Alfonso Luigi Marra v Eduardo De Gregorio (C-200/07) and Antonio Clemente (C-201/07).

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:369
Docket NumberC-201/07,C-200/07
Celex Number62007CC0200
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date26 June 2008

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 26 juin 2008 (1)

Affaires C‑200/07 et C‑201/07

Alfonso Luigi Marra

contre

Eduardo De Gregorio (C-200/07),

Antonio Clemente (C-201/07),

[demandes de décision préjudicielle formée par la Corte suprema di cassazione (Italie)]






1. Par les présentes demandes de décision préjudicielle, la Corte suprema di cassazione (Italie) (Cour de cassation) a saisi la Cour de questions relatives à l’interprétation correcte de dispositions du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes (ci‑après le «protocole») ainsi que sur le règlement intérieur du Parlement européen dans le cadre de la levée de l’immunité de juridiction dont jouissent les membres du Parlement européen (ci‑après «MPE»).

2. Les deux affaires sur lesquelles se fondent les présentes demandes de décision à titre préjudiciel portent sur des actions en diffamation introduites contre un membre italien du Parlement européen. Les juridictions nationales ont condamné ce dernier à réparer le préjudice causé et accordé des dommages et intérêts aux demandeurs. Il est demandé à la Cour de dire, premièrement, si une juridiction nationale traitant d’une procédure civile engagée à l’encontre d’un MPE est tenue de demander au Parlement la levée de son immunité si le MPE en cause n’a pas demandé de lui-même au Parlement de défendre son immunité et, deuxièmement, si la juridiction nationale a elle-même le pouvoir de décider si la conduite du MPE en cause est couverte par l’immunité, au cas où le Parlement n’aurait pas indiqué son intention de défendre l’immunité du membre concerné.

I – Les faits de l’affaire

3. Le défendeur dans la procédure au principal, M. Marra était MPE de 1994 à 1999. Alors qu’il était MPE, il a diffusé un certain nombre de tracts critiquant le système juridique italien ainsi que certains juges. MM. Clemente et De Gregorio dont le nom était cité dans les tracts en cause ont introduit des actions en diffamation contre M. Marra. La juridiction de première instance ayant statué en leur faveur et leur ayant accordé des dommages et intérêts, M. Marra a fait appel devant la Corte d’appello di Napoli (Cour d’appel de Naples). Dans ses arrêts du 23 janvier et du 6 mars 2002 (en ce qui concerne M. Clemente) et du 22 février 2002 (en ce qui concerne M. De Gregorio), la Corte d’appello di Napoli a confirmé les décisions de la juridiction de première instance et jugé que les déclarations en question n’étaient pas couvertes par le protocole. M. Marra a fait appel de certains points de droit devant la Corte suprema di cassazione, en faisant valoir, entre autres, que la Corte d’appello di Napoli n’avait pas appliqué correctement l’article 6 du règlement intérieur du Parlement qui précise la procédure à suivre en ce qui concerne les demandes de levée de l’immunité d’un MPE.

4. Dans l’intervalle, M. Marra avait écrit à la présidente du Parlement, le 16 février 2001, en demandant que le Parlement intervienne, conformément audit article 6 pour défendre son immunité. Sa demande a été transmise à la commission des affaires juridiques et du marché intérieur par lettre de la présidente du Parlement datée du 11 avril 2001. À sa réunion du 23 janvier 2002, la commission a décidé d’intervenir en faveur de M. Marra et une recommandation a été faite en ce sens dans le rapport du 30 mai 2002 sur l’immunité des membres élus en Italie et les pratiques des autorités italiennes en la matière (2). Le 11 juin 2002, le Parlement a adopté une résolution sur l’immunité parlementaire en Italie et sur les pratiques des autorités italiennes en la matière qui se conclut comme suit (3):

«1. [Le Parlement] 1. décide que les affaires de […] et de [M.] Marra constituent à première vue un problème d’irresponsabilité parlementaire et que les juridictions compétentes devraient être invitées à transmettre au Parlement la documentation nécessaire pour établir si les affaires en question constituent un problème d’irresponsabilité conformément à l’article 9 du protocole en ce qui concerne les opinions et les votes exprimés par les membres dans l’exercice de leurs fonctions; décide aussi que les juridictions compétentes doivent être invitées à suspendre les poursuites en attendant la décision définitive du Parlement.

