Allianz SpA and Generali Assicurazioni Generali SpA v West Tankers Inc.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:466
Date04 September 2008
Celex Number62007CC0185
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-185/07

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 4 septembre 2008 (1)

Affaire C‑185/07

Allianz SpA, anciennement Riunione Adriatica di Sicurta SpA e.a.

contre

West Tankers Inc.

[demande de décision préjudicielle formée par la House of Lords (Royaume-Uni)]

«Règlement (CE) n° 44/2001 – Champ d’application – Arbitrage – Injonction interdisant à la partie adverse d’introduire ou de poursuivre une action en justice devant une juridiction étatique dans un autre État membre au lieu d’agir devant le tribunal arbitral (‘anti-suit injunction’)»





I – Introduction

1. La House of Lords (Royaume-Uni) demande à la Cour, à titre préjudiciel, si des injonctions par lesquelles des juridictions interdisent à des parties d’introduire ou de poursuivre une action en justice («anti-suit injunctions») pour faire respecter des conventions d’arbitrage sont compatibles avec le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2).

2. Dans l’affaire Turner (3), la Cour a déjà jugé dans un autre contexte que la convention de Bruxelles (4) s’oppose à de telles injonctions de ne pas faire. Dans cette affaire, il était question d’interdire à une partie à une procédure pendante devant une juridiction étatique du Royaume-Uni d’introduire ou de poursuivre une action en justice devant une juridiction d’un autre État contractant. La Cour est maintenant appelée à statuer sur le point de savoir si de telles injonctions sont également illicites lorsqu’elles sont rendues à l’appui d’une procédure d’arbitrage.

3. En effet, au Royaume-Uni, les juridictions continuent à prononcer de telles injonctions, même après l’arrêt Turner, précité, si elles estiment que, en introduisant une action en justice devant une juridiction d’un autre État membre, une partie enfreint une convention d’arbitrage qui désigne un tribunal arbitral ayant son siège au Royaume-Uni (5). Elles considèrent que l’arrêt Turner ne fait pas obstacle à cette pratique, étant donné que le règlement n° 44/2001 n’est pas applicable à l’arbitrage.

II – Le cadre juridique

A – La convention de New York

4. Tous les États membres de la Communauté européenne sont parties à convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères du 10 juin 1958 (ci-après la «convention de New York») (6).

5. L’article I de la convention de New York détermine, au paragraphe 1, le champ d’application matériel:

«La présente Convention s’applique à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales rendues sur le territoire d’un État autre que celui où la reconnaissance et l’exécution des sentences sont demandées, et issues de différends entre personnes physiques ou morales. […]»

6. L’article II de la convention de New York dispose:

«Chacun des États contractants reconnaît la convention écrite par laquelle les parties s’obligent à soumettre à un arbitrage tous les différends ou certains des différends qui se sont élevés ou pourraient s’élever entre elles au sujet d’un rapport de droit déterminé, contractuel ou non contractuel, portant sur une question susceptible d’être réglée par voie d’arbitrage.

2. […]

3. Le tribunal d’un État contractant, saisi d’un litige sur une question au sujet de laquelle les parties ont conclu une convention au sens du présent article, renverra les parties à l’arbitrage, à la demande de l’une d’elles, à moins qu’il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée.»

7. L’article V de la convention de New York régit la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales et, en particulier, les conditions dans lesquelles la reconnaissance et l’exécution d’une sentence peuvent, à titre exceptionnel, être refusées. Celles-ci comprennent notamment l’incapacité de l’une des parties en vertu de la loi qui lui est applicable, l’invalidité de la sentence en vertu de la loi applicable au contrat ou en vertu de la loi du pays où la sentence a été rendue, la violation des droits de la défense en vertu de la loi du pays dans lequel la procédure d’arbitrage a eu lieu et le dépassement du champ d’application matériel du compromis. En outre, la reconnaissance et l’exécution peuvent être refusées lorsque, d’après la loi du pays dans lequel la sentence doit être reconnue et exécutée, l’objet du différend n’est pas susceptible d’être réglé par voie d’arbitrage ou lorsque la reconnaissance ou l’exécution est contraire à l’ordre public de ce pays.

