DEB Deutsche Energiehandels- und Beratungsgesellschaft mbH v Bundesrepublik Deutschland.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:489
Docket NumberC-279/09
Celex Number62009CC0279
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date02 September 2010

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 2 septembre 2010 (1)

Affaire C‑279/09

DEB Deutsche Energiehandels- und Beratungsgesellschaft mbH

contre

Bundesrepublik Deutschland

[demande de décision préjudicielle formée par le Kammergericht Berlin (Allemagne)]

«Protection juridictionnelle effective des droits tirés du droit de l’Union – Droit à un tribunal – Garanties procédurales – Personne morale – Principe d’effectivité – Refus d’aide judiciaire à une personne morale pour l’introduction d’un recours visant à engager la responsabilité d’un État membre pour violation du droit de l’Union en l’absence d’’intérêts généraux’»





I – Introduction

1. Le présent renvoi préjudiciel porte sur l’interprétation des principes d’effectivité et d’équivalence au regard des règles applicables, dans l’ordre juridique allemand, aux demandes d’aide judiciaire, lorsque celles-ci sont introduites par une personne morale dans le cadre d’une action en responsabilité de l’État pour violation du droit de l’Union.

2. Pour la première fois, la Cour est appelée à apprécier la conformité d’un mécanisme d’aide judiciaire, ayant notamment pour objet l’exemption du paiement de la taxe de procédure, dont les conditions d’octroi sont plus restrictives à l’égard des personnes morales que des personnes physiques, et, partant, à se prononcer sur l’étendue des garanties procédurales devant être offertes aux personnes morales.

II – Le cadre juridique

A – Le droit international

3. La convention de La Haye du 1er mars 1954 relative à la procédure civile, à laquelle vingt et un États membres de l’Union européenne sont, à ce jour, parties, consacre un titre IV à l’assistance judiciaire gratuite. Plus précisément, l’article 20 de ladite convention prévoit que, «en matière civile et commerciale, les ressortissants de chacun des États contractants seront admis dans tous les autres États contractants au bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite, comme les nationaux eux-mêmes, en se conformant à la législation de l’État où l’assistance judiciaire gratuite est réclamée».

4. L’article 1er de l’accord européen sur la transmission des demandes d’assistance judiciaire, signé à Strasbourg le 27 janvier 1977, sous l’égide du Conseil de l’Europe, et auquel vingt et un États membres de l’Union sont parties, énonce que «[t]oute personne, ayant sa résidence habituelle sur le territoire d’une des Parties contractantes, qui désire demander l’assistance judiciaire en matière civile, commerciale ou administrative sur le territoire d’une autre Partie contractante peut présenter sa demande dans l’État de sa résidence habituelle. Cet État est tenu de transmettre la demande à l’autre État».

5. La convention de La Haye du 25 octobre 1980 tendant à faciliter l’accès international à la justice, à laquelle dix-neuf États membres sont parties, prévoit, à son article 1er, premier alinéa, que «[l]es ressortissants d’un État contractant […] sont admis au bénéfice de l’assistance judiciaire en matière civile et commerciale dans chaque État contractant dans les mêmes conditions que s’ils étaient eux-mêmes ressortissants de cet État et y résidaient habituellement». Le deuxième alinéa dudit article précise que «[l]es personnes auxquelles les dispositions de l’alinéa précédent ne s’appliquent pas, mais qui ont eu leur résidence habituelle dans un État contractant dans lequel une procédure judiciaire est ou sera engagée, seront néanmoins admises au bénéfice de l’aide judiciaire aux conditions prévues à l’alinéa précédent, si la cause de l’action découle de cette ancienne résidence habituelle».

B – Le droit de l’Union

6. L’article 6, paragraphe 2, UE pose le principe selon lequel «[l]’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 [ci-après la «CEDH»], et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire».

7. L’article 47, intitulé «Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial», de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la «charte») est rédigé comme suit:

«Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.

Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice.»

