Opinion of Advocate General Bobek in Budapest Bank and Others

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:678
Celex Number62018CC0228
CourtCourt of Justice (European Union)
Date05 September 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 5 septembre 2019 (1)

Affaire C228/18

Gazdasági Versenyhivatal

contre

Budapest Bank Nyrt.,

ING Bank NV Magyarországi Fióktelepe,

OTP Bank Nyrt.,

Kereskedelmi és Hitelbank Zrt.,

Magyar Külkereskedelmi Bank Zrt.,

Erste Bank Hungary Zrt.,

Visa Europe Ltd,

MasterCard Europe SA

[demande de décision préjudicielle formée par la Kúria (Cour suprême, Hongrie)]

« Concurrence – Article 101, paragraphe 1, TFEU – Accords, décisions et pratiques concertées – Restriction de concurrence “par objet” ou “par effet” – Système de paiement par carte en Hongrie – Accord sur les commissions d’interchange – Participation »






I. Introduction

1. Depuis les origines du droit de la concurrence de l’Union, la dichotomie entre restriction de concurrence « par objet » et restriction de concurrence « par effet » a fait couler beaucoup d’encre (2). Il peut dès lors paraître surprenant qu’une telle distinction, qui procède de la formulation même de l’interdiction énoncée à (ce qui est désormais) l’article 101 TFUE, nécessite encore une interprétation de la part de la Cour.

2. Cette distinction est relativement facile en théorie. Sa mise en œuvre en pratique s’avère néanmoins quelque peu plus complexe. Il convient en outre de reconnaître que la jurisprudence des juridictions de l’Union en la matière n’a pas toujours été d’une limpidité exemplaire. En effet, un certain nombre de décisions rendues par les juridictions de l’Union ont été critiquées par la doctrine pour avoir estompé la distinction entre ces deux notions (3).

3. Dans la présente affaire, la Kúria (Cour suprême, Hongrie) invite la Cour à clarifier une dichotomie qui se trouve au cœur même de l’article 101 TFUE, ce qui fournit l’occasion à la Cour de développer davantage encore sa jurisprudence la plus récente en la matière, notamment les arrêts CB/Commission (4)et Maxima Latvija (5).

II. Cadre juridique

A. Le droit hongrois

4. L’article 11(1) de la tisztességtelen piaci magatartás és a versenykorlátozás tilalmáról szóló 1996. évi LVII. törvény (Loi n° LVII de 1996 portant interdiction des pratiques commerciales déloyales ou restrictives de la concurrence, ci‑après la « loi sur les pratiques commerciales déloyales ») dispose :

« Tous accords entre entreprises, toutes pratiques concertées et toutes décisions (ci‑après, collectivement, des “accords”) d’associations d’entreprises, d’organismes de droit public, d’associations et d’autres entités similaires (ci‑après, collectivement, des “associations d’entreprises”) qui ont pour objet ou qui ont ou sont susceptibles d’avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Ne relèvent pas de cette définition les accords conclus entre des entreprises qui ne sont pas indépendantes les unes des autres ».

III. Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

5. Lorsque des transactions par carte de crédit telles que celles en cause dans le litige au principal sont effectuées, quatre acteurs principaux y participent habituellement : le détenteur de la carte, l’établissement financier qui a émis la carte de crédit (ci‑après la « banque émettrice »), le commerçant et l’établissement financier fournissant audit commerçant des services lui permettant d’accepter la carte en tant que moyen de régler l’opération de paiement concernée (ci‑après la « banque acquéreuse »).

6. Selon la juridiction de renvoi, au début des années 90, le système de paiement par carte de crédit en Hongrie se trouvait encore à un stade embryonnaire. Au milieu des années 90, les entreprises de cartes de crédit (ou leurs prédécesseurs en droit respectifs) Visa Europe Ltd. et MasterCard Europe SA (ci‑après respectivement « Visa » et « MasterCard » et, prises ensemble, les « entreprises de cartes de crédit »), ont, en vertu de leurs règlements internes, permis que les banques émettrices et les banques acquéreuses déterminent en commun le montant des commissions d’interchange (ci‑après également la « CI »). La CI est le montant payé par les banques acquéreuses aux banques émettrices lorsqu’une opération de paiement par carte de crédit est effectuée.

7. Entre 1991 et 1994, à l’époque où seules peu de banques participaient aux systèmes de paiement par carte de crédit en Hongrie, le montant des CI était fixé bilatéralement par les banques. Toutefois, en 1994, Visa a invité les banques participant à son système en Hongrie à créer un forum national dont l’une des missions devait être de mettre sur pied une politique locale des barèmes de CI. Au cours des années 1995 et 1996, les banques présentes dans le secteur des services de paiement par cartes de crédit ont institué une coopération multilatérale (ci‑après le « forum »), dans le cadre de laquelle ont été discutées des questions spécifiques touchant audit secteur et requérant une coopération.

