UPC Telekabel Wien GmbH v Constantin Film Verleih GmbH and Wega Filmproduktionsgesellschaft mbH.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2013:781
Docket NumberC-314/12
Celex Number62012CC0314
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date26 November 2013
62012CC0314

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 26 novembre 2013 ( 1 )

Affaire C‑314/12

UPC Telekabel Wien GmbH

contre

Constantin Film Verleih GmbH,

Wega Filmproduktionsgesellschaft GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Autriche)]

«Société de l’information — Droits de propriété intellectuelle — Directive 2001/29/CE — Article 8, paragraphe 3 — Article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Mesures à l’encontre d’un site Internet violant massivement le droit d’auteur — Ordonnance contre un fournisseur d’accès à Internet en tant qu’intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur — Décision ordonnant le blocage d’un site Internet violant le droit d’auteur»

1.

La présente affaire est l’occasion, pour la Cour, de faire évoluer sa jurisprudence en matière de protection du droit d’auteur sur Internet ( 2 ). Au-delà du contenu et de la procédure d’adoption d’une ordonnance sur requête au titre de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE ( 3 ), il s’agit ici de savoir s’il est seulement possible d’adopter une ordonnance à l’encontre d’un fournisseur d’accès à Internet (ci-après un «fournisseur d’accès»), qui n’est pas le gérant d’un site Internet violant massivement le droit d’auteur, mais qui fournit simplement l’accès à ce site à des utilisateurs qui se servent de ce site.

I – Cadre juridique

A – Droit de l’Union

2.

Le considérant 59 de la directive 2001/29 prévoit:

«Les services d’intermédiaires peuvent, en particulier dans un environnement numérique, être de plus en plus utilisés par des tiers pour porter atteinte à des droits. Dans de nombreux cas, ces intermédiaires sont les mieux à même de mettre fin à ces atteintes. Par conséquent, sans préjudice de toute autre sanction ou voie de recours dont ils peuvent se prévaloir, les titulaires de droits doivent avoir la possibilité de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre d’un intermédiaire qui transmet dans un réseau une contrefaçon commise par un tiers d’une œuvre protégée ou d’un autre objet protégé. Cette possibilité doit être prévue même lorsque les actions de l’intermédiaire font l’objet d’une exception au titre de l’article 5. Les conditions et modalités concernant une telle ordonnance sur requête devraient relever du droit interne des États membres.»

3.

L’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 dispose:

«Les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin.»

4.

L’article 15 de la directive 2000/31/CE ( 4 ) dispose, sous le titre «Absence d’obligation générale en matière de surveillance»:

«1. Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

2. Les États membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société de l’information, l’obligation d’informer promptement les autorités publiques compétentes d’activités illicites alléguées qu’exerceraient les destinataires de leurs services ou d’informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d’identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement.»

5.

L’article 3 de la directive 2004/48/CE ( 5 ) dispose:

«1. Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.

2. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif.»

B – Droit autrichien

6.

La loi fédérale autrichienne sur les droit de propriété littéraire et artistique [loi sur les droits d’auteur (Urheberrechtsgesetz) ci-après l’«UrhG»] ( 6 ) prévoit, à son article 81:

«1. Toute personne dont un droit exclusif conféré par la présente loi a été violé ou qui redoute une telle violation peut engager une action en abstention. Le propriétaire d’une entreprise peut aussi être poursuivi en justice si la violation a été commise au cours de l’activité de son entreprise par un de ses employés ou par un mandataire ou si elle menace de l’être; l’article 81, paragraphe 1a, s’applique mutatis mutandis.

1a. Si l’auteur d’une telle atteinte ou la personne dont une telle atteinte est à craindre utilise à cette fin les services d’un intermédiaire, une action en abstention peut également être introduite contre ce dernier au titre du paragraphe 1. Si les conditions exclusives de responsabilité, prévues aux articles 13 à 17 de l’[E‑Commerce-Gesetz], sont remplies à l’égard de cet intermédiaire, une action en justice ne peut être introduite à son encontre qu’après une mise en demeure. [...]»

