Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 11 April 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:325
Date11 April 2019
Docket NumberC-619/18
Celex Number62018CC0619
Procedure TypeRecurso por incumplimiento – fundado
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 11 avril 2019 (1)

Affaire C619/18

Commission européenne

contre

République de Pologne

« Manquement d’État – Article 258 TFUEArticle 7 TUE – État de droit – Article 19, paragraphe 1, TUE – Principe de la protection juridictionnelle effective – Principes de l’indépendance et de l’inamovibilité des juges – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 47 et 51 de la Charte – Réglementation nationale prévoyant l’abaissement de l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour suprême – Absence de période transitoire – Réglementation nationale conférant au président de la République le pouvoir discrétionnaire de prolonger le mandat actif des juges de la Cour suprême »






I. Introduction

1. Dans la présente affaire, la Commission a introduit une procédure d’infraction contre la République de Pologne, en application de l’article 258 TFUE, pour manquement aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), au motif que, premièrement, la réglementation nationale prévoyant l’abaissement de l’âge de départ à la retraite des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne, ci-après la « Cour suprême ») nommés à la Cour suprême avant le 3 avril 2018 porte atteinte au principe de l’inamovibilité des juges, et, deuxièmement, que la réglementation nationale conférant au président de la République le pouvoir discrétionnaire de prolonger le mandat actif des juges de la Cour suprême lorsqu’ils atteignent l’âge ainsi abaissé de départ à la retraite porte atteinte au principe de l’indépendance judiciaire.

2. Pour l’essentiel, cette affaire offre à la Cour l’occasion de statuer pour la première fois, dans le contexte d’un recours direct en manquement fondé sur l’article 258 TFUE, sur la compatibilité de certaines mesures adoptées par un État membre dans le contexte de l’organisation de son système judiciaire avec les normes énoncées par les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, et de l’article 47 de la Charte, pour garantir le respect de l’État de droit dans l’ordre juridique de l’Union (2). Elle soulève également un certain nombre de questions importantes sur le champ d’application ratione materiae de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et celui de l’article 47 de la Charte ainsi que sur la relation entre les procédures au titre de l’article 258 TFUE et de l’article 7 TUE.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

3. L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE énonce :

« Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. »

B. Le droit polonais

4. L’article 30, paragraphe 1, de l’ustawa z dnia 23 listopada 2002 r. o Sądzie Najwyższym (loi du 23 novembre 2002 sur la Cour suprême, Dz. U. nº 240 de 2002, position 2052, telle que modifiée) (ci-après la « loi de 2002 sur la Cour suprême ») a fixé à 70 ans l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour suprême, à moins que le juge concerné adresse au premier président de la Cour suprême, au plus tard six mois avant d’atteindre l’âge de 70 ans, une déclaration indiquant son souhait de continuer à exercer ses fonctions et à condition de présenter un certificat attestant que son état de santé le lui permet. Dans ce cas, conformément à l’article 30, paragraphe 5, de cette même loi, ce juge pouvait automatique exercer ses fonctions jusqu’à l’âge de 72 ans.

5. Le 20 décembre 2017, le président de la République de Pologne a signé l’ustawa z dnia 8 grudnia 2017 r. o Sądzie Najwyższym (loi du 8 décembre 2017 sur la Cour suprême, Dz. U de 2018, position 5, telle que modifiée) (ci-après la « loi sur la Cour suprême »), laquelle est entrée en vigueur le 3 avril 2018.

6. L’article 37, paragraphes 1 à 4, de la loi sur la Cour suprême énonce :

« 1. Les juges de la Cour suprême partent à la retraite le jour de leur 65e anniversaire, sauf s’ils font, douze mois au plus tôt et six mois au plus tard avant d’atteindre l’âge de 65 ans, une déclaration indiquant leur souhait de continuer à exercer leurs fonctions et présentent un certificat, établi dans les conditions applicables aux candidats à la magistrature du siège, attestant que leur état de santé leur permet de siéger, et si le président de la République de Pologne accorde l’autorisation de prolongation de leurs fonctions à la Cour suprême.

1bis. Avant d’accorder une telle autorisation, le président de la République de Pologne sollicite l’avis du conseil national de la magistrature. Le conseil national de la magistrature transmet son avis au président de la République de Pologne dans un délai de 30 jours à compter du jour où celui-ci l’a invité à lui en faire part. Si le conseil national de la magistrature n’a pas transmis son avis dans le délai prévu à la deuxième phrase, cet avis est réputé favorable.

