Willy Kempter KG v Hauptzollamt Hamburg-Jonas.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2007:245
Date24 April 2007
Celex Number62006CC0002
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-2/06

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES Bot

présentées le 24 avril 2007 (1)

Affaire C‑2/06

Willy Kempter KG

contre

Hauptzollamt Hamburg-Jonas

[demande de décision préjudicielle formée par le Finanzgericht Hamburg (Allemagne)]

«Article 10 CE – Interprétation de l’arrêt Kühne & Heitz – Décision administrative ayant acquis un caractère définitif et étant contraire au droit communautaire tel qu’interprété postérieurement par la Cour – Réexamen et retrait – Conditions – Principe de sécurité juridique – Principe de l’autonomie procédurale des États membres – Délai raisonnable»





I – Introduction

1. Le présent renvoi préjudiciel s’inscrit dans le prolongement de celui qui a donné lieu à l’arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (2). Le Finanzgericht Hamburg (Allemagne) demande ainsi à la Cour de préciser le contenu et la portée de cet arrêt.

2. Il cherche d’abord à savoir si le réexamen et la rectification d’une décision administrative définitive, destinés à tenir compte de l’interprétation d’une disposition du droit communautaire retenue entre‑temps par la Cour, supposent que le requérant ait invoqué le droit communautaire dans le cadre de son recours devant le juge national.

3. La juridiction de renvoi demande ensuite à la Cour de dire pour droit si la possibilité de demander le réexamen et la rectification d’une décision administrative définitive contraire au droit communautaire est assortie d’une limite dans le temps.

4. Après avoir procédé à un état des lieux de la jurisprudence actuelle de la Cour relative à la problématique du réexamen des décisions administratives et juridictionnelles qui ont acquis un caractère définitif et qui se révèlent être en contradiction avec le droit communautaire tel qu’interprété postérieurement par la Cour, nous examinerons ces deux questions successivement.

5. En premier lieu, nous proposerons à la Cour de répondre à la juridiction de renvoi que, pour être remplie, la condition dégagée dans l’arrêt Kühne & Heitz, précité, selon laquelle la décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort est, au vu d’une jurisprudence de la Cour postérieure à celle‑ci, fondée sur une interprétation erronée du droit communautaire adoptée sans que la Cour ait été saisie à titre préjudiciel dans les conditions prévues à l’article 234, troisième alinéa, CE, ne suppose pas que le requérant au principal ait invoqué le droit communautaire dans le cadre du recours juridictionnel de droit interne qu’il a formé à l’encontre de la décision administrative contestée.

6. En second lieu, nous suggérerons à la Cour de dire pour droit que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que la possibilité de demander le réexamen et le retrait d’une décision administrative qui a acquis un caractère définitif après l’épuisement des voies de recours internes et qui se révèle être contraire au droit communautaire tel qu’interprété postérieurement par la Cour, sans que la juridiction nationale ayant statué en dernier ressort ait saisi la Cour d’un renvoi préjudiciel, soit, en application du principe de sécurité juridique, assortie d’une limite dans le temps. Il appartient aux États membres de fixer, en conformité avec les principes communautaires d’équivalence et d’effectivité, le délai à l’intérieur duquel une telle demande doit être présentée.

II – Le cadre juridique

A – Le droit communautaire

1. L’article 10 CE

7. Aux termes de l’article 10 CE:

«Les États membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l’accomplissement de sa mission.

Ils s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité.»

8. Dans son arrêt Kühne & Heitz, précité, que nous analyserons plus en détail dans nos développements ultérieurs, la Cour a dit pour droit que «le principe de coopération découlant de l’article 10 CE impose à un organe administratif, saisi d’une demande en ce sens, de réexaminer une décision administrative définitive afin de tenir compte de l’interprétation de la disposition pertinente retenue entre-temps par la Cour lorsque:

– il dispose, selon le droit national, du pouvoir de revenir sur cette décision;

– la décision en cause est devenue définitive en conséquence d’un arrêt d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort;

– ledit arrêt est, au vu d’une jurisprudence de la Cour postérieure à celui-ci, fondé sur une interprétation erronée du droit communautaire adoptée sans que la Cour ait été saisie à titre préjudiciel dans les conditions prévues à l’article 234, troisième alinéa, CE, et

– l’intéressé s’est adressé à l’organe administratif immédiatement après avoir pris connaissance de ladite jurisprudence».

2. Les dispositions pertinentes du règlement (CEE) n° 3665/87

9. L’article 4, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d’application du régime des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles (3), est ainsi rédigé:

«Sans préjudice des dispositions des articles 5 et 16, le paiement de la restitution est subordonné à la production de la preuve que les produits pour lesquels la déclaration d’exportation a été acceptée ont, au plus tard dans un délai de soixante jours à compter de cette acceptation, quitté en l’état le territoire douanier de la Communauté.»