8. L’article 10, premier alinéa, CE dispose que «[l]es États membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l’accomplissement de sa mission». Le second alinéa de cet article énonce qu’«[i]ls s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité».

9. Le quatrième considérant de la directive 2003/8/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, visant à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l’établissement de règles minimales communes relatives à l’aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires (2), rappelle que tous les États membres sont parties à la CEDH et que les matières traitées par la directive 2003/8 le seront dans le respect de ladite convention.

10. Le cinquième considérant de ladite directive définit l’objectif de celle-ci comme suit:

«La présente directive vise à promouvoir l’octroi d’une aide judiciaire pour les litiges transfrontaliers à toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes lorsque cette aide est nécessaire pour assurer un accès effectif à la justice. L’accès à la justice est un droit généralement reconnu et qui est aussi réaffirmé à l’article 47 de la [charte].»

11. Le onzième considérant de la directive 2003/8 définit l’aide judiciaire en énonçant que celle-ci «devrait couvrir les conseils précontentieux afin de parvenir à un règlement avant d’engager une procédure judiciaire, une assistance juridique pour saisir un tribunal et une représentation en justice ainsi que la prise en charge ou l’exonération des frais de justice».

12. Le treizième considérant de la même directive définit le champ d’application de celle-ci comme suit:

«Tous les citoyens de l’Union, où que soit situé leur domicile ou leur résidence habituelle sur le territoire d’un État membre, doivent pouvoir prétendre au bénéfice de l’aide judiciaire dans les litiges transfrontaliers s’ils remplissent les conditions prévues par la présente directive. Il en va de même pour les ressortissants de pays tiers qui ont leur résidence habituelle et sont en situation régulière de séjour sur le territoire d’un État membre.»

13. L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/8 dispose que cette dernière «vise, dans les affaires transfrontalières, toute procédure en matière civile et commerciale, quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives».

14. L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/8 précise que «[t]oute personne physique partie à un litige qui relève de la présente directive a le droit de bénéficier d’une aide judiciaire appropriée destinée à lui garantir un accès effectif à la justice, selon les conditions définies par la présente directive».

15. L’article 6 de ladite directive, intitulé «Conditions liées au fond du litige», dispose, à son paragraphe 1, que «[l]es États membres peuvent prévoir que les demandes d’aide judiciaire relatives à une action paraissant manifestement non fondée peuvent être rejetées par les autorités compétentes».

16. Le paragraphe 3 de ce même article poursuit:

«En statuant sur le bien-fondé d’une demande, et sans préjudice de l’article 5, les États membres tiennent compte de l’importance de l’affaire en cause pour le demandeur. Ils peuvent toutefois aussi tenir compte de la nature de l’affaire lorsque le demandeur réclame des dommages et intérêts pour atteinte à sa réputation alors qu’il n’a subi aucun préjudice matériel ou financier ou lorsqu’il s’agit d’une revendication découlant directement des activités commerciales du demandeur ou de ses activités en tant que travailleur indépendant.»

17. L’article 94, paragraphes 2 et 3, du règlement de procédure du Tribunal, dont le libellé est identique à l’article 95, paragraphes 2 et 3, du règlement de procédure du Tribunal de la fonction publique, énonce:

«2. Toute personne physique qui, en raison de sa situation économique, est dans l’incapacité totale ou partielle de faire face aux frais visés au paragraphe 1 a le droit de bénéficier de l’aide judiciaire.

La situation économique est évaluée en tenant compte d’éléments objectifs tels que les revenus, le capital détenu et la situation familiale.

3. L’aide judiciaire est refusée si l’action pour laquelle elle est demandée apparaît manifestement irrecevable ou manifestement non fondée.»

18. Pour sa part, l’article 76, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour est rédigé comme suit:

«Si une partie se trouve dans l’impossibilité de faire face en totalité ou en partie aux frais de l’instance, elle peut à tout moment demander le bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite.»

C – La législation nationale

19. L’article 12, paragraphe 1, de la loi sur les frais de justice (Gerichtskostengesetz, ci-après le «GKG») prévoit:

«Dans les...

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