Criminal proceedings against Łukasz Marcin Bonda.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:845
Date15 December 2011
Celex Number62010CC0489
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-489/10
62010CC0489

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME JULIANE KOKOTT

présentées le 15 décembre 2011 ( 1 )

Affaire C-489/10

Łukasz Marcin Bonda

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Najwyższy (Pologne)]

«Agriculture — Règlement (CE) no 1973/2004 — Exclusion du bénéfice de l’aide en cas d’inexactitude de la superficie déclarée — Caractère pénal d’une sanction administrative — Règle du non-cumul des sanctions pénales — Principe ne bis in idem»

Table des matières

I — Introduction

II — Le cadre juridique

III — Les faits et le litige au principal

IV — La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

V — Appréciation

A — Remarques préliminaires

1. Étendue du contrôle, le principe ne bis in idem du droit de l’Union

a) Vocation à s’appliquer du principe ne bis in idem du droit de l’Union

b) Le protocole (no 30) au traité de Lisbonne

c) Conclusion intermédiaire

2. Précisions sur la question préjudicielle — Objet de l’examen

3. Reformulation de la question préjudicielle

B — Le principe ne bis in idem en droit de l’Union, quand une procédure a-t-elle un caractère pénal ou quasi pénal?

1. La jurisprudence de la Cour sur le caractère pénal des sanctions en matière agricole

2. Prise en compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour déterminer le caractère pénal

a) La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

b) Application des critères Engel à la présente affaire, contradiction par rapport à la jurisprudence actuelle de la Cour dans le domaine de la législation agricole?

i) Sur l’application du premier critère Engel

ii) Sur l’application du deuxième critère Engel

– Groupe de personnes visées

– Intérêt juridique normalement protégé par des sanctions pénales

– Finalité et but de la sanction

– Conclusion intermédiaire

iii) Sur l’application du troisième critère Engel

3. Les conséquences qu’emporterait une décision dans un autre sens

4. Prise en compte de la sanction

5. Examen des autres critères du principe ne bis in idem

VI — Conclusion

I – Introduction

1.

En raison de l’inexactitude des déclarations faites dans une demande d’aide de l’Union européenne au secteur agricole, l’administration nationale a appliqué à un agriculteur les réductions d’une aide demandée, prévues par un règlement de l’Union. Ensuite, l’agriculteur a fait l’objet de poursuites devant une juridiction pénale pour fraude aux subventions en raison de ces mêmes déclarations inexactes. La question centrale qui se pose donc dans la présente affaire est celle de savoir si la procédure administrative a un caractère pénal avec pour conséquence qu’en vertu de la règle du non-cumul des sanctions pénales (principe ne bis in idem), il ne peut être engagé de surcroît des poursuites pénales contre le bénéficiaire de l’aide.

II – Le cadre juridique

2.

L’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 2 ) dispose:

«Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi.»

3.

L’article 138, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1973/2004 ( 3 ), dans sa version en vigueur (ci-après le «règlement no 1973/2004») ( 4 ) au moment de la demande d’aide litigieuse (16 mai 2005) et de la décision administrative (25 juin 2006), était libellé comme suit:

«Sauf dans les cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles telles que définies à l’article 72 du règlement (CE) no 796/2004 [de la Commission, du 21 avril 2004, portant modalités d’application de la conditionnalité, de la modulation et du système intégré de gestion et de contrôle prévus par le règlement (CE) no 1782/2003 du Conseil établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs (JO L 141, p. 18)], lorsque, à la suite d’un contrôle administratif ou d’un contrôle sur place, il est constaté que la différence établie entre la superficie déclarée et la superficie déterminée, au sens de l’article 2, point 22), du règlement (CE) no 796/2004, est supérieure à 3 % mais inférieure ou égale à 30 % de la superficie déterminée, le montant à accorder au titre du régime de paiement unique à la surface est réduit, pour l’année en cause, de deux fois la différence constatée.

Si la différence est supérieure à 30 % de la superficie déterminée, aucune aide n’est accordée pour l’année en cause.

Si la différence est supérieure à 50 %, l’agriculteur est exclu une nouvelle fois du bénéfice d’une aide à hauteur d’un montant correspondant à la différence entre la superficie déclarée et la superficie déterminée. Le montant correspondant est prélevé sur les paiements d’aides auxquels l’agriculteur peut prétendre au titre des demandes qu’il introduit au cours des trois années civiles suivant celle de la constatation.»

