Société d'Importation Edouard Leclerc-Siplec v TF1 Publicité SA and M6 Publicité SA.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1994:393
Docket NumberC-412/93
Celex Number61993CC0412
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date24 November 1994
61993CC0412_FR

Conclusions de l'avocat général

Conclusions de l'avocat général

1. Leclerc-Siplec distribue de l ' essence et d ' autres carburants dans des stations service en France. Ces dernières font, semble-t-il, partie de supermarchés gérés par le même groupe sous le nom E. Leclerc. Leclerc-Siplec a demandé aux sociétés françaises de publicité télévisée TF1 Publicité et M6 Publicité de diffuser à la télévision un spot publicitaire concernant ses stations d ' essence. Elles ont refusé au motif qu ' une disposition du droit français ─ à savoir l ' article 8 du décret n° 92/280 du 27 mars 1992 ─ interdit de publicité télévisée le secteur de la distribution. Cette disposition interdit également la publicité à la télévision en faveur des boissons alcoolisées comprenant plus de 1,2 degré d ' alcool, de l ' édition littéraire, du cinéma et de la presse. Il semble que le but principal de l ' interdiction soit de protéger la presse quotidienne régionale en forçant les secteurs en question à diffuser leurs messages publicitaires dans les quotidiens régionaux plutôt qu ' à la télévision.

2. Leclerc-Siplec a assigné TF1 Publicité et M6 Publicité devant le tribunal de commerce de Paris. Elle a invité ce dernier à saisir la Cour de justice à titre préjudiciel de la question de savoir si une disposition de droit national excluant le secteur de la distribution de la publicité télévisée est compatible avec certaines dispositions du traité et avec les dispositions de la directive du Conseil communément appelée télévision sans frontières

(directive 89/552/CEE) (1) . Les parties défenderesses étaient d ' accord pour renvoyer l ' affaire à la Cour de justice, mais TF1 Publicité a demandé que la question soit élargie de manière à savoir si des secteurs entiers de l ' activité économique

(c ' est-à-dire pas seulement le secteur de la distribution) peuvent être exclus de la publicité télévisée.

3. On peut noter que Leclerc-Siplec a aussi allégué, devant la juridiction nationale, que l ' interdiction litigieuse était contraire à l ' article 10 de la convention européenne des droits de l ' homme, qui protège la liberté d ' expression.

4. Par jugement du 27 septembre 1993, le tribunal de commerce a saisi la Cour de justice de la question de savoir si:

les articles 30, 85, 86, 5 et 3-f du traité CEE ainsi que la directive 89/552 du 3 octobre 1989 doivent être interprétés comme interdisant qu ' un État membre, par voie législative ou réglementaire, puisse exclure de la publicité télévisée des secteurs de l ' activité économique, dont notamment celui de la distribution, et plus généralement si l ' article 8 du décret du 27 mars 1992 peut être considéré comme compatible avec les textes sus-visés

.

Recevabilité

5. La Commission laisse entendre que le renvoi pourrait être irrecevable parce que les parties sont d ' accord sur le résultat à obtenir, à savoir un renvoi devant la Cour conduisant à la conclusion que le décret litigieux est contraire au droit communautaire. Il n ' y a donc pas de litige entre les parties, et la Cour est appelée à donner un avis consultatif sur des questions juridiques générales. La Commission cite les arrêts Foglia II (2), Meilicke (3), Lourenço Dias (4) et Telemarsicabruzzo (5) .

6. Il résulte clairement des affaires citées par la Commission que la Cour n ' a pas compétence pour donner des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques. Il ressort aussi clairement des arrêts Foglia (I et II) que la Cour refuse dans certaines circonstances de se prononcer sur une demande de décision préjudicielle au motif que l ' article 177 du traité est utilisé comme une construction procédurale

(6) revêtant un caractère artificiel

(7) par les parties, lesquelles sont totalement d ' accord entre elles et ont arrangé un litige afin d ' obtenir une décision préjudicielle établissant l ' incompatibilité de la législation nationale avec le droit communautaire.

7. Dans l ' arrêt Foglia I, une juridiction italienne avait saisi la Cour d ' un certain nombre de questions destinées à établir, essentiellement, si la législation française sur la taxation des liqueurs était contraire aux articles 92 et 95 du traité. La Cour a jugé qu ' elle n ' était pas compétente pour se prononcer sur les questions posées par cette juridiction, au motif qu ' il n ' existait pas de véritable litige entre les parties, lequel avait été arrangé entre elles, et que rendre une décision préjudicielle dans ces conditions porterait atteinte au système de l ' ensemble des voies de recours juridictionnelles dont disposent les particuliers pour se protéger contre l ' application de lois fiscales qui seraient contraires aux dispositions du traité

(8) .

