Conclusions
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. PHILIPPE LÉGER
présentées le 6 mars 2003(1)
Affaire C-294/01
Granarolo SpA
contre
Comune di Bologna
[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale civile di Bologna (Italie)]
«Agriculture – Règles sanitaires pour la production et la mise sur le marché du lait – Libre circulation des marchandises – Étiquetage et présentation des denrées alimentaires – Réglementation nationale imposant une date limite de conservation de quatre jours pour le lait pasteurisé à haute température»
1.
La présente demande de décision préjudicielle vise à l’interprétation de trois directives communautaires:
- –
- la directive 92/46/CEE du Conseil, du 16 juin 1992, arrêtant les règles sanitaires pour la production et la mise sur le marché
de lait cru, de lait traité thermiquement et de produits à base de lait
(2)
, telle que modifiée par la directive 94/71/CE du Conseil, du 13 décembre 1994
(3)
(ci-après la «directive 92/46»);
- –
- la directive 79/112/CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant
l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur
égard
(4)
, telle que modifiée par la directive 89/395/CEE du Conseil, du 14 juin 1989
(5)
(ci-après la «directive 79/112»), et
- –
- la directive 89/396/CEE du Conseil, du 14 juin 1989, relative aux mentions ou marques permettant d’identifier le lot auquel
appartient une denrée alimentaire
(6)
.
2.
Le Tribunale civile di Bologna (Italie) demande si l’ «application combinée» de ces trois directives s’oppose à ce que les
autorités italiennes imposent une date limite de conservation de quatre jours pour le lait pasteurisé à haute température.
I – Le cadre juridique
A –
Le cadre juridique communautaire
3.
La
directive 92/46 établit les règles sanitaires pour la production et la mise sur le marché de lait cru, de lait traité thermiquement
et de produits à base de lait. Adoptée sur la base de l’
article 43 du traité
CEE (devenu
article 43 du traité
CE, lui-même
devenu, après modification,
article 37 CE), elle vise à garantir le développement rationnel du secteur laitier
(7)
, à assurer la protection de la santé publique
(8)
et à contribuer à la réalisation du marché intérieur
(9)
.
4.
L’article 5 de ce texte prévoit que les États membres veillent à ce que le lait de consommation traité thermiquement ne soit
mis sur le marché que s’il répond à certaines exigences, énumérées notamment à l’annexe C de la
directive 92/46.
5.
Le chapitre I
er de l’annexe C a trait aux exigences de fabrication du lait traité thermiquement. Son point A, paragraphe 4, sous a), ii),
dispose:
« [l]e lait pasteurisé doit [...] présenter une réaction négative au test phosphatase et une réaction positive au test peroxydase.
La production de lait pasteurisé dont le test peroxydase est négatif est toutefois autorisée à condition que l’étiquetage
comporte une mention telle que ’pasteurisation haute‘ »
6.
Le chapitre III de cette annexe C contient les prescriptions relatives au conditionnement et à l’emballage du produit. En
vertu de son point 5, le conditionnement du lait traité thermiquement doit faire apparaître la nature du traitement thermique,
la date du dernier traitement thermique et, pour le lait pasteurisé, la température à laquelle le produit doit être entreposé.
7.
Le chapitre IV, B, de ladite annexe C pose certaines conditions en matière d’étiquetage. Il prévoit que, sans préjudice des
dispositions de la
directive 79/112, l’étiquetage doit faire apparaître clairement la date limite de consommation ou la date
de durabilité minimale pour les produits dans lesquels il peut se produire un développement microbien.
8.
La
directive 79/112 pose des règles relatives à l’étiquetage et à la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur
final. Adoptée sur la base de l’
article 100 du traité
CEE (devenu, après modification,
article 100 du traité
CE, lui-même
devenu
article 94 CE), elle vise à supprimer les entraves à la libre circulation des marchandises résultant de la disparité
des législations nationales dans ce domaine et à contribuer ainsi au fonctionnement du marché intérieur
(10)
.
9.
L’article 3, paragraphe 1, point 4, de ce texte prévoit que l’étiquetage des denrées alimentaires doit obligatoirement comprendre
la «date de durabilité minimale» ou, dans le cas de denrées alimentaires très périssables, la «date limite de consommation».
10.
En vertu des
articles 9 et 9 bis de la
directive 79/112, la date de durabilité minimale est la date jusqu’à laquelle une denrée
alimentaire conserve ses propriétés spécifiques dans des conditions de conservation appropriées. Elle doit être annoncée par
la mention «à consommer de préférence avant le ...» ou par la mention «à consommer de préférence avant fin ...».
11.