10. L’article 5, paragraphe 1, de ce règlement dispose:

«Le paiement de la restitution différenciée ou non différenciée est subordonné, en sus de la condition que le produit ait quitté le territoire douanier de la Communauté, à la condition que le produit ait été, sauf s’il a péri en cours de transport par suite d’un cas de force majeure, importé dans un pays tiers et, le cas échéant, dans un pays tiers déterminé dans les douze mois suivant la date d’acceptation de la déclaration d’exportation:

a) lorsque des doutes sérieux existent quant à la destination réelle du produit

[…]»

11. Ce dernier article a un contenu analogue à celui de son prédécesseur, à savoir l’article 10, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2730/79 de la Commission, du 29 novembre 1979, portant modalités communes d’application du régime des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles (4), que la Cour a été amenée à interpréter.

12. Ainsi, dans son arrêt du 14 décembre 2000, Emsland‑Stärke (5), la Cour a considéré que les conditions visées à l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 2730/79 ne peuvent être imposées que préalablement à l’octroi de la restitution à l’exportation. Selon la Cour, cela relève à suffisance du libellé de cette disposition, en vertu duquel le paiement est «subordonné […] à la condition que le produit ait été […] importé dans un pays tiers», ainsi que du neuvième considérant de ce règlement, formulé dans les même termes (6).

B – Le droit national

13. En droit allemand, l’article 48, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur la procédure administrative (Verwaltungsverfahrensgesetz, ci‑après le «VwVfG»), du 25 mai 1976 (7), prévoit que même lorsqu’il ne peut plus être attaqué, un acte administratif illégal peut être retiré en tout ou en partie, avec effet pour l’avenir ou avec effet rétroactif.

14. Selon la jurisprudence allemande, l’autorité administrative dispose d’un pouvoir en principe discrétionnaire de retirer un acte administratif illégal devenu définitif. En vertu de cette jurisprudence, l’article 48, paragraphe 1, première phrase, du VwVfG ne donne un droit au retrait d’un tel acte que dans le cas exceptionnel où son maintien serait «tout simplement insupportable» au regard des notions d’ordre public, de bonne foi, d’équité, d’égalité de traitement ou d’illégalité manifeste.

15. En outre, l’article 51 du VwVfG concerne la réouverture de procédures closes par un acte administratif devenu inattaquable. L’article 51, paragraphe 1, du VwVfG prévoit que l’autorité concernée doit, sur demande de l’intéressé, statuer sur l’annulation ou la modification d’un acte administratif définitif:

– si la situation de fait ou de droit sur laquelle repose l’acte s’est modifiée, après son adoption, en faveur de l’intéressé;

– s’il existe de nouveaux éléments de preuve qui auraient entraîné une décision plus favorable à l’intéressé;

– s’il existe des motifs de réouverture conformément à l’article 580 du code de procédure civile (Zivilprozessordnung).

III – Les faits et la procédure du litige au principal

16. Au cours des années 1990 à 1992, Willy Kempter KG (ci‑après «Kempter» ou «la demanderesse») a exporté des bovins vers divers pays arabes et l’ex‑Yougoslavie. À ce titre, elle a demandé et a perçu des restitutions à l’exportation de la part du Hauptzollamt Hamburg‑Jonas (ci‑après le «Hauptzollamt»).

17. À l’occasion d’une enquête, la Betriebsprüfungsstelle Zoll (service de contrôle des douanes) de l’Oberfinanzdirektion (direction régionale des finances) de Fribourg a constaté que certains animaux étaient morts ou avaient été abattus d’urgence lors du transport ou lors de la quarantaine dans les pays de destination.

18. Par décision du 10 août 1995, le Hauptzollamt a dès lors exigé de Kempter le remboursement des restitutions à l’exportation qui lui avaient été versées, pour un montant s’élevant à 360 022,62 DEM.

19. Par jugement du 16 juin 1999, le Finanzgericht Hamburg a rejeté le recours formé contre cette décision par la demanderesse, au motif que celle‑ci n’avait pas apporté la preuve que les animaux avaient été importés dans un pays tiers, conformément aux prévisions de l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 3665/87.

20. L’appel interjeté contre ce jugement par Kempter a été rejeté par ordonnance du Bundesfinanzhof du 11 mai 2000.

21. Le 14 décembre 2000, la Cour a rendu son arrêt Emsland‑Stärke, précité, dans lequel, rappelons‑le, elle a notamment...

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