III – Les faits et le litige au principal

4.

Conformément à la demande de décision préjudicielle, le 16 mai 2005, M. Bonda a introduit auprès du bureau régional de l’agence pour la restructuration et la modernisation de l’agriculture (ci-après le «bureau régional») une demande aux fins d’obtenir une aide de l’Union au secteur agricole ( 5 ) au titre de l’année 2005. Dans cette demande, M. Bonda a fait des déclarations inexactes concernant l’étendue des surfaces agricoles utilisées par lui et les cultures pratiquées sur ces surfaces ( 6 ).

5.

Selon la demande de décision préjudicielle, en raison de ces déclarations inexactes, le bureau régional, se fondant sur l’article 138 du règlement no 1973/2004, a refusé de régler l’aide au titre de l’année 2005 et a en outre prononcé la perte du droit d’obtenir des aides pour les trois années suivantes.

6.

Le 14 juillet 2009, en raison de ces déclarations inexactes dans sa demande d’aide, M. Bonda a été condamné par le Sąd Rejonowy w Goleniowie ( 7 ) pour fraude aux subventions, sur le fondement de l’article 297, paragraphe 1, du code pénal polonais, à une peine d’emprisonnement de huit mois assortie d’un sursis de deux ans et à 80 jours-amende au taux journalier de 20 PLN.

7.

M. Bonda a interjeté appel de cette condamnation devant le Sąd Okręgowy w Szczecinie ( 8 ). Cette juridiction a fait droit à cet appel et a mis fin à l’action pénale contre M. Bonda, jugeant que, du fait qu’une sanction lui avait déjà été infligée sur le fondement de l’article 138 du règlement no 1973/2004 pour les mêmes faits, la procédure pénale dirigée contre lui serait irrecevable. Sur pourvoi en cassation du Prokurator Generalny ( 9 ), la procédure est désormais pendante devant le Sąd Najwyższy ( 10 ), la juridiction de renvoi.

IV – La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

8.

Par décision du 27 septembre 2010, parvenue à la Cour le 12 octobre 2010, le Sąd Najwyższy a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:

«Quelle est la nature juridique de la sanction que prévoit l’article 138 du règlement (CE) no 1973/2004 […] et qui consiste à priver l’agriculteur des paiements directs afférents aux années civiles suivant celle au cours de laquelle celui-ci a déposé une fausse déclaration relativement à la taille de la superficie au titre de laquelle les paiements directs ont été demandés?»

9.

Au cours de la procédure devant la Cour, M. Bonda, la République de Pologne, la République d’Autriche et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. La République de Pologne et la Commission ont participé à l’audience qui s’est tenue le 4 octobre 2011.

V – Appréciation

A – Remarques préliminaires

10.

Pour pouvoir répondre utilement à la juridiction de renvoi, il convient de compléter et préciser la question posée ( 11 ).

1. Étendue du contrôle, le principe ne bis in idem du droit de l’Union

11.

La juridiction de renvoi pose sa question au regard de l’application du principe ne bis in idem du droit polonais. Le gouvernement polonais et la Commission ont également exposé lors de l’audience que le critère de contrôle était le principe ne bis in idem du droit polonais. Nous allons toutefois démontrer que c’est le principe ne bis in idem du droit de l’Union qui s’applique dans la présente affaire ( 12 ).

12.

En outre, dans le cas où le principe ne bis in idem du droit national s’appliquait, il nous paraît douteux que la Cour aurait vocation à se prononcer sur le caractère pénal des sanctions administratives litigieuses. En effet, dans ce cas, le caractère pénal devrait être également apprécié à l’aune du droit national. À cet égard, il pourrait être concevable — mais tel n’est pas le cas en l’espèce — que la juridiction nationale expose les conditions auxquelles, selon ses propres critères d’appréciation, le champ d’application du principe ne bis in idem des sanctions est ouvert et qu’ensuite, la Cour se prononce sur le point de savoir si une sanction administrative du droit de l’Union répond à ces conditions. Il pourrait s’agir ainsi par exemple de la question de savoir si une sanction administrative du droit de l’Union a un but répressif dans le cas où celui-ci serait, selon le droit national, un élément constitutif du caractère pénal d’une norme.

a) Vocation à s’appliquer du principe ne bis in idem du droit de l’Union

13.

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