Denkavit Internationaal BV and Denkavit France SARL v Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:266
Date27 April 2006
Celex Number62005CC0170
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-170/05

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. L. A. Geelhoed

présentées le 27 avril 2006 (1)

Affaire C-170/05

Denkavit International BV,

Denkavit France SARL

contre

Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

«Législation fiscale – Imposition des dividendes distribués – Exonération des dividendes distribués – Possibilité d’imputation de l’impôt sur le montant de l’impôt dû dans un autre État membre»





I – Introduction

1. Dans la présente affaire, le Conseil d’État (France) demande s’il faut considérer comme contraire à l’article 43 CE un régime fiscal interne par lequel les sociétés mères établies sur le territoire national sont presque totalement exonérées d’impôt pour les dividendes qu’elles perçoivent, alors que les dividendes sortants versés à des sociétés mères non‑résidentes font l’objet d’une double imposition économique, qui n’est en fait pas allégée par l’application de la convention préventive de double imposition (ci‑après la «CDI») pertinente.

2. Comme la présente affaire concerne le traitement fiscal appliqué par un État membre aux dividendes sortants, elle soulève une nouvelle fois la question de la portée des obligations incombant à l’État de la source au titre de l’article 43 CE. C’est une question que nous avons examinée en détail dans nos conclusions dans l’affaire Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (2).

II – Cadre juridique

A – Le droit français à l’époque des faits

3. L’article 119 bis, paragraphe 2, du code général des impôts (ci‑après le «CGI») prévoyait que les produits visés aux articles 108 à 117 bis du CGI – qui incluent les revenus tirés de participations – donnent lieu à l’application d’une retenue à la source au taux fixé à l’article 187, paragraphe 1, du CGI lorsqu’ils bénéficient à des personnes ayant leur domicile fiscal ou leur siège ailleurs qu’en France. Ledit article 187, paragraphe 1, fixait ce taux à 25 %. Toutefois, certaines CDI prévoyaient un taux inférieur.

4. En cas de dividendes distribués par une filiale française à une société mère française, aucune retenue à la source n’était perçue. En outre, d’après l’article 145, paragraphe 1, du CGI, les sociétés et autres organismes soumis à l’impôt français sur les sociétés au taux normal et qui avaient leur siège ou un établissement en France pouvaient bénéficier du régime fiscal dit des «sociétés mères» exposé à l’article 216 du CGI. Dans sa version applicable en l’espèce, cet article prévoyait en substance que les sociétés mères étaient presque totalement exemptées d’impôt pour les dividendes ouvrant droit à l’application du régime des sociétés mères et relevant de l’article 145 du CGI. À l’exception d’un forfait de 5 % (correspondant à une quote-part de frais et de charges) du produit des participations versé à la société mère, crédits d’impôt compris, ces dividendes étaient en effet déduits du total du bénéfice imposable de la société mère.

B – La convention préventive de la double imposition conclue entre la République française et le Royaume des Pays-Bas le 16 mars 1973

5. L’article 10, paragraphe 1, de la convention préventive de la double imposition conclue entre la République française et le Royaume des Pays‑Bas (ci‑après la «CDI franco-néerlandaise») établit que les dividendes payés par une société ayant la qualité de résident dans l’un des États à un résident de l’autre État sont imposables dans cet autre État. Toutefois, l’article 10, paragraphe 2, de ladite convention dispose que ces dividendes peuvent être imposés dans l’État dont la société qui paie les dividendes est un résident, sans que l’impôt ainsi établi puisse excéder 5 % du montant brut des dividendes si le bénéficiaire est une société par actions ou une société à responsabilité limitée qui dispose directement d’au moins 25 % du capital de la société qui paie les dividendes.

6. L’article 24, paragraphe 1, de la CDI franco-néerlandaise énonce que, pour éviter la double imposition, les Pays-Bas peuvent comprendre, dans la base d’imposition, des éléments du revenu ou de la fortune qui, conformément aux dispositions de ladite convention, sont imposables en France. L’article 24, paragraphe 3, de la CDI franco‑néerlandaise stipule que, en ce qui concerne les éléments du revenu compris dans la base imposable néerlandaise visée au paragraphe 1 du même article et qui sont imposables notamment en vertu de l’article 10, paragraphe 2, de la même convention, les Pays-Bas accordent, pour la retenue à la source effectuée en France sur des dividendes de source française, une réduction d’impôt d’un montant pouvant atteindre celui de l’impôt néerlandais normalement dû sur ces dividendes.

