Transportes Urbanos y Servicios Generales SAL v Administración del Estado.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2009:437
Docket NumberC-118/08
Celex Number62008CC0118
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date09 July 2009

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 9 juillet 2009 (1)

Affaire C‑118/08

Transportes Urbanos y Servicios Generales SAL

contre

Administración del Estado

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Supremo (Espagne)]

«Responsabilité d’un État membre – Violation du droit Communautaire – Principes d’équivalence et d’effectivité»





1. Le renvoi à l’autonomie procédurale des États membres pour assurer la protection des droits conférés par le droit communautaire est traditionnellement tempéré par l’obligation pour les droits nationaux de respecter les principes communautaires d’équivalence et d’effectivité. Le principe d’effectivité requiert que les modalités procédurales nationales assurent une protection effective des droits conférés par le droit communautaire. Le principe d’équivalence, lui, exige que le droit national accorde à toute action fondée sur le droit communautaire un traitement procédural au moins aussi favorable que celui prévu pour une action similaire basée sur le droit interne. Afin de conclure à une obligation d’égalité de traitement procédural, il convient alors de déterminer si les deux actions sont comparables. Qu’une telle appréciation puisse poser difficulté, c’est ce qu’illustre la présente affaire.

I – Le litige au principal et la question préjudicielle

2. La question préjudicielle porte en substance sur le point de savoir si le fait de soumettre une action en responsabilité de l’État à des modalités procédurales différentes, selon qu’elle a pour fondement la violation législative d’une disposition constitutionnelle ou celle d’une norme communautaire, est conforme aux principes communautaires d’équivalence et d’effectivité.

3. Elle a été renvoyée par la chambre du contentieux administratif du Tribunal Supremo (Espagne) dans le cadre d’un litige opposant la société Transportes Urbanos y Servicios Generales SAL à l’Administración del Estado, cette dernière ayant rejeté l’action en responsabilité contre l’État espagnol du fait de la violation législative du droit communautaire.

4. Le litige a pour origine une loi espagnole du 28 décembre 1992 telle que modifiée par une loi du 30 décembre 1997 qui limitait le droit d’un assujetti à déduire la taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la «TVA») afférente à l’achat de biens ou de services financés au moyen de subventions et lui imposait de déposer des déclarations périodiques, dans lesquelles il devait calculer les montants de TVA répercutés et supportés, tout en procédant au règlement du solde (autoliquidations). Il y a lieu néanmoins de préciser que l’assujetti a, en vertu de la législation espagnole (2), le droit de demander la rectification de ses autoliquidations et, le cas échéant, d’exiger le remboursement des versements indus à condition de le faire dans les quatre ans.

5. La limitation de la déductibilité de la TVA prévue par la loi du 28 décembre 1992 ayant été jugée incompatible avec les articles 17, paragraphe 2, et 19 de la sixième directive 77/388/CEE (3), la requérante au principal, qui avait effectué des autoliquidations pour les exercices 1999 et 2000 et dont le droit à rectification et à répétition de l’indu était prescrit au moment du prononcé de l’arrêt Commission/Espagne, précité, a introduit une demande tendant à l’indemnisation du préjudice subi, évalué à un montant de 1 228 366, 39 euros correspondant aux versements de TVA indûment perçus par l’État espagnol ainsi qu’aux remboursements auxquels elle aurait pu prétendre pour les mêmes exercices.

6. Le 12 janvier 2007, le Conseil des ministres a rejeté la demande, considérant que l’absence de contestation par la requérante de ses autoliquidations dans le délai quadriennal prescrit avait rompu le lien de causalité directe entre la violation reprochée du droit communautaire et le dommage prétendument subi. En d’autres termes, c’est l’absence d’une telle contestation qui serait la cause exclusive du dommage. Pour justifier sa décision, le Conseil des ministres s’est appuyé sur deux arrêts du Tribunal Supremo du 29 janvier 2004 et du 24 mai 2005, dont il ressort que les actions en responsabilité de l’État pour violation du droit communautaire sont soumises à une règle d’épuisement préalable des voies de recours, administratives et juridictionnelles, contre l’acte administratif faisant grief, adopté en application d’une loi nationale prétendument contraire au droit communautaire.

