Opinion of Advocate General Kokott delivered on 3 May 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:301
Docket NumberC-249/17
Celex Number62017CC0249
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date03 May 2018
62017CC0249

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 3 mai 2018 ( 1 )

Affaire C‑249/17

Ryanair Ltd

contre

The Revenue Commissioners

[demande de décision préjudicielle formée par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande)]

« Recours préjudiciel – Législation fiscale – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Notion d’“assujetti” – Dépenses exposées pour bénéficier de services dans le cadre de l’acquisition de la totalité des parts d’une entreprise – Droit à la déduction de la taxe payée en amont – Échec de l’acquisition d’un concurrent »

I. Introduction

1.

Ce sont à nouveau l’interprétation de la notion d’« assujetti » et la détermination d’une « activité économique » au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE ( 2 ) qui se trouvent au cœur du présent litige. Cette affaire donnera à la Cour l’occasion de préciser le champ d’application de sa jurisprudence relative au droit à la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) par des sociétés holding.

2.

En 2006, la compagnie aérienne Ryanair a tenté de prendre le contrôle de la compagnie aérienne irlandaise Aer Lingus. Si cette acquisition a échoué pour des raisons tenant au droit de la concurrence, Ryanair avait déjà exposé des dépenses importantes pour bénéficier de services de conseil et autres, en lien avec l’acquisition envisagée. C’est ainsi que Ryanair a demandé à bénéficier de la déduction des taxes qu’elle avait dû acquitter en amont, ce qui lui a été refusé par l’administration fiscale irlandaise.

3.

La jurisprudence de la Cour a certes reconnu la possibilité pour un assujetti de faire valoir un droit à la déduction des taxes payées en amont pour des investissements restés infructueux. Le différend découle toutefois en l’espèce de ce que la jurisprudence a considéré que la simple acquisition et la détention de parts ne constituaient pas une activité économique au sens de la directive TVA. Telle est la raison pour laquelle, selon la jurisprudence de la Cour, une société holding dont le seul objet consiste en la prise de participations ne peut pas se prévaloir du droit à la déduction de la TVA ( 3 ).

4.

Cependant, à la différence des situations de holding classiques, une entreprise opérationnelle (donc un assujetti) voulait en l’espèce procéder à ce que l’on appelle une acquisition stratégique d’une entreprise concurrente. La question se pose donc de savoir si la limitation du droit à la déduction de la TVA résultant de la jurisprudence dénommée « jurisprudence holding» ( 4 ) est vraiment applicable à la présente affaire. Pour saisir la dimension économique de l’affaire, il est en effet nécessaire de prendre en considération, dans le cadre d’une analyse fonctionnelle, l’importance d’une prise de participation pour l’activité économique déjà existante.

II. Le cadre juridique

5.

Les dispositions du droit de l’Union applicables à la période d’imposition considérée sont celles de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme ( 5 ) (ci-après la « sixième directive »). Leur contenu est conforme aux dispositions correspondantes de la directive TVA ( 6 ).

6.

L’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA (anciennement article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive) prévoit :

« 1. Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence.

[…] »

7.

Conformément à l’article 167 de la directive TVA, « [l]e droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible ». L’article 168 de cette directive (formant auparavant, avec la disposition précédente, l’article 17 de la sixième directive) dispose :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[…] »

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

8.

La partie requérante dans l’affaire au principal, Ryanair Ltd, est une compagnie aérienne privée dont le siège se situe en Irlande. Le 23 octobre 2006, Ryanair a lancé une offre publique d’achat dans le but d’acquérir la totalité des actions d’Aer Lingus. Aer Lingus est l’ancienne compagnie aérienne publique irlandaise, dont les actions, à la suite de sa privatisation en 2006, ont été introduites en bourse le 2 octobre de la même année.

9.

Par décision du 27 juin 2007, la Commission européenne a déclaré que la concentration était incompatible avec le marché commun ( 7 ). Pour cette raison, Ryanair n’a pu acquérir qu’environ 29 % des parts d’Aer Lingus.

