Feniks Sp. z o.o. v Azteca Products & Services SL.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:487
Date21 June 2018
Celex Number62017CC0337
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-337/17
62017CC0337

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 21 juin 2018 ( 1 )

Affaire C‑337/17

Feniks sp. z o.o.

contre

Azteca Products & Services SL

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Okręgowy w Szczecinie (tribunal régional de Szczecin, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Compétence en matière civile et commerciale – Compétences spéciales – Matière contractuelle – Action paulienne »

I. Introduction

1.

Au début de l’histoire romaine, tout étranger était un ennemi de l’État. Il ne pouvait aucunement bénéficier des droits ou de la protection du ius civile, qui était réservé aux citoyens romains ( 2 ). Par la suite, en particulier au cours de la période impériale, un certain degré de pluralité juridique était permis, notamment dans les provinces toujours plus vastes de l’empire. En outre, l’applicabilité du ius civile aux non-citoyens a été progressivement étendue au moyen de diverses notions juridiques telles que la « fiction de citoyenneté» ( 3 ), définie par Gaius en ces termes : « […] il y a fiction de citoyenneté romaine pour un étranger requérant ou défendeur d’une action prévue par la loi, pour autant qu’il soit juste que cette action soit étendue à un étranger […]» ( 4 ).

2.

En toute hypothèse, une telle action se serait déroulée devant les institutions de l’empire romain au sens large ou dans le cadre de celles‑ci. Politiquement, au sein de l’empire, il n’y avait pas d’États souverains entre lesquels un conflit de lois au sens moderne de l’expression (entre des ordres juridiques souverains au même titre) aurait pu survenir. Ainsi, lorsque, vers les années 150 à 125 avant Jésus-Christ, un prêteur du nom de Paulus a apparemment autorisé pour la première fois une action permettant au créancier de contester tout acte effectué frauduleusement par le débiteur au détriment dudit créancier, action par la suite connue sous le nom d’action paulienne ( 5 ) (ou « actio pauliana »), le problème de la compétence pour connaître de cette action ne s’est tout simplement pas posé.

3.

Anno Domini 2018, la situation est différente. Les sociétés polonaises Feniks sp. z o.o., sise à Szczecin (Pologne) et Coliseum 2101 sp. z o.o., également sise à Szczecin (ci-après « Coliseum ») ont établi une relation contractuelle pour un projet immobilier en Pologne. Coliseum a conclu d’autres contrats avec des sous-traitants, mais n’est pas parvenue à les payer. Au lieu de cela, ces sous‑traitants ont été payés par Feniks. De ce fait, Coliseum est devenue débitrice de Feniks.

4.

Coliseum a par la suite vendu un terrain situé en Pologne à Azteca Products & Services SL, société sise à l’Alcora (Espagne) (ci‑après « Azteca »). Le prix de vente a été déduit d’une dette que Coliseum avait envers Azteca.

5.

Feniks a intenté une action contre Azteca au titre des dispositions du code civil polonais prévoyant l’instrument connu sous le nom d’action paulienne en vue de faire déclarer inopposable, à son égard, la vente de l’immeuble. Cette action a été introduite devant le Sąd Okręgowy w Szczecinie (tribunal régional de Szczecin, Pologne), la juridiction de renvoi. Celle-ci nourrit des doutes quant à la compétence internationale des juridictions polonaises. Elle estime que cette compétence peut être établie uniquement si la demande peut être qualifiée de demande « en matière contractuelle » au sens du règlement no 1215/2012 ( 6 ). À défaut, la compétence internationale serait déterminée suivant la règle générale de compétence applicable dans l’État membre du domicile du défendeur, en l’occurrence l’Espagne, où Azteca est sise.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

6.

Dès lors que la procédure au principal a été engagée le 11 juillet 2016, le règlement no 1215/2012 est applicable ratione temporis ( 7 ).

7.

Les considérants 15 et 16 du règlement no 1215/2012 énoncent :

« (15)

Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. […]

(16)

Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. [...] ».

8.

