P.I. v Oberbürgermeisterin der Stadt Remscheid.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2012:123
Date06 March 2012
Celex Number62009CC0348
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC‑348/09
62009CC0348

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 6 mars 2012 ( 1 )

Affaire C-348/09

P. I.

contre

Oberbürgermeisterin der Stadt Remscheid

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (Allemagne)]

«Directive 2004/38/CE — Droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres — Protection contre l’éloignement — Notions d’‘ordre public’ et de ‘sécurité publique’ — Notion de ‘raisons impérieuses de sécurité publique’ — Condamnation pénale pour abus sexuel sur mineur de quatorze ans, agression sexuelle et viol»

1.

Par le présent renvoi préjudiciel, l’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (Allemagne) demande à la Cour de préciser, à la lumière de l’arrêt du 23 novembre 2010, Tsakouridis ( 2 ), les conditions d’octroi de la protection contre l’éloignement figurant à l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38/CE ( 3 ).

2.

Cette disposition prévoit qu’une décision d’éloignement peut être prise à l’encontre d’un citoyen de l’Union qui a séjourné pendant les dix années précédentes sur le territoire de l’État membre d’accueil uniquement pour des raisons impérieuses de sécurité publique.

3.

Il est demandé à la Cour de dire pour droit si ladite disposition doit être interprétée en ce sens que l’abus sexuel sur mineur de quatorze ans, l’agression sexuelle ainsi que le viol relèvent de la notion de raisons impérieuses de sécurité publique. Plus particulièrement, la Cour ayant admis, dans l’arrêt Tsakouridis, précité, que la lutte contre le trafic de stupéfiants en bande organisée est susceptible de relever de cette notion, la question est ici de savoir si un acte isolé, tel que celui commis au principal par M. I., à savoir l’abus sexuel sur mineur de quatorze ans, l’agression sexuelle ainsi que le viol, est également susceptible de relever de ladite notion.

4.

Dans les présentes conclusions, nous expliquerons les raisons pour lesquelles nous pensons que l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que l’abus sexuel sur mineur de quatorze ans, l’agression sexuelle ainsi que le viol ne relèvent pas de la notion de raisons impérieuses de sécurité publique lorsque ces actes ne menacent pas directement la tranquillité et la sécurité physique de la population dans son ensemble ou d’une grande partie de celle-ci.

5.

Puis, nous indiquerons pourquoi, selon nous, l’article 28, paragraphes 2 et 3, de cette même directive doit être interprété en ce sens qu’un citoyen de l’Union ne peut pas se prévaloir du droit à une protection renforcée contre l’éloignement en vertu de cette disposition lorsqu’il est démontré que ledit citoyen tire ce droit d’un comportement infractionnel constituant un trouble grave à l’ordre public de l’État membre d’accueil.

I – Le cadre juridique

A – La directive 2004/38

6.

Avant l’entrée en vigueur de la directive 2004/38, il existait plusieurs directives et règlements en matière de libre circulation des personnes et de droit de séjour des ressortissants européens. Cette directive a rassemblé et simplifié la législation de l’Union dans cette matière.

7.

En effet, elle supprime l’obligation pour les citoyens de l’Union d’obtenir une carte de résidence, introduit un droit de séjour permanent en faveur de ces citoyens et circonscrit la possibilité pour les États membres de limiter le séjour sur leur territoire des ressortissants des autres États membres.

8.

Notamment, s’inspirant des critères dégagés par la jurisprudence de la Cour, la directive 2004/38 apporte aux citoyens de l’Union une protection contre l’éloignement.

9.

Ainsi, en vertu de l’article 27, paragraphe 1, de cette directive, les États membres peuvent restreindre le droit de circuler et de séjourner des citoyens de l’Union pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, à l’exclusion des raisons invoquées à des fins économiques.

10.

L’article 27, paragraphe 2, de ladite directive prévoit que les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité ( 4 ) et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné par la décision d’éloignement ( 5 ). L’existence de condamnations pénales antérieures ne peut pas, à elle seule, motiver de telles mesures. Par ailleurs, le comportement de la personne faisant l’objet d’une décision d’éloignement doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ( 6 ).

11.

L’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38, concernant la protection contre l’éloignement, est rédigé comme suit:

«Une décision d’éloignement ne peut être prise à l’encontre des citoyens de l’Union, quelle que soit leur nationalité, à moins que la décision ne se fonde sur des raisons impérieuses de sécurité publique définies par les États membres, si ceux-ci:

a)

ont séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes».