1ter. Lorsqu’il rend l’avis visé au paragraphe 1bis, le conseil national de la magistrature prend en considération l’intérêt du système judiciaire ou un intérêt social important, en particulier l’affectation rationnelle des membres de la Cour suprême ou les besoins résultant de la charge de travail de certaines chambres de la Cour suprême.

2. La déclaration et le certificat visés au paragraphe 1 sont adressés au premier président de la Cour suprême, qui les transmet immédiatement, accompagnés de son avis, au président de la République de Pologne. Le premier président de la Cour suprême communique sa déclaration et son certificat, accompagnés de l’avis du collège de la Cour suprême, au président de la République de Pologne.

3. Le président de la République de Pologne peut autoriser un juge de la Cour suprême à continuer d’exercer ses fonctions dans un délai de trois mois à compter du jour où l’avis du conseil national de la magistrature visé au paragraphe 1bis lui est parvenu ou de l’expiration du délai dans lequel cet avis doit être communiqué. À défaut d’autorisation dans le délai prévu à la première phrase, le juge est réputé être à la retraite à compter du jour de son 65e anniversaire. Lorsqu’un juge de la Cour suprême atteint l’âge visé au paragraphe 1 avant la fin de la procédure de prolongation de son mandat, il demeure en fonction jusqu’à la clôture de ladite procédure.

4. L’autorisation visée au paragraphe 1 est accordée pour une durée de trois ans, renouvelable une fois. Les dispositions du paragraphe 3 s’appliquent mutatis mutandis. Tout juge autorisé à prolonger ses fonctions à la Cour suprême peut partir à la retraite à tout moment à compter de son 65e anniversaire ; il adresse à cet effet une déclaration au premier président de la Cour suprême, qui la transmet immédiatement au président de la République de Pologne. Le premier président de la Cour suprême adresse sa déclaration directement au président de la République de Pologne. »

7. L’article 111, paragraphes 1 et 1bis de la loi sur la Cour suprême dispose :

« 1. Les juges de la Cour suprême qui ont atteint l’âge de 65 ans à la date de l’entrée en vigueur de la présente loi ou qui atteindront cet âge dans un délai de trois mois à compter de cette entrée en vigueur partent à la retraite à compter du jour suivant l’expiration de ce délai de trois mois, sauf s’ils présentent, dans un délai d’un mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, la déclaration et le certificat visés à l’article 37, paragraphe 1, et que le président de la République de Pologne les autorise à continuer d’exercer leurs fonctions de juge à la Cour suprême. Les dispositions de l’article 37, paragraphes 2 à 4, s’appliquent mutatis mutandis.

1bis. Les juges de la Cour suprême qui atteindront l’âge de 65 ans après l’expiration d’un délai de trois mois et avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date de l’entrée en vigueur de la présente loi partent à la retraite douze mois après cette entrée en vigueur, sauf s’ils présentent, dans ce délai, la déclaration et le certificat visés à l’article 37, paragraphe 1, et que le président de la République de Pologne les autorise à continuer d’exercer leurs fonctions de juge à la Cour suprême. Les dispositions de l’article 37, paragraphes 1bis à 4, s’appliquent mutatis mutandis. »

8. L’ustawa z dnia 10 maja 2018 r. o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi du 10 mai 2018 portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun, de la loi sur la Cour suprême et de certaines autres lois, Dz. U. de 2018, position 1045) (ci-après la « loi modificative du 10 mai 2018 ») contient, outre des dispositions modifiant la loi sur la Cour suprême, un certain nombre de dispositions autonomes qui régissent la procédure relative à la prolongation du mandat actif des juges de la Cour suprême qui ont atteint l’âge de 65 ans prévu pour la retraite au plus tard le 3 juillet 2018. Son article 5 est en ces termes :

« Le président de la République de Pologne transmet immédiatement pour avis au conseil national de la magistrature les déclarations visées à l’article 37, paragraphe 1, et à l’article 111, paragraphe 1, de la loi [sur la Cour suprême] qu’il n’a pas examinées à la date de l’entrée en vigueur de la présente loi. Le conseil national de la magistrature rend son avis dans un délai de 30 jours à compter du jour où le président de la République de Pologne l’a invité à le faire. Le président de la République de Pologne peut autoriser un juge de la Cour suprême à continuer d’exercer ses fonctions dans un délai de 60 jours à compter du jour où l’avis du conseil national de la magistrature lui est parvenu ou de l’expiration du délai dans lequel cet avis doit être communiqué. Les dispositions de l’article 37...

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