10.

Dans le cadre de cette offre publique d’achat, Ryanair a bénéficié de services soumis à la TVA dont elle a demandé la déduction. Cette demande a cependant été rejetée par The Revenue Commissioners (administration fiscale irlandaise, partie défenderesse dans l’affaire au principal).

11.

Ryanair a formé un recours contre la décision de rejet devant la Tax Appeals Commission (commission des recours en matière fiscale, Irlande) puis devant le Circuit Court (tribunal itinérant, Irlande). Ce dernier a procédé à une appréciation des faits contraignante et a saisi la High Court (Haute Cour, Irlande), dans le cadre d’un recours national présentant des similitudes avec le renvoi préjudiciel, de la question de savoir si, dans les circonstances de l’espèce, il y avait ouverture du droit à déduction de la TVA payée en amont. Cette juridiction a également conclu que Ryanair n’avait pas droit à la déduction.

12.

Ryanair a interjeté appel contre le jugement de la High Court (Haute Cour) devant la Supreme Court (Cour suprême). Par décision du 8 mai 2017, parvenue à la Cour le 12 mai 2017, la Supreme Court (Cour suprême) a sursis à statuer et a soumis à la Cour, en application de l’article 267 TFUE, les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’intention future de fournir des services de gestion à la société cible d’une acquisition (en cas de succès de l’acquisition concernée) est-elle suffisante afin d’établir que l’acquéreur potentiel exerce une activité économique aux fins de l’article 4 de la [sixième directive], de telle sorte que la TVA appliquée à cet acquéreur potentiel pour les biens ou services fournis en vue de faciliter l’acquisition puisse éventuellement être traitée comme une TVA en amont de l’activité économique envisagée, consistant à fournir de tels services de gestion ?

2)

Peut-on considérer qu’il existe un “lien direct et immédiat” suffisant, conformément à la condition identifiée par la Cour dans [l’arrêt du 27 septembre 2001, Cibo Participations, C‑16/00, EU:C:2001:495], entre des services professionnels fournis dans le cadre de cette acquisition potentielle et des services en aval, consistant dans la fourniture potentielle de services de gestion à la cible de l’acquisition (en cas de succès de l’acquisition concernée), permettant ainsi de déduire la TVA afférente aux services professionnels susmentionnés ? »

13.

Dans la procédure devant la Cour, Ryanair, l’Irlande et la Commission ont déposé des observations écrites. Toutes les parties étaient présentes à l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 14 mars 2018.

IV. Appréciation en droit

14.

Les deux questions préjudicielles portent sur le droit à la déduction de la TVA dans le cas de dépenses exposées en lien avec l’acquisition, voulue mais ayant finalement échoué, de la totalité des actions d’une société dans le but de son achat. Dès lors, il convient de les traiter ensemble.

15.

Par sa première question, la Supreme Court (Cour suprême) aimerait savoir, en substance, si l’intention de l’acquéreur de fournir des services de gestion à sa filiale en cas d’acquisition réussie est suffisante pour le qualifier d’assujetti au sens de la directive TVA.

16.

La Supreme Court (Cour suprême) demande au fond s’il est possible de combiner deux lignes de jurisprudence. En effet, d’une part, la Cour a étendu le droit à déduction aux investissements restés infructueux : le droit à la déduction des frais engagés pour lancer une activité économique peut également être invoqué lorsque le lancement de cette activité échoue et que les opérations imposables escomptées ne sont pas réalisées ( 8 ). Seule compte l’intention de l’assujetti, à prouver par des éléments objectifs, d’exercer une activité économique ( 9 ). D’autre part, selon la jurisprudence, l’activité économique requise d’une société holding pour qu’elle bénéficie du droit à déduction peut notamment consister à fournir des services de gestion à la société dans laquelle elle a acquis une participation ( 10 ).

17.

Par sa seconde question, la Supreme Court (Cour...

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