III – Les faits et la procédure

7. Denkavit International BV (ci‑après «Denkavit International») est une société néerlandaise qui avait, à l’époque des faits, deux filiales françaises: Agro‑Finances SARL (ci‑après «Agro‑Finances»), dans laquelle elle détenait 99,9 % des parts, et Denkavit France SARL (ci‑après «Denkavit France»), dont elle était propriétaire à 50 %. Les 50 % restants du capital de Denkavit France étaient la propriété d’Agro‑Finances, de sorte que Denkavit International contrôlait la presque totalité du capital d’Agro-Finances et de Denkavit France. Au cours des années 1987 à 1989, ces deux sociétés ont versé 14,5 millions de FRF de dividendes à Denkavit International. Conformément aux dispositions combinées de la législation fiscale française et de la CDI franco-néerlandaise, ces dividendes ont été soumis à une retenue à la source de 5 %.

8. Bien que cela ne soit pas expressément dit dans la décision de renvoi, il est constant que, en droit néerlandais, les dividendes versés par une filiale française à une société mère néerlandaise comme Denkavit International n’auraient pas entraîné d’imposition à la charge de la société mère.

9. Denkavit International et Denkavit France ont contesté la retenue à la source de 5 % devant l’administration fiscale française, au motif qu’elle était contraire à l’article 43 CE ainsi qu’à la clause de non-discrimination de l’article 25 de la CDI franco-néerlandaise.

10. Après rejet de cette réclamation, les sociétés ont saisi le tribunal administratif de Nantes, qui, par jugement du 10 avril 1997, leur a donné gain de cause en leur accordant la restitution de la somme retenue à la source, au motif que cette retenue était contraire à l’article 43 CE. Le ministre français de l’Économie, des Finances et de l’Industrie a fait appel de cette décision devant la cour administrative d’appel de Nantes, qui a annulé le jugement et confirmé la validité de la retenue à la source. Denkavit International et Denkavit France se sont alors pourvues devant le Conseil d’État, qui, par décision du 15 décembre 2004, a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:

«1) Un dispositif qui fait supporter le poids d’une imposition à une société mère, bénéficiaire du versement de dividendes, qui ne réside pas en France, en en dispensant les sociétés mères qui résident en France, est-il susceptible d’être critiqué au regard du principe de la liberté d’établissement?

2) Un tel dispositif de retenue à la source est-il en lui-même critiquable au regard du principe de la liberté d’établissement, ou, dès lors qu’une convention fiscale entre la France et un autre État membre, autorisant cette retenue à la source, prévoit la possibilité d’imputer sur l’impôt dû dans cet autre État la charge supportée en application du dispositif critiqué, y a-t-il lieu de tenir compte de cette convention pour apprécier la compatibilité de ce dispositif avec le principe de la liberté d’établissement?

3) Dans l’hypothèse où est retenue la seconde branche de l’alternative présentée au 2, l’existence de la convention susmentionnée suffit-elle à faire regarder le dispositif critiqué comme un simple mécanisme de répartition de la matière imposable entre les deux États concernés, sans incidence pour les entreprises, ou la circonstance qu’une société mère qui ne réside pas en France peut être dans l’impossibilité de procéder à l’imputation prévue par la convention doit-elle conduire à regarder ce dispositif comme méconnaissant le principe de la liberté d’établissement?»

IV – Analyse

11. À titre liminaire, nous observons que les faits se sont déroulés entre 1987 et 1989, c’est-à-dire avant l’adoption de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (3) (ci‑après la «directive mère-filiale»). Dans sa version initiale, l’article 5, paragraphe 1, de cette directive prévoyait que les bénéfices distribués par une société filiale à sa société mère sont, au moins lorsque celle-ci détient une participation minimale de 25 % dans le capital de la filiale, exemptés de retenue à la source (4). L’article 8 de la directive exigeait qu’elle soit transposée avant le 1er janvier 1992, c’est-à-dire après les faits de la présente espèce. En conséquence, la directive mère-filiale ne s’applique pas ici.

12. Nous observons encore que, comme à l’époque des faits Denkavit International contrôlait la quasi-totalité du capital d’Agro-Finances et de Denkavit France, l’affaire devra manifestement être examinée au regard de la compatibilité avec l’article 43 CE plutôt qu’avec l’article 56 CE. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, une société établie dans un État membre qui détient une participation dans le capital d’une société établie dans un autre État membre lui conférant une influence certaine sur les décisions de la société et lui permettant d’en déterminer les activités exerce son droit d’établissement (5).

A – Sur la première question

13. Par sa première question, la juridiction nationale vise à savoir s’il faut considérer comme contraire à la liberté d’établissement une mesure qui impose les sociétés mères ne résidant pas en France...

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