Opinion of Advocate General Campos Sánchez-Bordona delivered on 12 November 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:925
Date12 November 2020
Celex Number62020CC0354
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 12 novembre 2020 (1)

Affaires jointes C354/20 PPU et C412/20 PPU

L. et P.,

en présence de :

Openbaar Ministerie

[demandes de décision préjudicielle formée par le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays‑Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Remise du détenu à l’autorité judiciaire d’émission – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial – Défaillances systémiques ou généralisées affectant l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission »






1. La Cour s’est déjà prononcée sur les conditions dans lesquelles l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen (ci‑après « MAE »), examiné conformément à la décision-cadre 2002/584/JAI (2), peut suspendre la remise de la personne recherchée s’il est établi que cette dernière court un risque réel de voir ses droits fondamentaux violés.

2. En formation de grande chambre, la Cour a jugé que, parmi les violations desdits droits qui sont susceptibles de justifier la non‑remise de la personne recherchée, figure celle du droit à un procès équitable (article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci‑après la « Charte »). Il peut en aller ainsi lorsque les défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance des juridictions de l’État d’émission du MAE remettent en cause ce droit fondamental (3).

3. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a, dans son arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), adopté la même méthode que celle qu’elle avait préalablement utilisée en présence de défaillances systémiques ou généralisées affectant non pas l’indépendance des juridictions, mais la situation des prisons, potentiellement attentatoire à la dignité de la personne dont la remise a été décidée dans le cadre d’un MAE (4).

4. Suivant cette méthode, l’autorité judiciaire d’exécution d’un MAE doit vérifier, de manière concrète et précise, si, outre les défaillances systémiques et généralisées affectant l’indépendance des juridictions de l’État d’émission, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne recherchée courra le risque de subir, en cas de remise, une violation du droit que lui confère l’article 47 de la Charte.

5. Le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays‑Bas) demande si, face à une aggravation des défaillances généralisées dans l’administration de la justice polonaise, postérieure à l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), il peut refuser la remise demandée par une juridiction de ce pays, sans qu’il soit nécessaire d’examiner en détail les circonstances concrètes du MAE.

6. Pour les raisons exposées ci‑après, je proposerai à la Cour de confirmer la jurisprudence établie dans l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire). Je partage donc la position défendue en l’espèce par le ministère public, les gouvernements belge et irlandais et la Commission (5).

I. Cadre réglementaire

A. Droit de l’Union

1. Le traité sur lUnion européenne

7. L’article 7 est libellé comme suit :

« 1. Sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’État membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure.

Le Conseil vérifie régulièrement si les motifs qui ont conduit à une telle constatation restent valables.

2. Le Conseil européen, statuant à l’unanimité sur proposition d’un tiers des États membres ou de la Commission européenne et après approbation du Parlement européen, peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2, après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière.

3. Lorsque la constatation visée au paragraphe 2 a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil. Ce faisant, le Conseil tient compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales.

Les obligations qui incombent à l’État membre en question au titre des traités restent en tout état de cause contraignantes pour cet État.

[...] »

2. La charte des droits fondamentaux de lUnion européenne

8. L’article 47 (« Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial ») énonce :

« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.

[...] »

3. La décision-cadre 2002/584

9. Le considérant 10 énonce :

« Le mécanisme du mandat d’arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres. La mise en œuvre de celui‑ci ne peut être suspendue qu’en cas de violation grave et persistante par un des États membres des principes énoncés à l’article 6, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, constatée par le Conseil en application de l’article 7, paragraphe 1, dudit traité avec les conséquences prévues au paragraphe 2 du même article. »

10. L’article 1er, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », prévoit :

« 1. Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2. Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3. La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. »

11. L’article 6 (« Détermination des autorités judiciaires compétentes ») indique :

« 1. L’autorité judiciaire d’émission est l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission qui est compétente pour délivrer un mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État.

2. L’autorité judiciaire d’exécution est l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution qui est compétente pour exécuter le mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État.

3. Chaque État membre informe le secrétariat général du Conseil de l’autorité judiciaire compétente selon son droit interne. »

12. Les articles 3, 4 et 4 bis énumèrent les motifs de non‑exécution obligatoire et facultative du MAE.

13. L’article 15 (« Décision sur la remise ») prévoit :

« 1. L’autorité judiciaire d’exécution décide, dans les délais et aux conditions définis dans la présente décision-cadre, la remise de la personne.

2. Si l’autorité judiciaire d’exécution estime que les informations communiquées par l’État membre d’émission sont insuffisantes pour lui permettre de décider la remise, elle demande la fourniture d’urgence des informations complémentaires nécessaires, en particulier en relation avec les articles 3 à 5 et 8, et peut fixer une date limite pour leur réception, en tenant compte de la nécessité de respecter les délais fixés à l’article 17.

3. L’autorité judiciaire d’émission peut, à tout moment, transmettre toutes les informations additionnelles utiles à l’autorité judiciaire d’exécution. »

B. Le droit néerlandais

14. La décision-cadre a été transposée en droit néerlandais par la Wet tot implementatie van het kaderbesluit van de Raad van de Europese Unie betreffende het Europees aanhoudingsbevel en procedures van overlevering tussen de lidstaten van de Europese Unie (6), du 29 avril 2004 (7), telle que modifiée par la loi du 22 février 2017 (8).

II. Les litiges et les questions préjudicielles

A. L’affaire C354/20 PPU

15. Le 7 février 2020, l’officier van justitie (ministère public, Pays‑Bas) a saisi la juridiction de renvoi d’une demande d’exécution d’un MAE émis, le 31 août 2015, par le Sąd Rejonowy w Poznaniu (tribunal d’arrondissement de Poznań, Pologne) en vue de la détention et de la remise d’un ressortissant polonais sans domicile ni résidence aux Pays‑Bas, aux fins de l’exercice de poursuites pénales pour trafic de stupéfiants et possession d’un faux document d’identité.

16. Le 24 mars 2020, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) a suspendu l’instruction de la procédure afin que la personne recherchée et le ministère public soient entendus, à la lumière de l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), au sujet des évolutions récentes en Pologne en ce qui concerne l’État de droit, ainsi que sur leurs conséquences éventuelles pour la remise de ladite personne.

17. Le 12 juin 2020, une fois présentées leurs observations, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) a demandé au ministère public d’adresser certaines questions à la juridiction d’émission...

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