8. Dans le cadre du forum, sept banques, dont la plupart avaient adhéré aux systèmes institués par les deux entreprises de cartes de crédit, ont conclu, le 24 avril 1996, un accord relatif au niveau minimal de la commission de service à acquitter par les commerçants (ci‑après également, respectivement, l’« accord CSC » et la « CSC »). La CSC est celle que la banque acquéreuse facture aux commerçants qui acceptent les paiements par carte de crédit. Néanmoins, l’accord CSC n’est finalement jamais entré en vigueur.

9. Le 28 août 1996, le même groupe de banques a conclu un accord, entré en vigueur le 1er octobre 1996, par lequel elles ont introduit une commission multilatérale d’interchange (ci‑après également la « CMI ») uniformisée applicable aux deux entreprises de cartes de crédit (ci‑après l’« accord CMI »). Les entreprises de cartes de crédit n’étaient pas présentes à la réunion au cours de laquelle l’accord CMI a été conclu, mais chacune d’elles a reçu une copie de l’accord qui leur a été communiquée par Kereskedelmi és Hitelbank Zrt., qui agissait en qualité d’interlocuteur. Puis, d’autres banques ont adhéré à l’accord CMI et se sont jointes au forum.

10. Le 31 janvier 2008, l’autorité hongroise de la concurrence défenderesse, à savoir le Gazdasági Versenyhivatal (ci‑après le « GVH »), a ouvert une enquête sur l’accord CMI. L’accord CMI est demeuré en vigueur jusqu’au 30 juillet 2008.

11. Dans une décision rendue le 24 septembre 2009 (ci‑après la « décision attaquée »), le GVH a constaté que, en mettant en place une CMI et en en concevant la structure uniforme, ainsi qu’en prévoyant un cadre pour l’accord CMI dans leurs règlements internes et en faisant la promotion, les 22 banques parties à l’accord CMI et les deux entreprises de cartes de crédit avaient conclu des accords anticoncurrentiels contraires à l’article 11, paragraphe 1 de la loi sur les pratiques déloyales et, après le 1er mai 2004, l’article 81, paragraphe 1, CE (devenu l’article 101, paragraphe 1, TFUE). Le GVH a infligé aux sept banques qui avaient initialement conclu l’accord CMI et aux deux entreprises de cartes de crédit des amendes de montants divers, d’un total de 1 922 000 000 forints hongrois (HUF).

12. Dans sa décision, le GVH a considéré que l’accord CMI constituait une restriction de concurrence selon son objet. Le GVH a également qualifié ledit accord de restriction de concurrence selon ses effets.

13. Les entreprises de cartes de crédit et six des banques condamnées à une amende (ci‑après les « requérantes au principal ») ont saisi le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (le tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale, Hongrie) d’un recours contre cette décision. Cette juridiction rejeté le recours.

14. Les requérantes au principal, à l’exception de MasterCard, ont interjeté appel contre ce jugement devant le Fővárosi Törvényszék (la cour de Budapest-Capitale, Hongrie), qui a partiellement annulé la décision attaquée et renvoyé l’affaire au GVH afin que celui‑ci mène une nouvelle procédure d’enquête. Cette juridiction a estimé que le comportement incriminé ne pouvait constituer à la fois une restriction par objet et une restriction par effet. Elle a en outre considéré que l’accord litigieux n’avait pas pour objet la restriction de la concurrence.

15. Le GVH s’est quant à lui pourvu en cassation devant la Kúria (Cour suprême, Hongrie). Cette juridiction, nourrissant des doutes quant à l’interprétation correcte de l’article 101 TFUE, a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 81, paragraphe 1, CE (devenu article 101, paragraphe 1, TFUE) peut-il être interprété en ce sens qu’un même comportement est susceptible d’être qualifié d’infraction à cette disposition par son objet anticoncurrentiel et par ses effets anticoncurrentiels simultanément, quoique sur des fondements différents ?

2) L’article 81, paragraphe 1, CE (devenu article 101, paragraphe 1, TFUE) peut-il être interprété en ce sens que l’accord conclu entre des banques membres hongroises, en cause au principal, constitue une restriction de la concurrence par son objet dans la mesure où il fixe à un montant uniforme pour les deux entreprises de cartes de crédit Visa et MasterCard la commission d’interchange revenant aux banques émettrices en contrepartie de l’utilisation des cartes desdites entreprises ?

3) L’article 81, paragraphe 1, CE (devenu article 101, paragraphe 1, TFUE) peut-il être interprété en ce sens que sont également considérées comme parties à l’accord interbancaire les entreprises de cartes de crédit, lesquelles n’ont pas participé directement à la détermination du contenu de l’accord mais ont permis la conclusion de cet accord, et l’ont également accepté et appliqué, ou faut-il conclure à l’existence d’une pratique concertée entre elles et les banques ayant conclu l’accord ?

4) L’article 81, paragraphe 1, CE (devenu article 101, paragraphe 1, TFUE) peut-il être interprété en ce sens que, pour constater une infraction au droit de la...

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