7. Le 6 juin 2007, la requérante a formé un recours devant le Tribunal Supremo contre la décision du Conseil des ministres de rejet de sa demande d’indemnisation. Dans son ordonnance de renvoi, le juge a quo s’interroge sur la conformité avec les principes communautaires d’équivalence et d’effectivité de cette condition d’épuisement préalable des voies de recours posée à l’action en responsabilité de l’État pour violation du droit communautaire. Il relève, en effet, que l’action en responsabilité de l’État du fait de l’inconstitutionnalité d’une loi n’est, elle, pas subordonnée à la condition que la personne lésée ait préalablement attaqué l’acte lui faisant grief fondé sur cette loi.

8. Aussi a‑t‑il renvoyé à la Cour, à titre préjudiciel, la question suivante:

«En appliquant, dans ses arrêts du 29 janvier 2004 et du 24 mai 2005, des solutions différentes aux actions en responsabilité patrimoniale de l’État législateur fondées sur des actes administratifs édictés en application d’une loi déclarée inconstitutionnelle et aux mêmes actions fondées sur des actes édictés en application d’une règle déclarée contraire au droit communautaire, le Tribunal Supremo méconnaît‑il les principes d’équivalence et d’effectivité?»

II – Appréciation juridique

9. Avant de fournir au juge de renvoi les éléments de réponse nécessaires aux fins d’appréciation de la compatibilité de la jurisprudence litigieuse du Tribunal Supremo avec les principes communautaires d’équivalence et d’effectivité, il convient de répondre aux objections du gouvernement espagnol relatives à la recevabilité de la présente question préjudicielle.

A – La recevabilité de la question préjudicielle

10. Selon le gouvernement espagnol, la question préjudicielle renvoyée par le juge a quo serait irrecevable, au motif que la Cour est habilitée, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, à se prononcer sur la compatibilité avec le droit communautaire uniquement de mesures administratives et législatives nationales et non d’une jurisprudence émanant d’une juridiction suprême telle que le Tribunal Supremo, dès lors qu’elle pourrait d’elle‑même changer sa jurisprudence pour la rendre conforme aux exigences communautaires et que, dès lors, la présente question préjudicielle ne serait pas nécessaire aux fins de résolution du litige au principal mais s’apparenterait davantage à une consultation juridique.

11. L’argumentation du gouvernement espagnol relatif à l’irrecevabilité du renvoi préjudiciel ne saurait à l’évidence prospérer.

12. D’une part, il convient d’emblée de rappeler que, si la Cour n’est pas compétente pour apprécier, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la compatibilité de dispositions nationales avec les règles communautaires, il lui appartient, après avoir au besoin reformulé la question qui lui a été renvoyée, de fournir au juge a quo tous les éléments d’interprétation du droit communautaire qui pourraient lui être utiles pour apprécier les effets des dispositions de celui‑ci (4). En l’espèce, l’interrogation du Tribunal Supremo invite la Cour à interpréter les principes communautaires d’équivalence et d’effectivité, afin de lui permettre d’évaluer le respect par sa jurisprudence du droit communautaire.

13. D’autre part, il n’y a à l’évidence aucune limite quant à la nature des règles nationales qui peuvent ainsi être indirectement mises en cause à l’occasion d’un renvoi préjudiciel en interprétation du droit communautaire. Contrairement à ce que soutient le gouvernement espagnol, celles‑ci peuvent fort bien être d’origine prétorienne. La Cour a, du reste, déjà été invitée à se prononcer à titre préjudiciel indirectement sur la conformité de jurisprudences nationales avec le droit communautaire (5). On ajoutera, in fine, que, en tout état de cause, la question portant sur une jurisprudence peut toujours être reformulée comme ayant trait aux dispositions nationales dont le juge interne est parti pour formuler ses règles jurisprudentielles. Dit autrement, la question renvoyée en l’espèce peut être comprise comme portant sur le point de savoir si l’interprétation par le Tribunal Supremo des règles nationales relatives aux actions en responsabilité de l’État est compatible avec les principes communautaires d’équivalence et d’effectivité.

14. Enfin, il appartient, en principe, au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour et, dès lors que les questions portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est tenue de statuer (6). Ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour pourrait refuser de statuer et déclarer la question préjudicielle irrecevable, notamment s’il apparaissait de manière manifeste que cette dernière ne répond pas à un besoin objectif pour la solution du litige au principal (7). Tel n’est pas le cas en l’occurrence. S’il est vrai que le Tribunal Supremo est libre de modifier de lui‑même sa jurisprudence pour, le cas échéant, la mettre en adéquation avec les exigences communautaires, il a jugé nécessaire d’interroger la Cour sur l’interprétation des principes d’équivalence et d’effectivité aux fins de pouvoir porter une appréciation sur sa propre jurisprudence. Or, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’on se trouve dans une des situations qui...

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