B – Le droit allemand

12.

La loi relative à la libre circulation des citoyens de l’Union (Gesetz über die allgemeine Freizügigkeit von Unionsbürgern), du 30 juillet 2004 ( 7 ), transpose, dans l’ordre juridique allemand, les dispositions de la directive 2004/38. Notamment, l’article 6, paragraphe 1, du FreizügG/EU prévoit que la perte, pour un citoyen de l’Union, du droit de circuler et de séjourner sur le territoire allemand ne peut être constatée que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Selon l’article 6, paragraphe 2, du FreizügG/EU, les condamnations pénales non encore effacées du registre central peuvent être prises en considération pour justifier la décision d’éloignement, à condition que les circonstances qui sous-tendent ces condamnations fassent apparaître un comportement personnel qui représente une menace réelle pour l’ordre public, étant entendu qu’il doit s’agir d’une menace effective et suffisamment grave visant un intérêt fondamental de la société.

13.

L’article 6, paragraphe 3, du FreizügG/EU précise que, aux fins d’une décision d’éloignement, il doit être particulièrement tenu compte de la durée du séjour de l’intéressé sur le territoire allemand, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle sur ce territoire, ainsi que de l’intensité de ses liens avec son État d’origine.

14.

En vertu de l’article 6, paragraphe 4, du FreizügG/EU, la perte du droit de séjourner et de circuler sur le territoire allemand ne peut être constatée, après acquisition d’un droit de séjour permanent, que pour des motifs graves.

15.

Selon l’article 6, paragraphe 5, du FreizügG/EU, en ce qui concerne les citoyens de l’Union ainsi que les membres de leur famille qui ont séjourné sur le territoire fédéral pendant les dix dernières années, la constatation visée à l’article 6, paragraphe 1, du FreizügG/EU ne peut être faite que pour des raisons impérieuses de sécurité publique. Cette règle ne s’applique pas aux mineurs lorsque la perte du droit de séjour est nécessaire dans l’intérêt de l’enfant. Il n’existe de raisons impérieuses de sécurité publique que si l’intéressé a été condamné pour un ou plusieurs délits commis intentionnellement à une peine privative de liberté ou à une peine pour délinquance juvénile d’au moins cinq ans passée en force de chose jugée ou qu’un internement de sûreté a été ordonné lors de sa dernière condamnation définitive, lorsque la sécurité de la République fédérale d’Allemagne est en jeu ou que l’intéressé représente une menace terroriste.

II – Le litige au principal et la question préjudicielle

16.

M. I., ressortissant italien, est né le 3 septembre 1965 à Litaca (Italie). Il vit sur le territoire allemand depuis l’année 1987. Sa carte de séjour lui a été délivrée au mois d’avril 1987 et a été prolongée régulièrement. Il est célibataire et n’a pas d’enfant. Il n’a jamais terminé sa scolarité ou une formation professionnelle et n’a exercé d’activité professionnelle en Allemagne que de façon temporaire, en tant qu’ouvrier non spécialisé. Avant son arrestation, il travaillait comme aide de son ancienne compagne, elle-même technicienne de surface. M. I. a cinq frères et sœurs, dont certains vivent en Allemagne, d’autres en Italie. Depuis son arrestation, sa mère habite en partie en Allemagne et en partie en Italie.

17.

Le 16 mai 2006, le Landgericht Köln a condamné M. I. à une peine privative de liberté de sept ans et six mois pour abus sexuel sur mineur de quatorze ans, agression sexuelle ainsi que viol. Ce jugement est passé en force de chose jugée le 28 octobre 2006. Les faits se sont déroulés entre les années 1990 et 2001. La victime, fille de l’ancienne compagne de M. I., était âgée de huit ans au début de ces faits. La juridiction de renvoi précise que, à partir de l’année 1992, M. I. la forçait régulièrement à avoir des rapports sexuels avec lui ou à accomplir d’autres actes sexuels, presque chaque semaine, et en la menaçant, entre autres, de tuer sa mère ou son frère.

18.

M. I. est en prison depuis le 10 janvier 2006 et aura purgé sa peine d’emprisonnement le 9 juillet 2013.

19.

Par décision du 6 mai 2008, l’Oberbürgermeisterin der Stadt Remscheid a constaté, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, du FreizügG/EU, la perte du droit d’entrée et de séjour de M. I., au motif que, du fait de sa condamnation, ce dernier réunissait les...

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