Opinion of Advocate General Kokott delivered on 31 May 2016.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2016:382
Date31 May 2016
Celex Number62015CC0157
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
CourtCourt of Justice (European Union)
62015CC0157

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 31 mai 2016 ( 1 )

Affaire C‑157/15

Samira Achbita

et

Centrum voor gelijkheid van kansen en voor racismebestrijding

contre

G4S Secure Solutions NV

[demande de décision préjudicielle formée par le Hof van Cassatie (Cour de cassation, Belgique)]

«Droits fondamentaux — Directive 2000/78/CE — Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Notion de “discrimination fondée sur la religion ou les convictions” — Distinction entre discrimination directe et discrimination indirecte — Justification — Règle interne à une entreprise interdisant le port de signes visibles de convictions politiques, philosophiques ou religieuses — Neutralité religieuse et philosophique — Licenciement d’une travailleuse musulmane en raison de son intention persistante de porter un foulard islamique au travail»

I – Introduction

1.

Un employeur privé peut-il interdire à une travailleuse de confession musulmane de porter un foulard au travail ? Peut-il la licencier si elle refuse d’ôter son foulard au travail ? Telles sont en substance les questions auxquelles la Cour devra répondre pour la première fois dans la présente affaire en droit de l’Union, cela sous l’angle de l’interdiction de la discrimination fondée sur la religion ou les convictions.

2.

Il est inutile de souligner ici à quel point cette question est socialement délicate, en particulier dans le contexte politique et social actuel, qui voit l’Europe faire face à un afflux absolument sans précédent de migrants provenant de pays tiers et dans lequel les moyens de parvenir à une intégration réussie des personnes issues de l’immigration sont âprement débattus.

3.

Enfin, les questions juridiques qui entourent le foulard islamique sont représentatives de la question plus fondamentale de savoir quelle mesure d’altérité et de diversité doit admettre en son sein une société européenne ouverte et pluraliste et quelle mesure d’intégration elle peut exiger en retour de certaines minorités.

4.

Les débats relatifs au foulard islamique ont été et sont donc souvent passionnés. Au cours des dernières années, ils ont déjà occupé une série de juridictions, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union européenne et ont largement retenu l’attention des médias ainsi que celle de la littérature spécialisée.

5.

En droit de l’Union, la question doit être résolue sur la base de la directive antidiscrimination 2000/78/CE ( 2 ), qu’une haute juridiction belge demande en l’espèce à la Cour d’interpréter. La demande de décision préjudicielle formée par une juridiction française dans l’affaire C‑188/15 (Bougnaoui et ADDH), pendante devant la Cour, porte sur une question très similaire.

6.

Dans les deux cas, la Cour est appelée à rendre une décision de principe qui, au-delà des deux affaires au principal, pourrait servir de référence pour le monde du travail dans l’ensemble de l’Union, à tout le moins pour ce qui concerne le secteur privé. S’agissant des conditions de travail des travailleurs du secteur public (par exemple, dans les écoles, les administrations et les tribunaux, mais aussi dans les entreprises privées chargées de l’exécution de services publics), certaines exceptions peuvent s’appliquer, mais celles-ci ne jouent aucun rôle en l’espèce. Il ne serait pas plus pertinent de discuter ici de questions de droit relatives au comportement des particuliers dans l’espace public (par exemple, les passants dans les rues et sur les places, les usagers des services publics ou les clients dans les restaurants ou d’autres commerces).

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

7.

En l’espèce, le cadre juridique, en droit de l’Union, est déterminé par la directive 2000/78. Aux termes de son article 1er, la directive 2000/78 a pour objet :

« [d’établir] un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement ».

8.

L’article 2 de la directive 2000/78, intitulé « Concept de discrimination », dispose :

« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2. Aux fins du paragraphe 1 :

a)

une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

b)

une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que :

i)

cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires […]

[…]

5. La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d’autrui. »

9.

Le champ d’application de la directive 2000/78 est déterminé à son article 3 :

« 1. Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :

[…]

c)

les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération ;

[…]. »

10.

Il faut mentionner enfin l’article 4 de la directive 2000/78, intitulé « Exigences professionnelles », qui dispose au paragraphe 1 :

« Nonobstant l’article 2, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l’un des motifs visés à l’article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée. »

B – Le droit belge

11.

Au moment des faits, la matière était régie en Belgique par la loi antidiscrimination du 25 février 2003 ( 3 ), adoptée en transposition de la directive 2000/78.

12.

En vertu de l’article 2, paragraphe 1, de cette loi, il y a discrimination directe « si une différence de traitement qui manque de justification objective et raisonnable est directement fondée sur le sexe, une prétendue race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, l’âge, la conviction religieuse ou philosophique, l’état de santé actuel ou futur, un handicap ou une caractéristique physique ».

13.

En vertu de l’article 2, paragraphe 2, de la même loi, il y a discrimination indirecte « lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre a en tant que tel un résultat dommageable pour des personnes auxquelles s’applique un des motifs de discrimination visés au § 1er, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne repose sur une justification objective et raisonnable ».

14.

Par arrêt du 6 octobre 2004, la Cour d’arbitrage (devenue Cour constitutionnelle, Belgique) a annulé la liste limitative de motifs de discrimination qui était prévue à l’article 2 de la loi antidiscrimination, jugée contraire à la Constitution. À partir de ce moment, l’article 2 s’est appliqué à toute discrimination, quel qu’en soit le fondement ( 4 ).

15.

Depuis lors, la loi antidiscrimination a été remplacée par la loi tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, du 10 mai 2007 ( 5 ). Cette nouvelle loi n’était cependant pas encore applicable aux faits de l’affaire au principal.

III – Les faits et la procédure au principal

16.

La société G4S Secure Solutions NV (ci-après « G4S ») est une entreprise qui fournit notamment des services de surveillance et de sécurité, mais aussi des services de réception, à une clientèle variée, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Le 12 février 2003, Mme Samira Achbita est entrée au service de G4S comme réceptionniste, dans les liens d’un contrat de travail à durée indéterminée.

17.

Les travailleurs de G4S ne sont pas autorisés à porter au travail de signes de convictions religieuses, politiques ou philosophiques. Cette interdiction n’était à l’origine qu’une règle non écrite. Avec l’approbation du comité d’entreprise, le règlement de travail de G4S comprend, depuis le 13 juin 2006, la règle suivante : « il est interdit aux travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tout rite qui en découle ».

18.

Mme Achbita, qui était déjà musulmane lors de son entrée en service, a initialement et pendant plus de trois ans, sans protester contre cette règle, porté un foulard uniquement en dehors des heures de travail. En avril 2006, elle a...

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