SECAP SpA (C-147/06) and Santorso Soc. coop. arl (C-148/06) v Comune di Torino.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2007:711
Docket NumberC-147/06,C-148/06
Celex Number62006CC0147
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date27 November 2007

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO Ruiz-Jarabo Colomer

présentées le 27 novembre 2007 (1)

Affaires jointes C‑147/06 et C‑148/06

SECAP SpA et Santorso Soc. coop. arl

contre

Comune di Torino

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Italie)]

«Marchés publics de travaux – Attribution des marchés – Offres anormalement basses – Procédure de vérification contradictoire – Marchés non couverts par les directives sur la coordination des procédures – Principes du droit communautaire de la passation de marchés – Application aux marchés non couverts – Législation nationale qui impose de rejeter automatiquement les offres anormalement basses, sans avoir entendu au préalable le soumissionnaire»





I – Introduction

1. Le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) demande à la Cour, au titre de l’article 234 CE, si l’article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (2), va au-delà de la directive elle-même et régit également l’attribution des marchés non couverts par le champ d’application de celle-ci.

2. Dans l’arrêt du 27 novembre 2001, Lombardini et Mantovani (3), alors qu’elle interprétait cette disposition, la Cour a considéré, au point 53, qu’il était «essentiel» que chaque soumissionnaire soupçonné d’avoir présenté une offre anormalement basse fasse valoir utilement son point de vue et fournisse les justifications pertinentes.

3. Dans le présent renvoi, la question est de savoir si cette disposition de droit positif renferme un principe général de l’ordre communautaire, qui s’applique aux marchés publics qu’ils soient ou non couverts par les directives sectorielles (4).

4. La haute juridiction italienne pose cette question dans un cadre très particulier, à savoir celui d’une réglementation interne qui impose d’exclure automatiquement ce type d’offres dans les procédures de passation de marchés d’un montant inférieur à celui indiqué dans les directives, à laquelle s’ajoute une pratique selon laquelle, dans cette catégorie de marchés, certains soumissionnaires influent sur le résultat de l’appel d’offres, en employant une ruse (5) qui consiste à s’entendre en vue de présenter des offres semblables afin d’établir un seuil déterminé d’anomalie et d’écarter les autres candidats.

5. Cet incident préjudiciel revêt, par conséquent, une grande importance, parce qu’il se rapporte aux principes généraux du droit communautaire, sans oublier que la solution ne peut se fonder que sur le système juridique de l’Union européenne. La Cour doit aller dans les deux directions, afin de fournir une réponse efficace pour résoudre le litige à l’organe juridictionnel italien.

II – Le cadre juridique

A – Le droit communautaire

6. Les articles 43 CE et 49 CE prévoient, respectivement, la liberté d’établissement et la libre prestation de services. La directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971(6), qui a mis en marche l’harmonisation des législations des États membres en matière de passation des marchés publics, avait comme objectif fondamental, aux termes de son premier considérant, la réalisation simultanée de ces deux libertés. Cette directive, qui ne régissait que les marchés d’un montant supérieur ou égal à un million d’unités de compte (huitième considérant), prévoyait des critères d’attribution des marchés fondés soit sur le prix le plus bas, soit sur l’option économiquement la plus avantageuse (article 29, paragraphe 1) et, présumant qu’il y aurait des offres anormalement basses, rendait possible le rejet de ces dernières, après avoir entendu le soumissionnaire téméraire (article 29, paragraphe 5).

7. S’agissant de l’interprétation de cette règle, la Cour a énoncé qu’une décision de rejet ne pouvait être prise qu’après avoir donné à l’entrepreneur la possibilité de clarifier son offre, c’est-à-dire après l’application d’une procédure contradictoire de vérification, les exclusions automatiques étant dès lors exclues (7).

8. La directive 71/305 a connu plusieurs modifications successives (8); il convenait donc de la codifier, ce qui fut fait sous la forme de la directive 93/37 qui visait également à sauvegarder la liberté d’établissement et la libre prestation de services (deuxième considérant). Applicable aux contrats de plus de 5 millions d’écus (article 6, paragraphe 1) et fidèle aux critères d’attribution précédents (article 30, paragraphe 1), cette directive 93/37 a reproduit la teneur de l’ancien article 29, paragraphe 5, avec de légères modifications, à l’article 30, paragraphe 4:

«Si, pour un marché donné, des offres apparaissent anormalement basses par rapport à la prestation, le pouvoir adjudicateur, avant de pouvoir rejeter ces offres, demande, par écrit, des précisions sur la composition de l’offre qu’il juge opportunes et vérifie cette composition en tenant compte des justifications fournies.

