Heinz Huber v Bundesrepublik Deutschland.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:194
Docket NumberC-524/06
Celex Number62006CC0524
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date03 April 2008

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 3 avril 2008 (1)

Affaire C‑524/06

Heinz Huber

contre

Bundesrepublik Deutschland

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (Allemagne)]

«Protection des personnes physiques – Traitement des données à caractère personnel»





1. La présente affaire concerne le traitement de données à caractère personnel des citoyens de l’Union européenne qui ne sont pas ressortissants allemands et qui résident en Allemagne. La juridiction de renvoi pose la question de savoir si le traitement des données dans un registre central tenu par le Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (l’Office fédéral de la migration et des étrangers), auquel d’autres autorités publiques ont également accès, est compatible avec l’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité, le droit d’établissement et la directive 95/46/CE (2), dès lors qu’un tel registre n’existe pas pour les ressortissants allemands.

I – Contexte factuel

2. Le demandeur au principal, M. Heinz Huber, est un ressortissant autrichien. Depuis 1996, il vit et travaille en Allemagne. Les données personnelles des ressortissants étrangers vivant en Allemagne sont conservées dans un registre central tenu par l’Office fédéral de la migration et des étrangers. Les informations relatives à M. Huber conservées dans le registre comprennent ses données personnelles et son état civil, les indications relatives à son passeport, la date de sa première entrée sur le territoire allemand, son statut de résident, ses différents changements de domicile sur le territoire allemand ainsi que 1a référence de l’autorité responsable du registre et la désignation des services administratifs qui ont communiqué les données. Les données personnelles des ressortissants allemands sont conservées uniquement dans des registres locaux, municipaux, car, pour eux, il n’existe pas de registre central au niveau fédéral.

3. En 2002, se fondant sur les articles 12 CE et 49 CE et sur la directive 95/46, M. Huber a demandé que toutes les données le concernant figurant dans le registre central soient effacées. Sa demande a été rejetée par le Bundesverwaltungsamt (service d’administration fédérale) et une réclamation administrative introduite contre cette décision auprès du même service a également été rejetée. M. Huber a alors introduit une action devant le Verwaltungsgericht (tribunal administratif), lui soumettant la même demande. Cette juridiction a fait droit à la demande, estimant que la conservation des données concernant le demandeur n’était pas compatible avec le droit communautaire. L’Office fédéral de la migration et des étrangers a interjeté appel de ce jugement devant l’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein‑Westfalen (juridiction administrative supérieure du Land de Rhénanie du Nord‑Westphalie), qui a sursis à statuer et a demandé à la Cour de justice de statuer sur les trois questions préjudicielles suivantes:

«Le traitement général de données à caractère personnel de citoyens de l’Union non ressortissants dans le cadre d’un registre central des étrangers est-il compatible avec:

a) l’interdiction de toute discrimination liée à la nationalité des citoyens de l’Union qui exercent leur droit de circuler librement sur le territoire des États membres et d’y séjourner (article 12, paragraphe 1, en lien avec les articles 17 CE et 18, paragraphe 1, CE);

b) l’interdiction de toute restriction à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre (article 43, paragraphe 1, CE);

c) l’exigence de nécessité prévue à l’article 7, sous e), de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO L 281 du 23 novembre 1995, p. 31)?»

II – Analyse

4. Les deux premières questions soumises à la Cour par la juridiction nationale concernent la compatibilité du système allemand de traitement des données de citoyens de l’Union non ressortissants avec le principe général de non‑discrimination énoncé à l’article 12, premier alinéa, CE (en lien, respectivement, avec les articles 17 CE et 18, paragraphe 1, CE, relatifs à la citoyenneté de l’Union et au droit de circuler librement sur le territoire des États membres et d’y séjourner) et, en second lieu, avec le droit d’établissement garanti par l’article 43 CE. Je partage le point de vue de la Commission selon lequel l’article 12 CE est la base légale la mieux appropriée aux fins de l’analyse de la question posée, dès lors que le demandeur a manifestement exercé le droit que lui confère le droit communautaire, garanti par l’article 18, paragraphe 1, CE, de se rendre dans un autre État membre. Je pense en effet que la question de la discrimination est au centre de la présente affaire. Si nous considérons que le système allemand n’est pas compatible avec l’interdiction des discriminations en raison de la nationalité inscrite à l’article 12 CE, liée au droit de circuler et de résider librement sur le territoire d’un État membre, ce système ne peut être défendu sans que se pose la question de savoir s’il affecte ou est susceptible d’affecter les droits d’établissement du demandeur. C’est pourquoi j’examinerai en premier lieu la question de la discrimination et je me pencherai ensuite sur l’exigence de nécessité au titre de la directive, qui fait l’objet de la troisième question (3).