7.

L’article 13 de la loi sur le commerce électronique [E-Commerce-Gesetz, ci-après l’«ECG»] ( 7 ) régit l’exclusion de la responsabilité des prestataires de services agissant comme des intermédiaires. En vertu de cette disposition:

«Un prestataire de services qui transmet, sur un réseau de communication, des informations fournies par le destinataire du service ou qui fournit un accès au réseau de communication n’est pas responsable des informations transmises, à condition qu’il

1)

ne soit pas à l’origine de la transmission,

2)

ne sélectionne pas le destinataire de la transmission et

3)

ne sélectionne ni ne modifie les informations faisant l’objet de la transmission.»

8.

L’article 355, paragraphe 1, du code relatif aux procédures d’exécution ( 8 ) dispose:

«La procédure d’exécution forcée à l’encontre de la personne tenue de cesser d’agir ou de tolérer un agissement prévoit que, pour chaque violation perpétrée après que l’obligation a acquis force exécutoire, le tribunal saisi de l’exécution, en accordant cette dernière, inflige, sur demande, une sanction pécuniaire. Pour chaque violation ultérieure, le tribunal saisi de l’exécution doit infliger, sur demande, une sanction pécuniaire supplémentaire ou une peine d’emprisonnement d’une durée totale d’un an maximum. [...]»

II – Les faits et la procédure au principal

9.

Le site Internet exploité sous le nom de domaine kino.to permettait aux utilisateurs de demander, en grande quantité, des films protégés par les droits d’auteur. Les films en question pouvaient être soit regardés en streaming, soit téléchargés. Cela impliquait, dans le premier cas, une reproduction transitoire sur l’appareil terminal, dans le second, une reproduction permanente, en général pour un usage privé.

10.

Parmi les films auxquels le site Internet en question donnait publiquement accès se trouvaient des œuvres dont les droits étaient détenus par les demanderesses au principal, à savoir Constantin Film Verleih GmbH et Wega Filmproduktionsgesellschaft GmbH (ci-après, ensemble, les «demanderesses»). Les demanderesses n’avaient pas donné leur autorisation à cet effet.

11.

UPC Telekabel GmbH (ci-après la «défenderesse») est un grand fournisseur d’accès autrichien. Elle n’a aucun lien juridique avec les exploitants du site Internet kino.to et ne leur a fourni ni un accès à Internet ni de la mémoire de stockage. D’après les constatations de la juridiction de renvoi, toutefois, on peut supposer avec une quasi-certitude que certains clients de la défenderesse ont exploité l’offre de kino.to.

12.

Les demanderesses ont demandé extrajudiciairement à la défenderesse de bloquer le site Internet kino.to. La défenderesse n’ayant pas donné suite à cette demande, les demanderesses ont saisi le Handelsgericht Wien d’une demande en référé en vue d’interdire à la défenderesse de permettre à ses clients d’accéder au site Internet kino.to, dès lors que certains films des requérantes étaient mis à la disposition desdits clients, intégralement ou par extraits, sur ce site Internet. La demande à titre principal a été spécifiée, moyennant des demandes désignées comme «subsidiaires» et ne restreignant pas la demande à titre principal, en indiquant différentes mesures de blocage [blocage par DNS («Domain Name System») du domaine, blocage de l’adresse IP («Internet Protocol») actuelle du site Internet, le cas échéant après sa communication par les requérantes].

13.

Les demanderesses fondent leur demande sur l’article 81, paragraphe 1a de l’UrhG, et la motivent en faisant valoir que la défenderesse fait fonction d’intermédiaire dans la mise à disposition illégale de contenus. La fourniture d’un tel accès serait à interdire. Des mesures concrètes ne seraient à examiner que dans le cadre de la procédure d’exécution forcée. La défenderesse fait valoir, au contraire, qu’elle n’entretient aucune relation avec les exploitants de kino.to, et qu’elle ne fournit l’accès à Internet qu’à ses propres clients, ceux-ci n’ayant pas agi de manière illégale. En outre, le blocage général de...

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