B – Le règlement n° 44/2001

8. Les quatorzième à seizième et vingt-cinquième considérants du règlement n° 44/2001 énoncent:

«(14) L’autonomie des parties à un contrat autre qu’un contrat d’assurance, de consommation et de travail pour lequel n’est prévue qu’une autonomie limitée quant à la détermination de la juridiction compétente doit être respectée sous réserve des fors de compétence exclusifs prévus dans le présent règlement.

(15) Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. Il importe de prévoir un mécanisme clair et efficace pour résoudre les cas de litispendance et de connexité […].

(16) La confiance réciproque dans la justice au sein de la Communauté justifie que les décisions rendues dans un État membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune procédure.

[…]

(25) Le respect des engagements internationaux souscrits par les États membres justifie que le présent règlement n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres sont parties et qui portent sur des matières spéciales.»

9. L’article 1er du règlement détermine comme suit le champ d’application de celui-ci:

«1. Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

2. Sont exclus de son application:

[…]

d) l’arbitrage.

[…]»

10. L’article 5 du règlement dispose, en matière délictuelle:

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

[…]

3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire […]»

11. Il y a également lieu de mentionner les dispositions du règlement visant à éviter les décisions contradictoires. L’article 27 du règlement dispose, en cas de litispendance:

«Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.»

12. En outre, l’article 28 du règlement prévoit, en vue d’éviter des décisions contradictoires en cas de connexité:

«1. Lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer.

2. Lorsque ces demandes sont pendantes au premier degré, la juridiction saisie en second lieu peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condition que le tribunal premier saisi soit compétent pour connaître des demandes en question et que sa loi permette leur jonction.

3. Sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.»

C – Le droit national applicable

13. En droit anglais, la base légale des injonctions de ne pas faire en question est constituée par l’article 37, paragraphe 1, de la Supreme Court Act 1981, qui dispose que: «[l]a High Court peut, par voie d’ordonnance (interlocutoire ou définitive), prononcer une injonction […] dans tous les cas où cela lui paraît juste et opportun». En ce qui concerne les «anti-suit injunctions» à l’appui de conventions d’arbitrage, l’article 44, paragraphes 1 et 2, sous e), de l’Arbitration Act de 1996 précise que les juridictions nationales possèdent le même pouvoir d’injonction que celui dont elles disposent aux fins de la procédure judiciaire.

14. Les «anti-suit injunctions» s’adressent à l’auteur actuel ou potentiel d’un recours à l’étranger. Il lui est interdit d’introduire ou de poursuivre la procédure devant la juridiction étrangère. Si le défendeur ne respecte pas l’injonction, il s’expose à des poursuites pour outrage au tribunal («contempt of court»). Cela peut être sanctionné par de lourdes peines allant jusqu’à la contrainte par corps ou la mise sous séquestre des biens situés au Royaume-Uni. Il existe en outre le risque que les juridictions britanniques ne reconnaissent pas et n’exécutent pas les décisions étrangères rendues en violation d’une «anti-suit injunction» (7).

III – Les faits, la demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

15. En août 2000, le Front Comor, un navire appartenant à West Tankers Inc. et affrété par Erg Petroli SpA a heurté un embarcadère appartenant à Erg Petroli à Syracuse (Italie) et y a causé des dommages. Le contrat d’affrètement contenait une clause d’arbitrage en vertu de laquelle tous les différends résultant du contrat devaient être soumis à un arbitrage à Londres. L’application du droit anglais avait également été stipulée.

16. Riunione Adriatica di Sicurtà SpA (depuis le 1er octobre 2007 Allianz SpA) et Generali Assicurazioni Generali SpA (ci-après, collectivement, Allianz e.a.) avaient assuré Erg Petroli et l’ont indemnisée des dommages causés par la collision jusqu’à concurrence de la somme assurée. Erg Petroli a...

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