2. charge son président de transmettre la présente décision et le rapport de sa commission au représentant permanent de la République italienne, à l’attention de l’autorité compétente de la République italienne.»

II – Les questions préjudicielles

5. Par la décision de renvoi du 20 février 2007, la Corte suprema di cassazione a posé à la Cour deux questions concernant les dispositions relatives à l’immunité des MPE:

«1) En cas d’inertie du parlementaire européen, qui ne se prévaut pas des pouvoirs qui lui sont attribués par l’article [6, paragraphe 3], du règlement intérieur du Parlement pour demander directement au président la défense de ses privilèges et immunités, la juridiction devant laquelle l’affaire civile est pendante est-elle néanmoins tenue de demander au président la levée de l’immunité, aux fins de la poursuite de la procédure et de l’adoption de la décision? ou

2) En l’absence de communication par le Parlement de son intention de défendre les immunités et privilèges du parlementaire, la juridiction devant laquelle l’affaire civile est pendante peut-elle se prononcer sur l’existence de l’irresponsabilité, eu égard aux conditions concrètes du cas d’espèce?»

6. Vu la manière dont les questions sont formulées, la juridiction nationale semble supposer que M. Marra n’a pas demandé au président du Parlement de défendre son immunité et que le Parlement n’a pas indiqué qu’il avait l’intention de le faire. Toutefois, il ne fait aucun doute que M. Marra a présenté une telle demande, que le Parlement a indiqué que les déclarations de M. Marra peuvent être couvertes par l’immunité et demandé que la juridiction nationale compétente soit invitée à lui transmettre les documents pertinents et mandaté son président afin qu’il transmettre sa décision à la représentation permanente de la République italienne (4) auprès de l’Union européenne. Lors de l’audience, le représentant du Parlement a confirmé que ladite résolution avait été transmise non pas directement à la juridiction nationale, mais au représentant permanent de la République italienne. La décision de renvoi mentionne le rapport de la commission des affaires juridiques et du marché intérieur du 30 mai 2002, mais non la résolution du 11 juin 2002 du Parlement adoptant les recommandations figurant dans ledit rapport. Lorsque des explications lui ont été demandées pendant l’audience, le représentant du gouvernement italien nous a renvoyé à ces points dans l’ordre dans lequel ils figurent dans le rapport du 30 mai 2002 et a fait valoir que la juridiction nationale a formulé ses questions de la manière dont elle l’a fait parce qu’elle a considéré que le rapport en cause était la position provisoire et non, la position définitive du Parlement. Or, le Parlement avait adopté une position définitive dans sa résolution du 11 juin 2002, position qui, comme nous l’a indiqué le représentant du Parlement, a été communiqué au représentant permanent de la République d’Italie.

7. En toute hypothèse, puisqu’à la fois, M. Marra et le Parlement ont pris des initiatives, je pense que les deux questions posées peuvent être reformulées comme suit:

«Lorsqu’une action est introduite contre un MPE devant une juridiction civile, la juridiction devant laquelle cette action est pendante est-elle néanmoins tenue de demander au Parlement son opinion sur la question de savoir si la conduite mise en cause est couverte par l’immunité parlementaire ou la juridiction en question peut-elle se prononcer elle-même sur l’existence ou non de ce privilège?»

III – L’immunité parlementaire en droit européen

Les principes

8. Les dispositions pertinentes figurent dans les articles 9 et 10 du protocole. Ledit article 9 dispose comme suit:

«Les MPE ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions».

9. L’article 10 du protocole prévoit:

«Pendant la durée des sessions du Parlement, les membres de celui-ci bénéficient

a) sur leur territoire national, des immunités reconnues aux MPE de leur pays,

b) sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire.

L’immunité les couvre également lorsqu’ils se rendent au lieu de réunion du Parlement ou en reviennent.

L’immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement de lever l’immunité d’un de ses membres.»

10. Premièrement, il convient de noter est que ces deux articles ne s’excluent pas mutuellement; ils fonctionnent de manière cumulative et devraient être lus ensemble. Par conséquent, il est possible que la même conduite relève du champ d’application de ces deux articles et bénéficie de la protection qu’ils offrent.

