Coty Germany GmbH v Stadtsparkasse Magdeburg.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2015:243
Date16 April 2015
Celex Number62013CC0580
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-580/13
62013CC0580

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 16 avril 2015 ( 1 )

Affaire C‑580/13

Coty Germany GmbH

contre

Stadtsparkasse Magdeburg

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Propriété intellectuelle et industrielle — Vente des marchandises contrefaites — Directive 2004/48/CE — Article 8, paragraphes 1 et 3, sous e) — Droit à l’information dans le cadre d’une action relative à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle — Réglementation d’un État membre autorisant les banques à refuser une demande d’information relative au titulaire d’un compte bancaire (secret bancaire) — Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Articles 8, 17, paragraphe 2, 47 et 52, paragraphe 1 — Proportionnalité de la limitation d’un droit fondamental»

1.

La question préjudicielle formulée par le Bundesgerichsthof (Allemagne) donne à la Cour de justice l’occasion d’approfondir sa jurisprudence concernant l’article 8 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle ( 2 ), dans un domaine inexploré jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à présent, la Cour a essentiellement abordé des conflits entre, d’une part, des titulaires de droits de propriété intellectuelle et, d’autre part, des usagers d’Internet qui téléchargent ou partagent des contenus protégés par les droits d’auteur, les premiers entendant obtenir des données relatives à ces usagers auprès des fournisseurs d’Internet afin d’agir contre ceux-ci après leur identification ( 3 ). Néanmoins, la présente affaire concerne une banque qui, excipant du secret bancaire, refuse de fournir les données nécessaires pour poursuivre par voie civile la personne qui, en utilisant les possibilités techniques offertes par Internet, fait du commerce avec des marchandises contrefaites.

2.

La question qui se pose en définitive dans la présente affaire est celle de savoir si un tiers qui n’a pas participé à une prétendue violation du droit de propriété industrielle, mais qui «a été [trouvé] en train de fournir, à l’échelle commerciale, des services utilisés dans des activités contrefaisantes» [article 8, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004/48] – en l’espèce, une banque – peut, sur le fondement de ladite directive et en invoquant le secret bancaire, refuser de communiquer l’information (concrètement, le nom et l’adresse du titulaire d’un compte bancaire) qui lui est réclamée par le titulaire du droit de propriété intellectuelle ou la personne habilitée à défendre ce droit ( 4 ).

I – Cadre juridique

A – Le droit de l’Union

3.

L’objectif de la directive 2004/48 est, selon son considérant 10, de rapprocher le droit des États membres en matière de protection des droits de propriété intellectuelle afin de garantir un niveau de protection élevé, équivalent ou homogène de ces droits dans le marché intérieur. Le considérant 8 indique que «[l]es disparités existant entre les régimes des États membres en ce qui concerne les moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle sont nuisibles au bon fonctionnement du marché intérieur et ne permettent pas de faire en sorte que les droits de propriété intellectuelle bénéficient d’un niveau de protection équivalent sur tout le territoire de la Communauté. Cette situation n’est pas de nature à favoriser la libre circulation au sein du marché intérieur ni à créer un environnement favorable à une saine concurrence», alors que le considérant 9 de cette directive rappelle que «[…] le développement de l’usage de l’Internet permet une distribution instantanée de produits piratés dans le monde entier […]».

4.

Conformément à l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2004/48, «[l]a présente directive n’affecte pas: a) […] la directive 95/46/CE, [du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO L 281, p. 31)]», ce point étant également évoqué dans le considérant 15 de la directive.

5.

L’article 3 de la directive 2004/48 dispose que:

«1. Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.

2. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif.»

6.