A – Le système allemand est-il discriminatoire à l’égard des ressortissants de l’UE qui ne sont pas allemands?

Situations comparables

5. Les parties sont d’accord pour admettre l’existence de différences notables entre le traitement des données à caractère personnel des ressortissants allemands et celui des ressortissants d’autres États membres de l’UE. L’Allemagne ne possède pas de système centralisé d’enregistrement, de conservation et de traitement des données personnelles de ses ressortissants. Toutefois, il existe quelque 7 700 registres de population municipaux qui conservent les données personnelles de base des citoyens, mais qui ne sont pas reliés entre eux et qui ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une recherche centrale et simultanée. En revanche, les données personnelles des ressortissants étrangers, y compris celles des ressortissants d’États membres de l’UE, sont conservées non seulement dans les registres municipaux, mais aussi dans un registre central des ressortissants étrangers, tenu par l’Office fédéral de la migration et des étrangers. Par ailleurs, le registre central a une portée sensiblement plus étendue et comporte des informations supplémentaires qui ne sont pas enregistrées dans les registres municipaux, telles que les indications relatives au passeport, les dates d’entrée sur le territoire allemand et de sortie de ce territoire, le statut de résident, des indications sur une éventuelle demande d’obtention du statut de réfugié et son résultat, des indications relatives aux ordres d’expulsion et aux mesures d’exécution de ces ordres, des informations relatives à des activités criminelles soupçonnées de la personne concernée et des informations relatives aux condamnations pénales. Il existe donc une différence de traitement entre ressortissants nationaux et ressortissants non allemands de l’Union sous trois aspects: premièrement, les données personnelles des ressortissants étrangers sont enregistrées non seulement dans les registres municipaux, dans lesquels sont enregistrées également les données des ressortissants allemands, mais aussi dans le registre central des ressortissants étrangers; en deuxième lieu, le registre central contient plus d’informations sur les personnes concernées par les données que n’en contiennent les registres locaux et, en troisième lieu, les données relatives aux ressortissants étrangers sont aisément disponibles pour différentes autorités gouvernementales grâce au registre central, tandis qu’une telle possibilité n’existe pas en ce qui concerne les ressortissants allemands. Se pose la question de savoir si une telle différence de traitement est constitutive d’une discrimination prohibée.

6. Le gouvernement allemand nous rappelle que, pour qu’il y ait discrimination, il faut qu’il y ait deux situations comparables et que celles-ci soient traitées différemment. C’est ainsi que l’obligation, pour les États membres, de ne pas discriminer sur la base de l’origine nationale implique que les situations analogues, et elles seules, soient traitées de la même façon. Pour le gouvernement allemand, dès lors que le statut de résidence des ressortissants allemands diffère de celui des ressortissants étrangers, ces deux catégories de personnes ne se trouvent pas dans une situation analogue et, en conséquence, il ne saurait être question de discrimination. Ce point de vue est aussi celui du gouvernement danois, qui observe que les ressortissants d’un État ont toujours le droit d’entrer et de résider dans leur pays, lequel, en vertu de l’article 3 du quatrième protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne peut jamais les expulser ou les priver du droit d’entrer sur leur territoire, alors que les ressortissants non allemands de l’Union ne bénéficient des droits d’entrer et de résider qu’au titre du droit communautaire. Pour le gouvernement néerlandais, le critère le plus pertinent pour déterminer si les deux situations sont comparables est le traitement de données liées au droit d’établissement. Dès lors qu’un ressortissant allemand vivant en Allemagne et un ressortissant d’un autre État membre vivant en Allemagne ont des droits de résidence différents ─, le premier ayant un droit illimité fondé sur sa nationalité et le second ayant un droit limité conféré par le droit communautaire ─...

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