Le pouvoir adjudicateur peut prendre en considération des justifications tenant à l’économie du procédé de construction, ou aux solutions techniques adoptées, ou aux conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour exécuter les travaux, ou à l’originalité du projet du soumissionnaire.

Si les documents relatifs au marché prévoient l’attribution au prix le plus bas, le pouvoir adjudicateur est tenu de communiquer à la Commission le rejet des offres jugées trop basses.

[…]»

9. La directive 2004/18, que les États membres devaient transposer avant le 31 janvier 2006 (article 80, paragraphe 1), a abrogé la directive 93/37, à partir du 31 mars 2004 (articles 82 et 83). S’agissant de l’attribution des marchés de travaux dont le prix atteint au moins 5 278 000 euros [article 7, sous c)] (9), les pouvoirs adjudicateurs ont la faculté d’exclure les offres anormalement basses, après application d’une procédure contradictoire de vérification (article 55, paragraphes 1 et 2).

B – La législation italienne

10. L’article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37 a été transposé en droit interne italien par l’article 21, paragraphe 1 bis, de la loi nº 109/94, du 11 février 1994, loi-cadre en matière de travaux publics (10), ajouté à sa rédaction d’origine par l’article 7 de la loi nº 216/1995, du 2 juin 1995 (11). Aux termes de cette disposition:

«En cas d’adjudication de travaux d’une valeur égale ou supérieure à 5 millions d’ECU en usant du critère du prix le plus bas au sens de l’alinéa 1, l’administration concernée évalue l’anomalie, au sens de l’article 30 de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, de toute offre présentant un rabais égal ou supérieur à la moyenne arithmétique des pourcentages de rabais de toutes les offres admises, à l’exclusion de 10 %, arrondi à l’unité supérieure, des offres présentant respectivement un rabais plus élevé ou moins élevé, augmentée de l’écart arithmétique moyen des pourcentages de rabais qui dépassent la moyenne précitée.

Dans ce but l’administration publique prend en considération dans le délai de soixante jours à compter de la date de présentation des offres les seules justifications fondées sur l’économicité de la procédure de constitution ou des solutions techniques adoptées, ou bien sur les conditions particulièrement favorables dont bénéficie le soumissionnaire, à l’exclusion, en tout état de cause, des justifications portant sur tous les éléments dont les valeurs minimales sont fixées par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, ou bien dont les valeurs peuvent être tirées de données officielles.

Les offres doivent être accompagnées, dès leur présentation, de justificatifs relatifs aux rubriques de prix les plus importantes, indiquées dans l’avis d’appel d’offres ou dans la lettre d’invitation et qui contribuent à former un montant au moins égal à 75 % de la valeur de base du marché.

Concernant les seuls marchés publics de travaux d’un montant inférieur au seuil communautaire, l’administration concernée procède à l’exclusion automatique de la procédure pour les offres qui présentent un pourcentage de rabais égal ou supérieur à celui établi au titre du premier alinéa du présent paragraphe. La procédure d’exclusion automatique ne s’applique pas lorsque le nombre des offres valides est inférieur à cinq» (12).

11. Le décret législatif nº 163, du 12 avril 2006 (13), transpose dans l’ordre juridique national la directive 2004/18. Dans les dispositions relatives aux offres anormalement basses (articles 86 à 88), le dernier alinéa de l’article 21, paragraphe 1 bis, de la loi nº 109/94 a disparu.

III – Les litiges au principal

12. Par accord du 28 janvier 2003, la municipalité de Turin a décidé de laisser sans effet pro futuro l’article 21, paragraphe 1 bis, de la loi nº 109/94, afin d’éviter l’exclusion automatique des offres anormalement basses, de sorte que, dans le cadre de l’attribution des marchés municipaux, y compris de ceux qui n’atteignaient pas le seuil communautaire, ces offres seraient vérifiées conformément à la procédure contradictoire instaurée par la directive 93/37.

13. Les sociétés italiennes SECAP SpA (affaire C‑147/06) et Santorso Soc. coop. arl (affaire C‑148/06) ont participé aux deux appels d’offres lancés par la commune concernant l’exécution de travaux déterminés (14), dont les montants ne dépassaient pas ledit seuil. Les avis d’appels d’offres confirmaient le critère du plus fort rabais, prévoyaient la vérification des offres irrégulières, sans exclure automatiquement, en vertu de l’accord du 28 janvier 2003, celles qui étaient anormalement basses. Leurs offres ont été les premières parmi les «normales», cependant, avant de décider, l’autorité municipale a constaté que celles qui paraissaient anormales étaient sérieuses et a attribué les marchés à d’autres soumissionnaires.

14. Les deux sociétés ont formé un recours devant le Tribunale amministrativo regionale de Piamonte et ont soutenu que l’article 21...

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