L’article 8 de la directive 2004/48, intitulé «Droit d’information», prévoit que:

«1. Les États membres veillent à ce que, dans le cadre d’une action relative à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle et en réponse à une demande justifiée et proportionnée du requérant, les autorités judiciaires compétentes puissent ordonner que des informations sur l’origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle soient fournies par le contrevenant et/ou toute autre personne qui:

[…]

c)

a été trouvée en train de fournir, à l’échelle commerciale, des services utilisés dans des activités contrefaisantes,

[…]

2. Les informations visées au paragraphe 1 comprennent, selon les cas:

a)

les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des marchandises ou des services, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants;

[…]

3. Les paragraphes 1 et 2 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions législatives et réglementaires qui:

[…]

e)

régissent la protection de la confidentialité des sources d’information ou le traitement des données à caractère personnel.»

B – Le droit allemand

7.

L’article 19 de la loi allemande sur les marques, du 25 octobre 1994, comportant des modifications postérieures (Markengesetz, ci‑après la «loi sur les marques»), porte le titre de «Droit d’information» et transpose en droit allemand des marques le droit prévu à l’article 8 de la directive 2004/48. L’article 19, paragraphe 2, dispose que:

«En cas d’infraction manifeste ou dans les cas où le titulaire d’une marque ou d’une désignation commerciale a formé un recours contre le contrevenant, ce droit existe également, sans préjudice du paragraphe 1, vis-à-vis d’une personne qui, à l’échelle commerciale,

1)

était en possession de marchandises contrefaisantes,

2)

a eu recours à des services contrefaisants,

3)

a fourni des services utilisés dans des activités contrefaisantes ou

4)

a été signalée, par la personne visée au point 1), 2) ou 3), comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution des marchandises ou la fourniture des services,

à moins que cette personne ne soit autorisée, en vertu des articles 383 à 385 du code de procédure civile, à refuser de témoigner dans le procès engagé contre le contrevenant […]»

8.

L’article 383, paragraphe 1, numéro 6, de la loi allemande de procédure civile (Zivilprozessordnung, dans la version du 5 décembre 2005, avec les modifications postérieures, ci-après la «ZPO») reconnaît aux personnes à qui, en raison de leur charge, profession ou office, des faits ont été confiés qui, en raison de leur nature ou en vertu d’une disposition législative, doivent être gardés secrets, le droit de refuser de témoigner en ce qui concerne les faits auxquels l’obligation de secret s’applique.

II – Litige au principal et questions préjudicielles

9.

La demande de décision préjudicielle a été formulée dans le cadre d’un litige entre la société allemande Coty Germany GmbH (ci‑après «Coty Germany»), détentrice d’une licence exclusive de la marque communautaire «Davidoff Hot Water», et la Stadtsparkasse Magdeburg (ci-après la «Sparkasse»).

10.

En janvier 2011, Coty Germany a acheté, par l’intermédiaire d’une plateforme de ventes aux enchères en ligne, une bouteille de parfum de la marque «Davidoff Hot Water». Elle a versé le prix du produit sur le compte bancaire de la Sparkasse communiqué par le vendeur. Après avoir constaté qu’elle avait acheté un produit contrefait, Coty Germany a demandé à la plateforme de ventes aux enchères de lui fournir le nom réel du titulaire du compte usager à partir duquel ce parfum avait été vendu (la vente avait été effectuée sous un pseudonyme). La personne désignée a admis être le titulaire du compte usager sur la plateforme de ventes aux enchères, mais elle a nié être le vendeur du produit et, en se prévalant de son droit de ne pas s’exprimer, a refusé de fournir davantage d’information. Coty Germany s’est ensuite adressée à la Sparkasse au titre de l’article 19, paragraphe 2, de la loi sur les marques, pour lui demander le nom et l’adresse du titulaire du compte bancaire sur lequel elle avait dû verser le montant de la marchandise contrefaite achetée. La Sparkasse, invoquant le secret bancaire, a refusé de lui fournir cette information. Coty Germany a ensuite introduit une action auprès du Landgericht Magdeburg (tribunal de première instance), lequel a obligé la Sparkasse à communiquer les informations demandées. La Sparkasse a fait appel de cette décision devant l’Oberlandesgericht Naumburg, en invoquant l’article 383, paragraphe 1, numéro 6, de la ZPO (auquel renvoie...

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