Conformément à son article 1er, paragraphe 2, sous b), le règlement no 1215/2012 n’est pas applicable aux « faillites, concordats et autres procédures analogues ».

9.

Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, « [s]ous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ».

10.

L’article 5, paragraphe 1, dispose : « Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre ».

11.

L’article 7, qui figure à la section 2 du chapitre II du même règlement, prévoit qu’« [u]ne personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

1)

a)

en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;

b)

aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :

pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

c)

le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas ;

[...] ».

B. Le droit polonais

12.

Les articles 527 et suivants de l’ustawa z dnia 23 kwietnia 1964 – Kodeks cywilny [loi du 23 avril 1964 portant code civil (Dz U de 2017, position 459, ci‑après le « code civil »)] prévoient l’instrument connu sous le nom d’action paulienne en droit polonais. L’article 527 est rédigé en ces termes :

« 1. Si, en raison d’un acte juridique du débiteur préjudiciable à ses créanciers, un tiers a obtenu un avantage patrimonial, chaque créancier peut demander que cet acte soit déclaré inopposable à son égard, si le débiteur a sciemment causé un préjudice à ses créanciers et si le tiers susmentionné en avait connaissance ou était en mesure d’en prendre connaissance, en faisant preuve de diligence.

2. L’acte juridique du débiteur est préjudiciable à ses créanciers lorsque, en raison de l’acte concerné, le débiteur est devenu insolvable ou si son insolvabilité s’est aggravée par rapport à la situation antérieure à l’acte concerné.

3. Si la personne qui a obtenu un avantage patrimonial en raison de l’acte juridique du débiteur (portant préjudice à ses créanciers) entretient une relation étroite avec le débiteur, cette personne est présumée avoir eu connaissance de ce que le débiteur portait sciemment préjudice à ses créanciers.

4. Si la personne qui a obtenu un avantage patrimonial en raison de l’acte juridique du débiteur (portant préjudice à ses créanciers) est un entrepreneur conservant une relation d’affaires durable avec ce débiteur, cet entrepreneur est présumé avoir eu connaissance de ce que le débiteur portait sciemment préjudice à ses créanciers ».

13.

Conformément à l’article 530 du code civil, « [l]es dispositions des articles précédents s’appliquent mutatis mutandis lorsque le débiteur a agi dans l’intention de porter préjudice à ses créanciers futurs. Toutefois, lorsqu’un tiers a obtenu un avantage patrimonial à titre onéreux, le créancier ne peut exiger que cet acte soit déclaré inopposable que si le tiers concerné avait connaissance des intentions du débiteur ».

14.

L’article 531 du code civil est ainsi libellé :

« 1. L’acte juridique du débiteur (portant préjudice à ses créanciers) peut être déclaré inopposable par voie d’action ou d’exception à l’encontre du tiers qui a obtenu un avantage patrimonial à la suite de l’acte concerné.

2. Lorsque le tiers a aliéné l’avantage patrimonial obtenu, le créancier peut agir directement contre la personne au profit de laquelle l’aliénation est intervenue, si cette personne avait connaissance des circonstances justifiant l’inopposabilité de l’acte juridique du débiteur ou si l’aliénation est intervenue à titre gratuit ».

15.

L’article 533 du code civil prévoit que « [l]e tiers ayant obtenu un avantage patrimonial en raison de l’acte juridique du débiteur (portant préjudice à ses créanciers) peut se soustraire à l’obligation de satisfaire à la demande du créancier (demandant que l’acte concerné soit déclaré inopposable) en désintéressant ledit créancier ou en lui indiquant des actifs du débiteur suffisants aux fins de le désintéresser ».

III. Les faits, la procédure nationale et les questions préjudicielles

16.

Coliseum est sise à Szczecin. En qualité d’entrepreneur général, elle a conclu un contrat avec Feniks, également sise à Szczecin, en tant qu’investisseur (ci-après la « requérante »). Le contrat portait sur la réalisation de travaux à Gdańsk (Pologne). Coliseum a conclu une série de contrats avec des sous‑traitants, mais a par la suite...

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