8. Il existe une analogie manifeste entre cette affaire et le cas d ' espèce. En l ' espèce, les parties sont d ' accord sur les points de droit qui ont été soulevés, et leur seul but dans cette procédure est d ' obtenir une décision préjudicielle établissant que certaines dispositions nationales sont contraires au droit communautaire. Il existe, toutefois, aussi une différence importante entre les deux affaires. Dans l ' affaire Foglia, les parties contestaient, devant une juridiction italienne, la compatibilité avec le droit communautaire d ' une loi française. Dans le cas d ' espèce, les parties contestent la validité d ' une réglementation française devant un tribunal français.

9. Il est de toute évidence essentiel que les particuliers dont les droits sont affectés par les actes législatifs ou administratifs d ' un État membre puissent les attaquer en justice et invoquer, le cas échéant, le droit communautaire, y compris avec la possibilité d ' un renvoi en application de l ' article 177 du traité; il est également important que l ' État membre concerné ait la possibilité de défendre ces actes. Il est donc souhaitable que ces procédures se déroulent dans l ' État membre dont la législation ou la pratique administrative est mise en question. Si elles avaient lieu dans un autre pays, l ' État membre concerné pourrait même ne pas le savoir et pourrait en tout état de cause avoir des difficultés pour organiser sa défense. Le fait que la législation d ' un État membre ait été attaquée devant les tribunaux d ' un autre État membre semble avoir influencé la Cour dans sa décision de rejeter la demande préjudicielle dans l ' affaire Foglia comme étant irrecevable (9), bien que dans d ' autres affaires la Cour n ' ait pas rejeté la demande préjudicielle pour ce motif (10) .

10. Nous ne pensons pas que l ' arrêt Foglia établisse une règle générale selon laquelle un renvoi préjudiciel est irrecevable uniquement parce que les parties sont d ' accord sur sa nécessité, sur les questions à déférer et sur les réponses à leur donner. Si, selon les règles de procédure d ' un État membre, il est permis de porter un problème devant les tribunaux par le biais d ' un procès amiable, il ne faudrait pas que la Cour de justice puisse interférer dans l ' autonomie procédurale de cet État membre en décidant que ce litige ne peut pas conduire à un renvoi préjudiciel en application de l ' article 177 du traité. Le gouvernement français, qui a déposé des observations écrites dans la présente affaire et était représenté à l ' audience, n ' a pas critiqué la procédure et n ' a pas laissé entendre qu ' il a été empêché de défendre le décret attaqué à cause de la manière dont le litige a été conduit.

11. Nous considérons donc que la demande de décision préjudicielle ne devrait pas être rejetée pour irrecevabilité.

La portée de la question déférée

12. La question posée par la juridiction française fait apparaître trois motifs éventuels d ' incompatibilité du décret attaqué avec le droit communautaire. En premier lieu, il peut s ' agir d ' une mesure d ' effet équivalant à une restriction quantitative à l ' importation contraire à l ' article 30 du traité; en second lieu, ce décret peut être contraire aux règles de concurrence des articles 85 et 86 du traité, lues en combinaison avec l ' article 5; en troisième lieu, il peut être incompatible avec les termes de la directive 89/552.

13. La juridiction de renvoi n ' a pas soulevé la question de la compatibilité de la réglementation attaquée avec l ' article 52 du traité, qui exige l ' abolition des restrictions à la liberté d ' établissement des ressortissants d ' un État membre dans le territoire d ' un autre État membre, ou avec l ' article 59 du traité, qui exige l ' abolition des restrictions à la libre prestation des services à l ' intérieur de la Communauté. Elle n ' a pas davantage posé directement la question de la liberté d ' expression commerciale dans le cadre de l ' article 10 de la convention européenne des droits de l ' homme. Il ressort cependant clairement de l ' ordonnance de renvoi que Leclerc-Siplec a invoqué cette disposition devant la juridiction nationale. On peut également relever qu ' aux termes du huitième considérant de la directive 89/552 la liberté de fournir des services dans le domaine de la diffusion télévisuelle est une manifestation spécifique du principe de la liberté d ' expression consacré par l ' article 10 de la convention.

14. Étant donné les termes de la question posée, nous laisserons de côté l ' article 59 du traité, qui s ' applique certainement aux restrictions frappant la publicité télévisée (11), et la question de la liberté d ' expression commerciale consacrée par l ' article 10 de la convention. Sur ce dernier point, nous noterons simplement que, si l ' on devait juger que les restrictions en cause relèvent du droit communautaire, la Cour serait compétente pour examiner leur compatibilité avec la convention (12) .

15. Nous considérons donc qu ' il convient de se concentrer sur les trois points directement soulevés par la juridiction nationale, tels qu ' exposés au point 12 ci-dessus.

16. La question formulée par la juridiction nationale pose le problème de la compatibilité avec le droit...

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