliers découlant en particulier des dispositions fiscales des États membres. […]

(3)

Des dispositions d’ordre fiscal pénalisent actuellement ces opérations par rapport à celles qui intéressent des sociétés d’un même État membre. Il est nécessaire d’éliminer cette pénalisation.»

7.

Le considérant 4 décrit la voie ouverte par la directive sur les fusions:

«Il n’est pas possible d’atteindre cet objectif par une extension, au plan communautaire, des régimes internes en vigueur dans les États membres, les différences entre ces régimes étant susceptibles de provoquer des distorsions. Seul un régime fiscal commun peut constituer une solution satisfaisante à cet égard.»

8.

En ce qui concerne spécifiquement le traitement des pertes fiscales des sociétés, le considérant 9 dispose ce qui suit:

«Il convient également de définir le régime fiscal à appliquer à certaines provisions, réserves ou pertes de la société apporteuse et de régler les problèmes fiscaux qui se posent lorsqu’une des deux sociétés détient une participation dans le capital de l’autre.»

9.

On notera enfin le considérant 14:

«L’un des objectifs de la présente directive est d’éliminer les entraves au fonctionnement du marché intérieur, telles que la double imposition. Dans la mesure où les dispositions de la présente directive ne permettent pas d’atteindre complètement cet objectif, les États membres devraient prendre les mesures nécessaires pour le réaliser.»

10.

Le champ d’application de la directive sur les fusions s’étend, d’après son article 1er, sous a), aux «opérations de fusion […] qui concernent des sociétés de deux ou plusieurs États membres». L’article 2, sous a), iii), de ladite directive définit la «fusion» comme une opération par laquelle «une société transfère, par suite et au moment de sa dissolution sans liquidation, l’ensemble de son patrimoine, activement et passivement, à la société qui détient la totalité des titres représentatifs de son capital social». L’article 3 de la directive sur les fusions définit la notion de «société d’un État membre» au sens de cette directive.

11.

En ce qui concerne les pertes de la société apporteuse, la directive sur les fusions ne les régit que dans son article 6:

«Dans la mesure où les États membres appliquent, lorsque les opérations visées à l’article 1er, point a), interviennent entre sociétés de l’État membre de la société apporteuse, des dispositions permettant la reprise, par la société bénéficiaire, des pertes de la société apporteuse non encore amorties du point de vue fiscal, ils étendent le bénéfice de ces dispositions à la reprise, par les établissements stables de la société bénéficiaire situés sur leur territoire, des pertes de la société apporteuse non encore amorties du point de vue fiscal.»

B – Le droit finlandais

12.

Conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la convention relative à la prévention de la double imposition en matière d’imposition du revenu et du patrimoine en vigueur entre la République de Finlande et le Royaume de Suède, le revenu commercial d’une société établie en Suède ne peut être imposé en Finlande que si la société reçoit ce revenu d’un établissement fixe en Finlande.

13.

En droit fiscal finlandais, les pertes constatées pendant une période fiscale peuvent être reportées sur les périodes fiscales suivantes. L’article 119, paragraphes 1 et 2, de la loi relative à l’impôt sur le revenu (Tuloverolaki) prévoit à cet effet ce qui suit:

«La perte résultant de l’exercice fiscal économique et agricole est déduite des résultats des activités économiques et agricoles pendant les dix exercices qui suivent au fur et à mesure que des revenus sont générés.

On entend par perte résultant d’activités économiques le résultat déficitaire calculé selon la loi sur l’imposition des revenus provenant d’activités économiques, et par perte agricole le résultat déficitaire calculé selon la loi relative à l’impôt sur le revenu.»

14.

En cas de fusion de sociétés, l’article 123, paragraphe 2, de la loi relative à l’impôt sur le revenu comporte la disposition suivante sur le sort des pertes constatées d’une société apporteuse:

«Après que des personnes morales ont fusionné ou qu’une personne morale a été scindée, la personne morale résultant d’une telle opération a le droit de déduire de son revenu imposable la perte subie par la personne morale qui a été absorbée ou qui a été scindée de la manière décrite aux articles 119 et 120, si la personne morale résultant de l’opération ou ses actionnaires ou membres, ou la personne morale résultant de l’opération et ses actionnaires ou membres ensemble, possédaient dès le début de l’exercice déficitaire plus de la moitié des actions ou des parts de la personne morale absorbée ou scindée […]»

15.

De plus, la jurisprudence finlandaise fait dépendre ce droit à reprise d’une perte de la société apporteuse de la condition que la fusion ne soit pas effectuée dans ce seul but.

III – Les faits et les questions préjudicielles

16.

La procédure au principal porte sur une décision préalable relative à l’impôt sur le revenu des personnes morales (yhteisöjen tulovero). La société A Oy (ci-après l’«assujettie») avait demandé cette décision à la Keskusverolautakunta (commission fiscale centrale) afin de disposer d’une réponse liant l’administration sur une question fiscale afférente au transfert de pertes.

17.

L’assujettie établie en Finlande détient toutes les parts de la société suédoise B AB. Cette filiale a mis fin à ses activités après avoir géré trois commerces de détail en Suède. Elle a cependant toujours des obligations résultant de deux contrats de bail à long terme concernant des locaux commerciaux...

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