En revanche, la date limite de consommation d’une denrée alimentaire doit être annoncée par la mention «à consommer jusqu’au
...» et doit comporter le jour, le mois et, éventuellement, l’année. Ces renseignements doivent être suivis d’une description
des conditions de conservation à respecter.
12.
La
directive 89/396 édicte des règles relatives aux mentions ou aux marques permettant d’identifier le lot auquel appartient
une denrée alimentaire. Adoptée sur la base de l’
article 100 A du traité
CEE (devenu
article 100 A du traité
CE, lui-même
devenu, après modification,
article 95 CE), elle vise à assurer une meilleure information sur l’identité des produits, notamment,
pour les cas où lesdits produits présenteraient un danger pour la santé du consommateur
(11)
.
B –
Le cadre juridique national
13.
Jusqu’en 1997, la loi n° 169, du 3 mai 1989
(12)
, intitulée «Disciplina del trattamento e della commercializzazione del latte alimentare vaccino», constituait le texte de
base régissant le traitement et la commercialisation du lait alimentaire de vache en Italie.
14.
Cette loi définit les caractéristiques du «lait pasteurisé» et du «lait frais pasteurisé». En outre, son article 5, paragraphe
3, dispose que l’emballage doit comprendre la dénomination de la catégorie du lait, au sens de ces définitions, ainsi que
la date limite de conservation. La même disposition précise que la date limite de conservation ne peut dépasser les quatre
jours suivant la date d’emballage.
15.
En revanche, la loi n° 169/89 ne contient aucune disposition spécifique en ce qui concerne le lait pasteurisé à haute température.
Selon l’ordonnance de renvoi
(13)
, ce type de lait est obtenu grâce à un procédé spécial de pasteurisation (un procédé d’infusion à vapeur), qui permettrait
de lui garantir une durée de conservation de 15 à 20 jours après l’emballage. Sur le plan technique, le lait pasteurisé à
haute température est un lait qui présente une réaction négative au test peroxydase.
16.
En droit italien, le lait pasteurisé à haute température n’est visé que par le décret du président de la République n° 54,
du 14 janvier 1997
(14)
, qui assure la transposition des directives 92/46 et 92/47/CEE
(15)
.
17.
Conformément à l’annexe C, chapitre I
er , de la
directive 92/46, le décret n° 54/97 prévoit que le lait pasteurisé doit présenter une réaction positive au test peroxydase
et que la production de lait pasteurisé dont le test peroxydase est négatif est autorisée à condition que l’étiquetage comporte
une mention telle que «pasteurisation haute».
II – Les faits et la procédure
18.
La société Granarolo SpA
(16)
est établie à Bologne (Italie). Elle y commercialise, sous le nom «Più Giorno», un lait pasteurisé à haute température,
produit pour son compte en Allemagne.
19.
Par décision du 11 février 2000, la commune de Bologne a infligé à Granarolo une amende de 1 119,16 euros (2 167 000 ITL)
pour infraction à l’article 5, paragraphe 3, de la loi n° 169/89. Les autorités italiennes ont constaté que l’emballage du
lait «Più Giorno» comportait une date limite de conservation de huit jours, au lieu des quatre jours prescrits par ladite
loi.
20.
Granarolo a formé un recours contre cette décision devant le Tribunale civile di Bologna. Elle a soutenu que la décision litigieuse
était incompatible avec les directives 92/46, 79/112 et 89/396.
21.
Dans son ordonnance de renvoi, le Tribunale civile di Bologna explique que les autorités italiennes ont interprété le droit
en ce sens que le lait pasteurisé à haute température entrait dans la définition du «lait pasteurisé» prévue par la loi n° 169/89.
Les autorités italiennes ont donc logiquement appliqué le délai de conservation de quatre jours prescrit par ce texte au lait
pasteurisé à haute température importé par Granarolo.
22.
Le Tribunale civile di Bologna souhaite vérifier que l’interprétation des autorités italiennes est compatible avec le droit
communautaire.
III – La question préjudicielle
23.
En conséquence, il a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour une question préjudicielle visant à déterminer:«si
l’application combinée de la
directive 92/46 [...] (transposée en Italie par le décret [n° 54/97]) et des directives 89/395
et 89/396 [...] (transposées en Italie par le décret législatif n° 109 du 27 janvier 1992) peut être limitée par une disposition
nationale (en l’occurrence l’article 5, troisième alinéa, lu avec l’article 3 de la loi [n° 169/89]) qui imposerait (selon
l’interprétation retenue dans la présente affaire), pour le lait pasteurisé à haute température (catégorie prévue et réglementée
par la
directive 92/46 et par le décret [n° 54/97]) une date limite...