11. Deuxièmement, lorsque l’on interprète ces deux dispositions, il est important de garder à l’esprit leur économie et l’objectif qu’elles visent. Comme le Parlement et la Commission des Communautés européennes le font valoir, à juste titre, l’immunité des parlementaires est une disposition institutionnelle visant à garantir l’indépendance du Parlement et de ses membres ainsi qu’à faciliter son fonctionnement comme entité collective qui joue un rôle très important dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cependant, il faut admettre en même temps que des personnes précises, les MPE, sont également les bénéficiaires d’un tel accord. Par sa nature même, l’immunité parlementaire accorde à certaines personnes, en raison de leur fonction institutionnelle, qui est essentielle pour le rôle démocratique du Parlement, un privilège qui n’est pas accordé à d’autres...

To continue reading

Request your trial
3 practice notes
  • Conclusiones de la Abogado General Sra. J. Kokott, presentadas el 29 de abril de 2021.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 29 Abril 2021
    ...EU:C:2021:86, paragrafo 27). 66 Cfr. conclusioni dell'avvocato generale Poiares Maduro nelle cause riunite Marra (C‑200/07 e C‑201/07, EU:C:2008:369, paragrafo 67 Cfr., sul punto, paragrafi 64 e 65 delle presenti conclusioni. 68 Sentenza del 17 dicembre 2020, Commissione/Slovenia (archivio ......
  • Conclusiones de la Abogado General Sra. J. Kokott, presentadas el 19 de diciembre de 2018.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 19 Diciembre 2018
    ...18, así como las conclusiones del Abogado General Poiares Maduro presentadas en los asuntos acumulados Marra (C‑200/07 y C‑201/07, EU:C:2008:369), punto 13, y las conclusiones del Abogado General Jääskinen presentadas en el asunto Patriciello (C‑163/10, EU:C:2011:379), punto 78 Véase, en es......
  • Opinion of Advocate General Bobek delivered on 2 February 2021.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 2 Febrero 2021
    ...Zürich (9/69, EU:C:1969:31, p. 339), ainsi que conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Marra (C‑200/07 et C‑201/07, EU:C:2008:369, point 31 Voir, par analogie, arrêts du 21 octobre 2008, Marra (C‑200/07 et C‑201/07, EU:C:2008:579), et du 6 septembre 2011, Patriciello (......
9 cases
  • Conclusiones de la Abogado General Sra. J. Kokott, presentadas el 29 de abril de 2021.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 29 Abril 2021
    ...EU:C:2021:86, point 27). 66 Voir conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans les affaires jointes Marra (C‑200/07 et C‑201/07, EU:C:2008:369, point 67 Voir à ce sujet les points 63 et 64 des présentes conclusions. 68 Arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Slovénie (Archives de la BCE......
  • Conclusiones de la Abogado General Sra. J. Kokott, presentadas el 19 de diciembre de 2018.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 19 Diciembre 2018
    ...18, así como las conclusiones del Abogado General Poiares Maduro presentadas en los asuntos acumulados Marra (C‑200/07 y C‑201/07, EU:C:2008:369), punto 13, y las conclusiones del Abogado General Jääskinen presentadas en el asunto Patriciello (C‑163/10, EU:C:2011:379), punto 78 Véase, en es......
  • Opinion of Advocate General Bobek delivered on 2 February 2021.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 2 Febrero 2021
    ...generale Gand nella causa Sayag e Zurich (9/69, EU:C:1969:31, pag. 339) e dell’avvocato generale Poiares Maduro nelle cause riunite Marra (C‑200/07 e C‑201/07, EU:C:2008:369, paragrafo 31 V., per analogia, sentenze del 21 ottobre 2008, Marra (C‑200/07 e C‑201/07, EU:C:2008:579), e del 6 set......
  • Criminal proceedings against Aldo Patriciello.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 9 Junio 2011
    ...n° 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne.» 1 – Langue originale: le français. 2 – Arrêt du 21 octobre 2008, Marra (C‑200/07 et C‑201/07, Rec. p. I‑7929). 3 – JO 2010, C 83, p. 266, anciennement protocole n° 36 sur les privilèges et immunités des Communautés européennes (19......
  • Request a trial to view additional results

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT