Ministre de l'Intérieur v Aitor Oteiza Olazabal.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2002:266
Docket NumberC-100/01
Celex Number62001CC0100
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date25 April 2002
EUR-Lex - 62001C0100 - FR 62001C0100

Conclusions de l'avocat général Tizzano présentées le 25 avril 2002. - Ministre de l'Intérieur contre Aitor Oteiza Olazabal. - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - France. - Libre circulation des personnes - Restrictions - Ordre public - Mesures de police limitant à une partie du territoire national le droit de séjour d'un ressortissant d'un autre État membre. - Affaire C-100/01.

Recueil de jurisprudence 2002 page I-10981


Conclusions de l'avocat général

1. Les autorités d'un État membre peuvent-elles, pour des raisons d'ordre public, limiter le droit de séjour de travailleurs d'autres États membres à une partie du territoire national? Telle est la question que, par ordonnance du 29 décembre 2000, le Conseil d'État (France) a, en application de l'article 234 CE, posée à la Cour en se référant aux articles 6, 8 A et 48 du traité CE (devenus, après modification, les articles 12 CE, 18 CE et 39 CE), au principe de proportionnalité et à la directive 64/221/CEE du Conseil, du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique .

Le cadre juridique

Les dispositions communautaires

2. S'agissant des dispositions communautaires pertinentes, il convient tout d'abord de rappeler le principe général consacré par l'article 6, premier alinéa, du traité, aux termes duquel, «dans le domaine d'application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu'il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité».

3. Le principe de la libre circulation des personnes consacré par l'article 8 A, paragraphe 1, du traité, en vertu duquel «tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application» a, lui aussi, une portée générale.

4. En ce qui concerne la libre circulation des travailleurs, ces principes font l'objet d'une application spécifique à l'article 48 du traité qui dispose:

«1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté.

2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique:

a) de répondre à des emplois effectivement offerts,

b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres,

c) de séjourner dans un des États membres afin d'y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux,

d) de demeurer, dans des conditions qui feront l'objet de règlements d'application établis par la Commission, sur le territoire d'un État membre, après y avoir occupé un emploi.

[...].»

5. La portée et les modalités d'application des dérogations prévues à l'article 48, paragraphe 3, du traité sont réglées par la directive 64/221, laquelle concerne notamment «les dispositions relatives à l'entrée sur le territoire, à la délivrance ou au renouvellement du titre de séjour, ou à l'éloignement du territoire, qui sont prises par les États membres pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique» (article 2, paragraphe 1). Pour ce qui nous intéresse ici, l'article 3 de la directive dispose en particulier, d'une part, que «les mesures d'ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l'individu qui en fait l'objet» (paragraphe 1) et, d'autre part, que «la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures» (paragraphe 2). En outre, des garanties procédurales spécifiques sont prévues en faveur des ressortissants communautaires frappés de telles mesures (articles 6 à 9).

Les dispositions nationales

6. Pour ce qui est de la réglementation nationale, il convient de citer le décret n° 46-448, du 18 mars 1946, tel que modifié, en dernier lieu, par le décret n° 93-1285, du 6 décembre 1993, relatif aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France (ci-après le «décret 46-448»). L'article 2 dudit décret dispose notamment:

«Sous réserve des prescriptions de l'article 1er, les étrangers séjournent et circulent librement sur le territoire de la métropole.

Le ministre de l'Intérieur peut néanmoins désigner par arrêté certains départements dans lesquels les étrangers ne peuvent, à compter de la date de publication dudit arrêté, établir leur domicile sans avoir obtenu préalablement l'autorisation du préfet du lieu où ils désirent se rendre.

Les titres de séjour des étrangers domiciliés dans ces départements portent une mention spéciale les rendant valables pour le département envisagé.

Lorsqu'un étranger non titulaire de la carte de résident doit, en raison de son attitude ou de ses antécédents, être soumis à une surveillance spéciale, le ministre de l'Intérieur peut lui interdire de résider dans un ou plusieurs départements. Le commissaire de la République peut, dans la même hypothèse, réduire au département ou, à l'intérieur de ce dernier, à une ou plusieurs circonscriptions de son choix la validité territoriale de la carte de séjour ou titre en tenant lieu, dont l'intéressé est muni. Mention de la décision du ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation ou du commissaire de la République est portée sur le titre de séjour de l'intéressé.

Les étrangers visés à l'alinéa précédent ne peuvent se déplacer en dehors de la zone de validité de leur titre de séjour sans être munis d'un sauf-conduit délivré par le commissaire de police ou, à défaut de commissaire de police, par la gendarmerie du lieu de leur résidence.

L'étranger qui aura établi son domicile ou séjournera dans une circonscription territoriale en infraction aux dispositions du présent article sera puni des peines prévues pour les contraventions de cinquième classe.»

Faits et procédure

7. Suivant les indications de l'ordonnance de renvoi, M. Oteiza Olazabal, ressortissant espagnol originaire de San Sebastián (Espagne), est un militant de l'organisation terroriste Euskadi Ta Askatasuna (ci-après l'«ETA»). En juillet 1986, il a quitté le territoire espagnol pour se rendre en France où il a apparemment exercé une activité de travailleur salarié et où il a sollicité en vain la qualité de réfugié politique.

8. En avril 1988, M. Oteiza Olazabal a été arrêté par la police française dans le cadre d'une procédure diligentée en raison de l'enlèvement d'un industriel de Bilbao dont était soupçonnée l'ETA qui avait revendiqué l'acte criminel en question. En relation à cette affaire, le tribunal de grande instance de Paris (France) a condamné, le 8 juillet 1991, M. Oteiza Olazabal à dix-huit mois d'emprisonnement (dont huit mois avec sursis) pour association de malfaiteurs à des fins terroristes ainsi qu'à quatre ans d'interdiction de séjour en France à titre de peine complémentaire.

9. Après sa libération, M. Oteiza Olazabal, faisant valoir sa qualité de ressortissant communautaire, a sollicité auprès des autorités françaises la délivrance d'une carte de résident, laquelle lui a été refusée. En revanche, ces mêmes autorités ont renoncé à l'application de la peine complémentaire infligée par le tribunal de grande instance de Paris et elles ont décidé de «tolérer» la présence sur le territoire français de M. Oteiza Olazabal, auquel elles ont accordé des autorisations provisoires de séjour de courte durée (ces autorisations ont apparemment couvert une période s'étendant de septembre 1992 à août 1996).

10. En juin 1996, M. Oteiza Olazabal, qui jusqu'alors résidait dans le département des Hauts-de-Seine (région Ile-de-France) (France), a décidé de s'établir dans le département des Pyrénées atlantiques (région Aquitaine) (France), département limitrophe de la Communauté autonome espagnole du Pays basque. Selon les indications fournies par M. Oteiza Olazabal, ce dernier a trouvé, à la suite de ce déménagement, un emploi de travailleur salarié.

11. Dans l'intervalle, sur la base de rapports de police soulignant que M. Oteiza Olazabal continuait à entretenir des rapports avec l'ETA, le ministre de l'Intérieur français avait, par un arrêté du 21 mars 1996, adopté sur le fondement de l'article 2 du décret 46-448, décidé de lui interdire de résider dans trente et un départements du Sud-Ouest de la France, dont celui des Pyrénées atlantiques, ainsi que dans la région parisienne. Sur la base des mêmes rapports et en vertu de la même disposition, le préfet des Hauts-de-Seine lui a en outre interdit, par arrêté du 25 juin 1996, de quitter ce département sans autorisation.

12. M. Oteiza Olazabal a saisi le tribunal administratif de Paris (France) d'une requête en annulation de ces arrêtés, requête à laquelle ce tribunal a fait droit par jugement en date du 7 juillet 1997. Ce jugement a été confirmé par la cour administrative d'appel de Paris (France) par un arrêt du 18 février 1999 qui a rejeté l'appel formé par le ministre de l'Intérieur. Ces juridictions administratives du premier et du second degré ont considéré en particulier que, comme l'a souligné la Cour dans son arrêt Rutili , le droit communautaire faisait obstacle à l'adoption de mesures nationales tendant à limiter, pour des raisons d'ordre public, la circulation de ressortissants communautaires à l'intérieur du territoire d'un État membre, lorsque des mesures analogues ne peuvent pas...

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